—    Si nous allions danser, ma chère ? C’est un exercice que nous n’avons encore jamais pratiqué ensemble !

—    Ah que gracieusement ces choses-là sont dites ! observa Madame en riant. Cet « exercice-là » vous tente-t-il, Charlotte ?

—    Absolument pas ! Avec la permission de Votre Altesse je préfère rester auprès d’Elle si Elle veut bien m’y autoriser !

—    Avec joie ! répondit la princesse en lui prenant le bras. Allez batifoler avec qui vous voudrez, Saint-Forgeat ! Moi, je garde votre épouse ! D’ailleurs on va bientôt souper !

Le 9 avril, on procéda aux fiançailles de la petite Mademoiselle - quinze ans - avec le duc Victor Amédée II, duc de Savoie et futur roi de Sardaigne, qui en avait dix-huit mais qui était absent. Pour le représenter, on fit choix du jeune duc du Maine, premier enfant de Louis XIV et de Mme de Montespan,  dont Madame pensa mourir de fureur. Un bâtard pour représenter son futur gendre ! Mais le bâtard en question était l’enfant chéri de Louis XIV et de Mme de Maintenon. C’était elle qui l’avait élevé, lui avait prodigué les soins nécessités par sa mauvaise santé et l'avait emmené à plusieurs reprises prendre les eaux de Barèges dans les Pyrénées. En outre, il avait quatorze ans alors que le duc de Chartres, le préféré de Madame, n’en avait pas tout à fait dix, ce qui était insuffisant. Quant au marquis Ferrero, ambassadeur de Savoie, ce n’était pas son rôle mais Madame n’en vit pas moins dans le choix de Maine une manœuvre de la Maintenon pour lui être désagréable. Elle n’avait peut-être pas tort, car il existait suffisamment de princes du sang pour remplir la fonction. Mais la Cour unanime proclama que ce mariage enfantin était vraiment charmant et il fallut en passer par là... Le lendemain, le cardinal de Bouillon bénit le mariage et aussitôt après la cérémonie, le Roi mit la jolie petite mariée en carrosse afin qu’elle rejoigne Chambéry où l’attendaient son époux véritable et une nouvelle bénédiction.

Madame pleurait, Monsieur aussi et un certain voile de tristesse s’étendit sur le palais, mais ce n’était en rien comparable aux noces de Fontainebleau qui avaient vu le départ d’une jeune et ravissante princesse pour le dramatique destin de reine d’Espagne qui l'attendait.

Quelques jours plus tard, d’ailleurs, le Roi partait pour un voyage de six semaines en Flandre. Il emmenait le Dauphin, la Dauphine, la princesse de Conti qui était la plus attrayante parmi ses enfants bâtards, et Mme de Maintenon, qui, évidemment, l’avait élevée. Madame, qui avait été de tous les autres déplacements, ne fut pas invitée et en conçut une peine que Monsieur soigna à sa manière :

—    Dès l’instant où j’avais refusé d’y aller, il n’y avait aucune raison pour que vous ne restiez pas chez vous ! Cela vous tentait tellement de courir les routes avec une femme que vous exécrez ? Personnellement, j’apprécie médiocrement de la voir toujours en tiers entre mon frère et moi.

—    Mais il y a notre Dauphine que j’aime beaucoup...

—    Billevesées ! Il est probable que l’on va prier sans discontinuer le long du chemin et faire pèlerinage à chaque église rencontrée ou du moins à chaque monastère. Il n’y a pas plus dévote qu’une parpaillote repentie !

—    Vous êtes gracieux, vous ! Et moi, que suis-je ?

—    Un cas à part ! Même si je ne vous avais pas épousée, vous auriez fini par vous convertir. Vous aimez trop rire pour être une bonne sectatrice du gros Luther !

—    Je n’ai plus guère d’occasions de rire !

—    Cela vous reviendra ! Et puis cessez de faire cette mine longue qui ne vous sied pas ! Tenez ! Rappelez donc la vieille Clérambault ! Elle vous rapportera un plein sac de potins et vous changera les idées puisque la petite Saint-Forgeat est obligée d’aller mettre de l’ordre dans sa maison de Saint-Germain !

