— Vous pensiez à moi ? fit-il déjà sur la défensive.
— Mon Dieu, oui ! Il faut que je vous confie, dit-il en baissant considérablement le ton, que je me suis rendu hier tantôt à Saint-Germain visiter cette malheureuse qu’avait épousée l’un de mes vieux amis et sur le sort de laquelle vous vous étiez penché. C’était pure charité de ma part mais elle m’avait envoyé un billet me priant de la venir voir. C’est compréhensible : j’étais auprès de son époux en ce moment tragique et il m’était très attaché...
— Sans doute, sans doute ! Que voulait-elle ?
— Parler un peu. Elle est très seule, vous savez ? Surtout depuis que le Roi lui a fait défense de paraître à Versailles. Elle vous reproche de l’avoir abandonnée à la vindicte de la Cour...
Louvois eut un haut-le-corps et son visage plein s’empourpra :
— Vous me surprenez fort. Chaque fois que j’ai voulu m’approcher d’elle, je n’ai essuyé que rebuffades. Et maintenant vous venez m’apprendre que je devrais m’occuper d’elle ? C’est à n’y rien comprendre...
— Plus bas, s’il vous plaît. Ce que j’ai à dire n’est que pour vos oreilles ! En outre, comprenez donc qu’après le bruit causé par son retour à la Cour, il lui était malaisé d’agir différemment et si vous consentez à écouter quelques conseils... Mais tirons à l’écart ! Il y a vraiment trop de monde ici !
Sous l’œil légèrement surpris de ceux qui les connaissaient, les deux hommes penchés l’un vers l’autre comme de grands amis quittèrent la galerie à petits pas et en baissant la voix de plus en plus jusqu’à arriver au murmure.
Ils déambulèrent sans même s’en apercevoir devant Mme de Montespan, qui se garda de les aborder. Elle avait réussi à saisir au passage des bribes de paroles qui lui donnèrent à penser. Sourcils froncés, elle les regarda se fondre dans la foule, perplexe. La subite entente de ces deux oiseaux ne lui disait rien qui vaille…
CHAPITRE XII
L’ATTENTAT
Au lieu de suivre son impulsion du moment et de courir derrière Louvois pour en tirer ce qu’elle voulait savoir- elle avait nettement saisi au passage le nom de la petite Saint-Forgeat et n’augurait rien de bon de la subite entente de ces deux personnages -, elle rentra chez elle, laissa passer la nuit et, le lendemain, lui fit porter une lettre priant le ministre, courtoisement - on ne piège pas les mouches avec du vinaigre ! -, de passer la voir dans ce nouvel appartement qu’elle ne cessait de faire remanier afin de retarder le plus possible la date fatidique où il lui faudrait se décider à y effectuer quelques séjours au lieu de réintégrer régulièrement Clagny. Elle avait réussi à transformer ce lieu de pénitence en une pure merveille qui excitait les curiosités et que beaucoup lui enviaient sans même avoir eu l’honneur d’en franchir le seuil. Louvois était du nombre et, sans trop savoir ce qu’elle lui voulait, il se rendit sans hésitation à son invitation.
Elle le reçut dans un ravissant salon aux boiseries blanches rechampies d’or d’où l’on avait banni tout ce qui pouvait inspirer une idée de lourdeur : les meubles signés de grands ébénistes étaient légers mais précieux, les sièges confortables mais peu nombreux gonflaient doucement leurs coussins de brocart d’un joyeux rouge corail et une infinité d’objets de cristal -chandeliers ou autres - allumaient de fugitifs éclats de lumière sur leurs facettes. Les mêmes couleurs se retrouvaient sur sa personne : la robe de faille rouge clair enjolivée d’une abondance de dentelles neigeuses n’amincissait guère ses formes opulentes mais faisait chanter un teint toujours parfait. Il y avait des fleurs à foison et une subtile senteur de roses flottait dans l’appartement, jointe à un arôme moins éthéré de chocolat chaud et de bois brûlé. Un feu pétillait dans la cheminée de marbre blanc.
— Nous avons à parler, déclara-t-elle d’entrée en désignant un fauteuil. Désirez-vous une boisson chaude ? L’automne se fait sentir ce matin...
— A qui le dites-vous ! Soupira-t-il en étendant sa jambe, douloureuse par temps humide. Mais au chocolat dont je ne suis guère friand je préférerais de l’eau-de-vie !
Un instant plus tard il était servi et, un verre gravé d’or à la main, commençait à se détendre. Il se demandait pourquoi il avait redouté vaguement cette entrevue. C’était stupide au fond : le sourire de la Montespan n’annonçait nullement une tempête et il savait d’expérience qu’elle pouvait se montrer charmante.
— Eh bien, chère marquise, que puis-je pour vous être agréable ? S’enquit-il en promenant lentement son verre encore à moitié plein sous ses narines palpitantes.
— Peu de chose en vérité ! Faire cesser un bruit non seulement déplaisant, mais injuste et qui, en outre, persiste - Dieu sait pourquoi ? - au-delà du temps normalement accordé à un méchant potin.
Elle continuait de sourire mais Louvois trouva soudain son alcool de prune moins parfumé :
— Lequel ?
