— Aucune force au monde ne saurait me contraindre à m'excuser ! murmura-t-il en posant un baiser rapide sur la main qu’il tenait encore.
Il pensait qu’elle allait achever la descente mais elle ne bougea pas :
— Ce serait plutôt à moi de le faire. Je n’avais pas le droit de vous demander cela...
Et tournant les talons, elle remonta l’escalier en courant, traversa le vestibule sous le double regard surpris de Mlle Léonie et de La Reynie, poursuivit sa course jusqu’à l’étage et se précipita dans sa chambre dans l'intention de se jeter sur le lit sans plus se souvenir du capharnaüm qui y régnait comme dans tout l’hôtel. Mais elle était au-delà de ce genre de souci et apercevant un matelas sur le parquet, elle alla s’affaler dessus en pleurant... Ce fut là que sa cousine la découvrit. Avant de la suivre, Mlle Léonie avait pris le temps de se rendre aux cuisines informer que Mme la comtesse venait d’avoir un malaise et qu’elle les reverrait pour leur témoigner sa gratitude. Elle brûlait d’envie d’interroger Alban sur la cause de cette agitation, mais la connaissant bien, il n’eut pas un regard pour elle et continua de poser des questions.
« Ce sera pour plus tard, pensa-t-elle, philosophe. Et puis Charlotte m’en dira peut-être davantage... On ne peut vraiment pas les laisser seuls deux minutes ces deux-là ! »
En la retrouvant répandue sur son matelas au milieu de l’incroyable désordre, elle hésita sur ce qu’il convenait de faire. Puis se résigna à s’agenouiller à côté d’elle, sans rien dire, se contentant de passer une main compatissante sur les cheveux blonds ébouriffés. Enfin elle attendit.
Petit à petit, les sanglots s’apaisèrent et Charlotte releva vers elle son visage rouge et trempé de larmes, renifla, accepta le mouchoir qu’on lui tendait et soupira :
— Vous devez me prendre pour une folle ?
— Simplement pour quelqu’un qui a un gros chagrin, dit-elle avec douceur.
— Sans doute, mais je suis en train de perdre la raison ! Je devrais être la plus heureuse qui soit... et voyez où j’en suis!
— Alban évidemment! Je n’avais pas tort en le tenant à distance de vous parce que je commence à bien vous connaître tous les deux... Vous ne voulez pas me dire ce qui s’est passé ?
— La chose la plus merveilleuse... la plus... et la plus terrible ! Et c’est entièrement ma faute. Je l’ai provoqué...
— Comment cela ?
— Il me disait qu’il vous aimait énormément et moi, en sotte que je suis, j’ai demandé s’il n’aimait que vous. Cela a été plus fort que moi et alors...
— Et alors ? Vous avez eu la réponse que vous espériez?
— J’ai eu plus que je n’espérais et c’est ce qui est affreux. À cause de cet abominable Louvois, je ne suis plus digne de répondre à ce bel amour... Et je l’aime ! Vous ne pouvez pas savoir à quel point je l’aime !
Cette fois ce fut dans les bras de Léonie qu’elle se remit à pleurer :
— Et je n’en ai plus le droit ! Je le dégoûterais s'il savait combien j’ai été avilie...
— N’exagérons rien. Il sait que vous êtes mariée... et même si la réputation de ce cher Adhémar n’est pas exactement celle d’un foudre de guerre en dentelles, il y a des chances pour qu’il suppose que vous n’êtes plus vierge.
— Sans doute, mais entre le devoir de devenir femme dans le mariage et subir cette... abomination, il n'y a aucune commune mesure. Je me sens souillée, sale... indigne d’être aimée par un homme tel que lui.
— Aimée selon la chair, peut-être ? Et encore ! Mais pourquoi pas selon le cœur ? Ne soyez pas trop sévère avec vous-même, Charlotte, et acceptez cette tendresse dont vous avez le plus grand besoin.
— Il n’est pas homme à se contenter de soupirer !
— Sans nul doute, mais il peut admettre que votre loyauté envers le nom que vous portez se refuse à trahir le serment du mariage... Quelles que soient vos relations avec votre mari, vous avez été bénis devant Dieu... Cela oblige quand on est une Fontenac.
— Vous auriez dû le dire à ma mère ! fit Charlotte amèrement.
— Oh, elle ! C’était une Chamoiseau. Ce qui n’est pas pareil.
Son air offusqué arracha un demi-sourire amusé à Charlotte. Ne lui resterait-il que cela, cette chère Léonie ne perdrait jamais son orgueil d’aristocrate de vieille souche. Cela en faisait quelqu'un de solide et, c’était à la réflexion plutôt réconfortant ! Ce fut pour cette raison qu’elle acheva de vider son sac de tourments :
— Je crois qu’il vaut mieux que je vous avoue tout...
— Il y a encore quelque chose ?
— Oh oui... et pas des moindres. A Versailles et durant le Grand Appartement qui a précédé le mariage M. de Louvois a voulu me parler...
L’œil de Léonie s’arrondit :
— Et de quoi, mon Dieu ? J’espère qu’il s’agissait d’excuses...
— Jugez vous-même !
