Visiblement, le quotidien était en surnombre. Aldo le roula et le lui remit sous le bras.
— Je pense, dit-il en lui rendant son sourire, qu’il vaut mieux attendre d’être chez vous pour vous informer des nouvelles…
— C’est plus sage, en effet. Merci, Monsieur.
Sur un signe de tête amical, elle traversa la rue des Capucines puis tourna le coin de la place Vendôme… Sans trop savoir pourquoi, Aldo fit demi-tour et la suivit. Il y avait pas mal d’allées et venues car il était midi. Constatant que son inconnue s’engouffrait dans l’entrée principale du Ritz, il vira, voulut repartir afin de récupérer sa voiture et… tomba littéralement dans les bras de Belmont qui s’esclaffa :
— Doux Jésus, Morosini ! Je commence à croire que le Seigneur nous voit d’un œil bénin, nous autres, les Belmont ! Je galope après vous depuis ce matin !
— Vous êtes exaucé ! Me voilà ! répliqua Aldo en riant. Et tout à votre service, mon cher ami ! Que puisse pour vous ?
— Rien que papoter un moment tous les deux ! C’est un trop grand morceau de chance que vous soyez ici et j’entends en profiter ! Venez déjeuner en ma compagnie ! Rien que nous deux !
— Mais… votre sœur ?
— Pauline ?…
— Je ne vous en connais pas d’autre !
— Très juste ! Elle va se sustenter au Pré Catelan escortée d’un certain comte Fanchetti ou quelque chose comme ça ! Une sorte de gravure de mode gominée qu’elle a rencontrée sur le bateau et qui me tape sur les nerfs parce qu’il rit tout le temps. Sans doute pour exhiber ses dents. Résultat, il donne l’impression d’en posséder plus que n’importe qui ! Quand il ouvre la bouche, on dirait qu’elle est remplie par les deux rangées de touches d’un piano de concert !
Il avait introduit son bras sous celui d’Aldo qui se laissa emmener, pensant qu’à l’exception d’Adalbert il n’avait jamais rencontré un homme plus sympathique que John-Augustus.
— D’accord ! concéda-t-il, mais je vous invite : je suis un peu chez moi au Ritz et on va demander à Olivier de nous trouver une table tranquille près d’une fenêtre donnant sur le jardin !
— Olivier ?
— Dabescat ! Le sublime maître d’hôtel !
Or, dès leur entrée dans le hall du palace, ils comprirent que ce paisible programme ne se réaliserait pas facilement. Il y régnait une agitation tout à fait inhabituelle. La majorité des clients, parlant tous à la fois, était massée au pied du grand escalier, tandis qu’au téléphone l’homme aux clefs d’or appelait la police, une main tenant l’écouteur et l’autre bouchant l’oreille opposée. Aldo arrêta au vol un groom qui courait, un message à la main.
— Que se passe-t-il ?
— Un meurtre, Monsieur ! On vient d’assassiner une dame… Excusez-moi !…
Puis, reconnaissant soudain l’Américain :
— Oh, vous êtes Monsieur Belmont, n’est-ce pas ?
— Oui. Pourquoi ?
— C’est quelqu’un qui est avec vous. Ou plutôt avec Madame la baronne !
Un énorme soupir échappa aux deux hommes en même temps. Sans réfléchir, ils avaient pensé à la même chose. Mais Belmont réagissait toujours vite :
— Helen ? Il faut que je voie ça !
Fendant la foule avec décision en répétant : « Permettez ! Permettez ! » suivi d’Aldo dans son sillage, il parvint jusqu’à la victime étalée sur la première marche, face contre terre au milieu de ses petits paquets… À genoux près d’elle, un homme était en train de retirer précautionneusement un poignard planté dans son dos :
— Vous ne devriez pas la toucher ! reprocha une jeune fille. Il faut attendre la police !
— Je suis le médecin de l’hôtel et cette femme vit encore, alors fichez-moi la paix ! Et tâchez de reculer !
Cela s’adressait à Belmont qui se penchait sur lui et qui d’ailleurs se présenta :
— Je m’appelle Belmont et c’est la femme de chambre de ma sœur. Vous dites qu’elle vit toujours, docteur ?
— Sans aucun doute… mais pour combien de temps ?… Qu’est-ce que fabrique cette fichue ambulance ?
— Elle arrive ! hurla l’un des voituriers. On entend sa sirène…
Laissant Belmont auprès d’Helen et du médecin, Aldo rejoignit le concierge.
— Qui avez-vous appelé, François ? Le commissariat le plus proche ?
— Bien sûr, Excellence !
— Appelez-moi le commissaire principal Langlois. Cette femme est un témoin important dans une affaire qu’il suit !
— Oh, Seigneur !
L’effet fut magique. Quelques secondes plus tard, il pouvait entendre la voix nette et précise du policier :
— On va la transporter à l’Hôtel-Dieu. Je vais m’y rendre directement… Dites à Dumoulin qui est en charge du 1er arrondissement de venir me rejoindre quand il aura terminé ses premières constatations et la protection des repérages sur la scène du crime.
