— Ce qui ne l’a pas empêché de faire main basse sur les bijoux de Mme de Fontenac à l’exception du collier de saphirs que j’ai réussi à récupérer ! marmotta Mlle Léonie avec rancune...
La Reynie ne répondit pas. Il se contenta de remettre sur pied deux ou trois fauteuils et s’installa dans l’un d’eux :
— Si vous le permettez, je vais attendre et réfléchir pendant que vous visiterez le reste de la maison. Le spectacle est identique quasiment partout ! Le point d'orgue étant atteint dans la bibliothèque...
C’était le moins que l’on puisse dire ! La vaste pièce offrait l’image d’un véritable chaos. Il n’y avait plus un seul livre sur les rayonnages et l’on avait exploré tous les tiroirs, armoires et autres contenants possibles. Pourtant un détail consola Charlotte : la cachette dissimulée derrière Clio n’avait pas été découverte. Le coup d’œil qu’elle échangea alors avec Léonie lui fit comprendre que sa cousine pensait la même chose. Quoi qu’il en soit, les voleurs n’avaient pas eu ce qu’ils étaient venus s’approprier... Sinon les neuf muses auraient été éventrées.
— Dire, soupira Charlotte, que nous venions seulement de finir de mettre de l’ordre dans les papiers de mon père ! Cette fois nous en avons pour des mois ! En attendant, allons voir nos gens ! Je veux les remercier et de leur courage et de leur fidélité. Il y en a beaucoup qui après deux émotions de ce genre se seraient enfuis sans plus attendre !
— On a les gens que l’on mérite ! dit Mlle Léonie d’une voix flûtée en tournant les talons à la suite de Charlotte. Et à ce propos...
— Oui ?
— Je voulais vous avertir de ce que... Oh, j’ai l’impression que ce n’est plus la peine.
Elles allaient traverser le salon où se tenait La Reynie mais Charlotte s’immobilisa. Son cœur manqua un battement. Debout devant son chef, Alban Delalande, de retour du jardin, était en train de lui faire son rapport :
— ... et en dépit des apparences, j’ai le sentiment que l’on n’a pas eu affaire à la même bande. Pour les premiers, l’un, entré par le jardin, a ouvert le portail aux autres. Ce coup-ci, tous sont entrés directement par la rue...
— Et s’ils avaient profité de leur visite pour prendre des empreintes de cire et faire fabriquer des clefs ?
— Je ne vois pas pourquoi. Les précédents sont venus pour tuer et se sont gardés de s’emparer ne serait-ce que d’une petite cuiller. Le message qu’ils ont laissé était clair : ils accomplissaient une vengeance. Les derniers se sont servis largement. En outre...
S’apercevant de la présence de Charlotte et de Léonie, il s’interrompit pour saluer les deux femmes
— Madame de Saint-Forgeat ! Veuillez croire que je suis désolé de vous revoir dans de telles circonstances.
— Bonjour, Monsieur Delalande... mais poursuivez, je vous en prie ! Vous disiez que mes voleurs ne sont pas ceux qui ont tué Mme de Fontenac et M. de La Pivardière ?
— Sincèrement j’en suis certain ! Outre ce que je viens de constater, il y a un détail que je dois au sens de l’observation de votre maître d’hôtel. Selon lui, le chef des exécuteurs était sans doute possible un gentilhomme.
—L’autre aussi de l’avis général ! dit La Reynie.
— Parce qu’ils étaient pareillement vêtus de noir et usaient d’une canne tous les deux, mais le premier boitait réellement tandis que l’autre faisait semblant.
— Comment cela ?
— Merlin a constaté que parfois il oubliait...
Il y eut un silence que La Reynie rompit rapidement :
— Ce qui signifie au moins qu’ils se connaissent pour permettre cette imitation.
— Pas forcément... Imaginons que le chef pillard ait pu connaître à une nuance près à quoi ressemblaient les éléments de la première bande, que quelqu’un ait pu le renseigner ?
— Si vous pensez à l’un de mes serviteurs, je le réfute ! Ils sont, sans exception, au-dessus de tout soupçon, fit Charlotte catégorique.
— Pas tous ceux qui officiaient avant le double meurtre! Par exemple l’ancienne femme de chambre de Mme de Fontenac, la dénommée Marion...
— N’est-elle pas en prison ? demanda Mlle Léonie.
L’auriez-vous relâchée ?
— Non, assura La Reynie, elle est toujours au Châ-telet, aussi ce ne peut être elle. Dans le premier cas, elle perdait gros avec une maîtresse dont elle était l’âme damnée - ce qui va probablement la mener à la potence - et dans le deuxième, du fond de son cachot, je ne vois pas comment elle aurait eu la possibilité de donner les renseignements nécessaires.
— Vous avez raison, admit Alban. Alors revenons-en au personnel actuel... Non, je vous en prie Madame, ne protestez pas. Il est probable parce que c’est humain - et même normal ! - qu’ils ne se soient pas privés de raconter leur aventure ici ou là en étant loin de penser à mal. Et l’affaire a fait du bruit en ville
—... et livré les empreintes des clefs ? fit Mlle Léonie. Cela me paraît difficile. Pour ce faire il faut du temps... et il faut être sur place !.... Oh, mon Dieu !