Le bref échange de paroles était resté si présent à son esprit que Charlotte n’en omit aucune. Elle put en suivre d’ailleurs l’effet sur le visage mobile de sa cousine. Un « Oh ! » d’indignation échappa à celle-ci quand elle répéta « Je ne renoncerai jamais ! ».En revanche, l’intervention inattendue de Saint-Forgeat parut la plonger dans un abîme de réflexions :
— Quel drôle de garçon ! fit-elle enfin. Il refuse l’idée que l’on clabaude sur vous et sur cette brute mais pas celle de vous dépouiller de vos biens y compris la totalité de vos bijoux, réels ou supposés. Si l’on ajoute qu’il vous a jadis sauvé la vie dans les jardins de Fontainebleau, on arrive à un résultat qui donne à penser. Peut-être n’est-il pas, comme nous le pensions, l’obéissant toutou du chevalier de Lorraine ?
Elle aurait sans doute apprécié à sa juste valeur l'explosion de colère qu’au même moment ledit Saint-Forgeat était en train de déverser sur la tête de son « grand ami » dans un bosquet écarté du parc de Saint-Cloud. La nouvelle du saccage subi par l’hôtel de Fontenac, si elle ne l’avait pas poussé à accompagner sa femme sur les lieux, l’avait mis hors de lui :
— Ne t’avais-je pas dit, chevalier, que je m’étais attaché à cette maison où je me trouvais bien et toi, sous le prétexte de chercher une poignée de pierres précieuses, tu la mets au pillage de la cave au grenier ? La description qu’on en fait est proprement scandaleuse ! Sans compter ce que ta bande de truands s’est octroyée ! Peut-être encouragée par toi ? ...
Assis sur un banc, le beau Philippe haussa ses larges épaules admirablement accommodées de brocart corail et, du bout de sa longue canne, se mit à dessiner sur le sable de l’allée :
— Si tu avais fait ce qu’il fallait pendant que tu étais là-bas nous n’aurions pas eu à en venir là ! Tu as eu largement le temps alors que nous ne disposions que d’une nuit à peine...
— Nous ? Parce que tu y étais ?
— Naturellement ! On ne lâche pas une dizaine d’hommes de main dans une maison sans les surveiller. Je tenais - pour t’être agréable ! - que les domestiques ne soient pas molestés. On s’est contentés de les ficeler et de les enfermer dans la cuisine. Après quoi...
— Le mot d’ordre était « En avant le carnage » ? Et non seulement on a fait chou blanc, mais on s’est servis copieusement sur les plus beaux objets ! Dont une magnifique argenterie aux armes qui me plaisait infiniment ! Il y avait aussi...
— Il suffit ! J’en sais autant que toi à ce sujet ! Il faut te mettre dans la tête que les bons garçons que l’on emploie dans ce genre d’ouvrage doivent être payés. Et tu n’aurais pas voulu que j’en sois de ma bourse ? Essaye de comprendre qu’il fallait faire vrai afin que La Reynie et ses sbires aillent se perdre dans les bas-fonds de Paris et non à la cour de Monsieur. En outre, j’ai eu une idée géniale...
— Laquelle, mon Dieu ?
— J’ai fait en sorte que l’on attribue ce méfait à la bande qui est allée pendre haut et court ta belle-mère et son coquin. Même nombre, mêmes costumes et, comme le chef de ces gens dont j’ai copié la vêture, je portais l’épée et assistais d’une canne à pommeau d’argent une boiterie fort convaincante ! J’étais vraiment parfait ! Se rengorgea-t-il avec la satisfaction d’un comédien sortant de scène.
— Je n’en doute pas mais comment t’es-tu débrouillé pour obtenir ces renseignements ?
— Mais je me suis adressé à toi, mon bon ! Tu as posé une kyrielle de questions sur les circonstances du trépas de ta belle-mère, ce trépas qui t’effrayait tant !
Le reste, c’est ton valet qui s’en est chargé. On cause dans les cuisines...
— Anatole ? Poser des questions ? Il a l’innocence d'un veau nouveau-né !
— Il l’est peut-être moins que tu ne l’imagines. Mais baste ! Je te rassure : il t’est totalement dévoué et ne veut que ton bien !
— Mon bien ? Il faudrait savoir comment vous l'entendez, toi et lui ? Pour l’heure, non seulement je n’ai pas les joyaux, mais, si j’ai bien compris, je suis démuni «de tout sauf d’un toit, de murs et d’un tas de décombres !
—Mais non ! On n’a pas brisé les meubles... enfin pas tous !
— Parce que vous en avez démoli quelques-uns ?
Lorraine lui offrit un sourire moqueur :
— Seulement ceux dont on ne pouvait voir ce qu’ils avaient dans le ventre ! Rassure-toi ! Ce n’est pas dramatique et un ébéniste habile devrait réparer sans peine... Il y avait juste, dans la chambre où tu as couché, un délicieux petit cabinet florentin en écaille et ivoire auquel je n’ai pas pu résister...
— Mais il me plaisait à moi aussi ! Brama Saint-Forgeat.
— Je l’ai mis dans ma chambre. Tu pourras le contempler à ta convenance, sourit le chevalier en guise de consolation. Il était normal que j’eusse un dédommagement de ce rude labeur...
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