— Allons, vous devez vous en douter ? Ce vilain racontar qui est en train de détruire une femme innocente après avoir envoyé son époux au tombeau.
Aussitôt il fut debout tandis que son visage s’empourprait:
— Madame, j’ai en charge un événement majeur pour la vie de ce royaume : le salut de ses habitants. Vous comprendrez donc sans peine que je n’aie pas de temps à accorder à un potin de cour...
— Avant de vous soucier du salut des Français, je crois que vous devriez songer à celui de votre âme qui me paraît fort compromis ! Il est grand temps que vous vous décidiez à rendre son honneur à Mme de Saint-Forgeat dont vous faites si bon marché !
— Je viens de vous dire que j’avais d’autres préoccupations ! Laissez donc cette histoire où elle est, le bruit s’éteindra de lui-même !
— Je ne le pense pas et moins encore si vous continuez à l’alimenter en sourdine...
Il vida son verre d’un trait, le reposa un peu brusquement et, reprenant sa canne, se dirigea vers la porte :
— S’il vous plaît, restons-en là ! On m’attend...
— On vous attendra ! Cette porte ne s’ouvrira que sur mon ordre.
Il eut un soupir agacé en haussant ses épaules massives :
— Vous voulez me retenir prisonnier ? Cela ne vous sera pas aisé : je suis plutôt encombrant... Alors finissons-en ! Que voulez-vous au juste ?
— Que vous alliez dire la vérité au Roi !
— Quelle vérité ?
— Que vous avez violé Charlotte à maintes reprises et qu’en conséquence elle ne saurait être considérée comme votre maîtresse !
— Il me semblait que vous m’aviez juré le secret ? Ou aurais-je rêvé ?
— Non, mais je n’imaginais pas que les choses en viendraient là ! Aussi je reprends ma parole !
— Que voilà une morale accommodante ! ... Je vous rappelle aussi que je vous ai confié que je l’aimais !
— Comme si vous saviez ce que c’est qu’aimer ! Rendez-lui le droit de vivre au grand jour sinon...
— Sinon quoi ?
— J’aurai le regret de révéler moi-même la vérité au Roi !
Si elle pensait l’impressionner, elle se trompait : il éclata de rire.
— Eh bien, allez-y ! Cela m’étonnerait énormément que l’on vous prenne au sérieux ! Si tant est qu’on accepte de vous écouter ! Vous n’êtes plus la toute-puissante favorite, ma chère ! C’est une autre qui règne sur les sens et l’esprit du Roi et vous savez qu’elle vous déteste. Alors je ne suis pas certain que vos « révélations » soient les bienvenues parce que vous êtes sur le chemin de la disgrâce et qu’en m’attaquant vous n’atteignez ce but fatal plus rapidement encore que vous ne le pensez ! Non, Madame, je ne dirai rien au Roi ! Je lui suis trop indispensable ! Quant à cette adorable Charlotte, je me sens entièrement capable de faire son bonheur quand elle aura enfin compris qu’elle n’a rien à attendre de quiconque. À la seule exception de votre serviteur ! Voulez-vous ordonner que l’on ouvre ? conclut-il après avoir salué.
Raide de fureur contenue, Mme de Montespan cracha :
— Vous êtes un fier misérable, Monsieur de Louvois ! Et j’espère qu’un jour vous le paierez !
— On peut toujours rêver...
Là, il fallut bien le laisser sortir. Restée seule, la marquise tourna en rond pour essayer de se calmer et de réfléchir. C’était la première fois que l’on osait lui lancer à la figure qu’elle n’était plus ce qu’elle avait été et l’injure lui était d’autant plus cruelle qu’elle était consciente de l’usure inexorable de son ancien pouvoir. Quoi qu’il en soit, l’idée de laisser ce scélérat s’en tirer si facilement lui était d’autant plus intolérable que s’y joignait une inquiétude : la jeune Saint-Forgeat était en danger. Dès l’instant où l’on avait amené le Roi à la disgracier, elle se trouvait livrée à toutes les tentatives. Et cet homme avait eu le toupet de dire qu’il l’aimait ?
Après encore deux ou trois tours, elle finit par en prendre son parti, appela Cateau et lui ordonna de faire atteler la moins voyante de ses voitures : celle qui portait de discrètes armoiries sur une caisse bleue.
— Reviens m’aider à changer de vêtements. Je vais à Paris et ne tiens pas à ce qu’on le sache !
— Je vous accompagne ?
— Non. Je préfère que tu veilles à ma porte : je viens de prendre médecine et ne suis visible pour personne. Sauf pour ma sœur Thianges que tu mettras au fait. Hâtons-nous à présent !
— Et si c’était le Roi ?
— Cela m’étonnerait, répondit-elle, amère. En ce cas tu lui expliquerais que je me suis rendue au chevet d’une amie malade. Sans plus !
Environ un quart d’heure après, la marquise, vêtue de sombre et en coiffe sous un ample manteau noir à capuchon, un voile sur le visage, ordonnait à son cocher de la mener à Paris mais ce fut seulement en atteignant la barrière du Roule qu’elle compléta le lieu de sa destination :
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