Pas un mot de plus. Langlois avait raccroché sans juger utile d’assaisonner ses ordres – car ce n’était rien d’autre ! – de la moindre formule de politesse. Le « grand chef » devait être d’une humeur de dogue. Peut-être était-ce tout bêtement parce qu’il retrouvait une fois de plus Morosini sur son chemin !
Celui-ci n’en exécuta pas moins sa consigne. Par chance, le commissaire Dumoulin, même s’il était bâti comme un ours, n’en avait pas le caractère. Sa figure « fleurie » annonçait le bon vivant et Morosini eut même droit à un sourire un rien moqueur.
— Content de vous connaître ! fit-il en lui tendant une large main.
— Moi… moi aussi ! balbutia Aldo, légèrement dérouté par tant de cordialité policière, sa longue expérience de la race se révélant aussi variée que rebutante.
Dumoulin se mit à rire franchement.
— On dirait qu’aujourd’hui ce n’est pas le beau temps entre vous et le Grand Manitou ! Il vous a reçu comme un chien dans un jeu de quilles ! Vous devriez pourtant être habitué ?
— Qu’est-ce qui peut bien vous faire penser ça ?
— Le simple fait que les relations ondoyantes de Langlois et du prince Morosini sont en train de passer à la légende Quai des Orfèvres comme dans l’intégralité de la P.J. Ce qui est très consolant pour le petit peuple ! On se sent moins seul ! Et puis, quand vous êtes dans les parages, on est sûr de ne pas s’ennuyer !
Cette fois, Aldo ne put s’empêcher de faire chorus. Décidément, il aurait tout vu dans sa vie ! Il se tint coi cependant, tandis que Dumoulin entendait les rapports des deux inspecteurs qui avaient interrogé les clients présents dans le hall. Cela avait été vite expédié : personne n’avait rien vu, parce que personne n’avait remarqué Helen dans le va-et-vient incessant du hall d’un palace. Seule l’attention d’une vieille dame, assise dans un fauteuil, attendant une amie, avait été vaguement attirée par une légère bousculade : quelqu’un avait trébuché au pied de l’escalier – il s’agissait d’un homme ! – mais il s’était relevé en marmonnant une excuse pour se diriger vers la longue galerie reliant la place Vendôme à la rue Cambon. Elle n’avait même pas remarqué qu’il y avait quelqu’un par terre…
— C’est incroyable ! s’écria John-Augustus. Elle aurait dû porter des lunettes. Même si elle est myope : de loin une forme humaine étendue et un couteau fiché entre les omoplates, ça devrait tout de même éveiller l’intérêt !
— Pas toujours à première vue ! fit Dumoulin. L’endroit est un peu sombre et quand l’attention est ailleurs…
— En tout cas, il manque quelque chose, constata Morosini en regardant un agent ramasser les petits paquets éparpillés.
— Quoi donc ?
— Un journal ! Lorsque je l’ai rencontrée dans la rue de la Paix, elle venait d’acquérir un journal qu’elle avait glissé sous son bras et, en voulant y jeter un coup d’œil, elle avait laissé tomber ses achats.
— C’était quel journal ? demanda le commissaire.
— Ma foi, je n’en sais rien. Il était plié et, après l’avoir ramassé, je le lui ai remis sous le bras sans chercher à en savoir davantage !
— Ça, c’est bizarre ! remarqua Belmont. Helen n’était pas une dévoreuse de journaux. De livres, oui !
— Tout ce que je peux dire est que ce n’était pas un magazine mais un quotidien !
— Qui ne doit pas avoir une extrême importance.
L’ambulance arrivait. Belmont intervint alors :
— Vous l’emmenez où ?
— Hôtel-Dieu. C’est la règle…
— Pourquoi ? L’hôpital américain n’existe plus ?
— Si, Monsieur. Mais il se trouve à Neuilly et c’est un établissement de luxe !
— Alors c’est là qu’elle va ! Nous autres les Belmont avons toujours voulu le meilleur pour nos serviteurs !
Dumoulin fronça le sourcil et renifla :
— Vous croyez que c’est le moment de penser au luxe quand on n’est même pas sûr qu’elle arrivera vivante ? À l’Hôtel-Dieu ! ajouta-t-il à l’intention des brancardiers. Et pas question de poser un lapin au commissaire principal Langlois qui s’y rend en ce moment…
Ce qui fit sourire Morosini. Apparemment, il n’était pas tout seul à essuyer les mauvaises humeurs du grand chef !
— Allez avec elle dans l’ambulance, conseilla-t-il à Belmont. Je vous rejoins le temps de téléphoner chez moi qu’on ne m’attende pas et de récupérer ma voiture rue de la Paix…
— Et voilà ! conclut Marie-Angéline en dépliant sa serviette après que Cyprien eut rendu compte de l’appel téléphonique d’Aldo. Les ennuis commencent ! Mais ça, je l’aurais juré. Dès l’instant où les Belmont s’inscrivent dans le paysage, on peut s’attendre à tout !
— Ah non, vous n’allez pas recommencer ! Vous êtes de parti pris, donc de mauvaise foi ! Les Belmont sont les meilleurs amis que nos garçons aient en Amérique ! Je ne connais pas le frère mais si je m’en réfère à la sœur…
— C’est une femme charmante, je sais ! Nous l’avons déjà dit !
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