Saisie d’une idée qui visiblement l’offusquait, elle se cacha la bouche de ses deux mains tandis que son regard s’effarait. Elle était toujours si maîtresse d’elle-même que les trois autres la regardèrent, surpris.
— Que vous arrive-t-il ? S’inquiéta Charlotte.
Léonie la regarda avec une sorte de désespoir :
— Une idée... mais stupide! Cela pourrait être valable pour la description mais les empreintes... Non ! Tout de même pas !
— Et si vous nous laissiez juges ? suggéra Alban.
— Je crois deviner à quoi elle a pensé, reprit Charlotte. C’est au séjour que M. de Saint-Forgeat est venu faire ici pour se soigner. Il est évident que ce serait peut-être un peu fort ! Il doit ajouter foi aux fantômes, car le double meurtre commis dans cette maison le terrorisait. Il n’avait pas été enchanté que je lui octroie la chambre de ma mère mais par la suite il a fini par la trouver à son goût. Évidemment, il a fallu d’abord qu’on lui conte l’affaire par le menu mais cela n’a été qu’une fois... En outre, je ne le vois vraiment pas se procurant de la cire pour se livrer au petit travail en question. Il tient trop à sa grandeur et c’est juste s’il ne demande pas qu’on le mouche ! Alors salir ses belles mains blanches...
— Mais n’avait-il amené aucun serviteur ? demanda La Reynie.
— Si, bien sûr ! Anatole, son valet qui le bichonne, le poulotte, le pomponne, l’adonise comme s’il était sa nourrice. Par ailleurs un excellent garçon sans ombre de malice... Et vous ne trouverez personne ici pour me contredire...
— Vous n’imaginez pas, dit Alban, le nombre de braves garçons - en apparence ! - qui se révèlent d’excellents assassins. Si vous voulez bien m’excuser !
— Où vas-tu ? demanda La Reynie.
— A la cuisine causer avec Mathilde ! J’ai remarqué que Merlin n’est pas le seul à savoir observer.
— Je vous suis, fit Charlotte. Il faut que je parle à mes gens ! Au fait, pourquoi sont-ils restés en bas ? Il serait temps de commencer à remettre de l’ordre !
— C’est moi qui les ai priés d’attendre pour nous permettre d’examiner le champ de bataille afin d'essayer de relever des indices.
— Et vous en avez trouvé ?
— Peu de chose. Autant dire rien. L’opération a été menée avec un maximum de brutalité.
— Mais comment la Police a-t-elle été prévenue aussi vite ? Il n’est que quatre heures de l’après-midi...
— Oh, ce n’est pas compliqué. L’alerte a été donnée à l’aube par Jacquemin Lesourd, mon adjoint que j’ai spécialement chargé de veiller plus ou moins sur votre maison. Les portes étant restées grandes ouvertes comme lors du double assassinat, il n’a pas été long à se rendre compte de l’étendue des dégâts, alors il a appelé la Prévôté pour qu’elle diligente une garde, puis il a sauté à cheval, nous a alertés et tandis que nous venions ici, M. de La Reynie et moi, un messager courait à Versailles vous avertir...
Ils descendaient alors l’escalier menant à la cuisine. Charlotte s’arrêta à mi-chemin :
— Il semble que je doive vous remercier mais... pour quelle raison cette surveillance ?
Il s’immobilisa à son tour et se tourna vers elle :
— Ce sont d’abord les ordres de M. de La Reynie. Il estime que vous avez subi suffisamment de mauvais coups du sort pour que l’on n’essaye pas de vous en éviter d’autres. Et puis... j’aime énormément Mlle Léonie !
— Elle seulement ?
La petite phrase était sortie spontanément. S’apercevant qu’elle lui avait échappé, la jeune femme s’empourpra en se traitant mentalement de folle ! Qu’avait-elle à se soucier des sentiments de cet homme dont tout la séparait déjà depuis leur première rencontre et plus encore à présent que Louvois l’avait en quelque sorte marquée d’un sceau d’infamie. Elle n’avait plus le droit de laisser parler l’amour profond qu’elle éprouvait pour lui. L’honnête homme qu’il était ne pourrait plus que mépriser ce que la brutalité d’un autre avait fait d’elle: une de ces créatures. Comme la Cour en brassait à la pelle, que le mariage n’empêchait pas de passer d’amant en amant.
Descendu à deux marches d’elle, il la regardait comme s’il cherchait à fouiller son cœur. Elle voulut détourner la tête, continuer son chemin, mais de ses deux mains il la retint et la fit remonter à sa hauteur :
— Comme si vous ne saviez pas que je vous aime à en mourir ! murmura-t-il.
Et soudain, elle fut dans des bras. Une vague de bonheur la submergea tandis qu’il prenait ses lèvres avec une passion qui était le meilleur aveu de ce qu’il avait dû souffrir durant ces mois écoulés. Elle ferma les yeux pour mieux savourer cet instant de paradis, cette divine impression d’être parvenue à sa vraie place après tout ce temps vécu loin de lui. Sentir sa chaleur, sa force, l’amour qu’il osait enfin avouer ! Et puis mourir tout de suite après quand il faudrait bien remonter à la triste réalité ! Mais déjà la magie s’évanouissait. Une voix se fit entendre des profondeurs, les séparant si brusquement qu’elle faillit tomber. Il la retint d’une main ferme et sourit :
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