En effet, le lendemain du mariage, Charlotte avait demandé un congé : l’hôtel de Fontenac avait reçu la visite de voleurs qui l’avaient bouleversé de fond en comble !

—    C’est gentil à vous de me rendre ma vieille amie, fit Madame après avoir mouché une larme d’attendrissement. Quant à Charlotte, je la plains ! Pauvre enfant ! On dirait que le sort s’acharne sur elle ! Je suis navrée de la voir partir ! Seule d’ailleurs, et à ce propos pouvez-vous me dire pourquoi le délicat Saint-Forgeat, qui a su si bien se faire soigner par elle, ne l’a pas accompagnée ?

Monsieur se mit à rire.

—    Vous l’avez dit vous-même, ma chère, c’est un délicat. Il a horreur du désordre, de la poussière et des scènes de drame. Cela offense son sens de l’esthétique. Je pense qu’il ira voir une fois le ménage fait !

—    Et que l’on n’aura plus besoin de lui ! Et cela vous amuse ?

—    Pourquoi non ? Personne n’est mort et les dégâts ne sont que matériels ! Rien de grave en somme.

—    En diriez-vous autant si l’on avait pillé Saint-Cloud?

—    C’est d’un goût ! Émit Monsieur, offusqué. Il n’y a aucune commune mesure voyons !

Il tourna le dos à sa femme et sortit du salon en répétant :

—    Piller Saint-Cloud ! Piller Saint-Cloud ! Je vous demande un peu !... Non mais !... Mon Dieu, quelle horreur !

CHAPITRE VIII

LA MAISON RAVAGÉE

—    Il semblerait que les pillards appartiennent à la même bande que celle des assassins de votre mère, dit Nicolas de La Reynie en accueillant Charlotte sur le perron de sa demeure. Une dizaine d’individus vêtus et masqués de noir sous les ordres d’un chef aux allures de gentilhomme. Cela dit, je crois qu’il va vous falloir énormément de courage...

—    C’est à ce point ?

—    Il n’y a guère que la cuisine à avoir été épargnée. C’est là que l’on a retrouvé vos domestiques ligotés...

—    Et ma cousine ?

—    Elle était avec eux et elle a subi le même sort mais...

—    Oh non !

Sans vouloir en entendre davantage, Charlotte s’était précipitée dans la maison, parcourait le vestibule - dont les tapisseries avaient été décrochées - et s’arrêtait dans le salon de conversation. Il semblait avoir subi un cyclone. Tous les meubles étaient renversés, vidés, fouillés, les tentures arrachées afin de voir sans doute si aucune cachette n’était dissimulée dans les murs, les objets précieux envolés. Seuls les lustres étaient encore en place et dominaient le désastre avec dignité.

—    Ces gens-là cherchaient on ne sait quoi, fit derrière elle la voix du lieutenant général de Police. Reste à savoir s’ils l’ont trouvé et ce que c’était.

—    Ce que c’était? répondit Charlotte en s’efforçant de contenir sa colère, je peux vous le dire : quelques pierres précieuses et surtout un magnifique diamant jonquille, jadis rapportés des Indes par mon père... mais que je n’ai jamais vus ni personne ici d'ailleurs !

—    Comment le savez-vous ?

Brièvement, la jeune femme rapporta les paroles du vieux Joseph, sans omettre la mention figurant sur le testament d’Hubert de Fontenac :

—    Maître Maublanc vous en apprendra autant..., conclut-elle.

—    Mais le document ne portait aucune indication de l'endroit où ces richesses se trouvaient ?

—    Aucune. Mon père nourrissait une véritable passion pour ces joyaux qu’il avait dû cacher soigneusement, connaissant l’avidité de son épouse, sans doute pour se réserver à lui seul le plaisir de les contempler. Quant à savoir si ces bandits les ont retrouvés...

—    Cela m’étonnerait grandement, intervint paisiblement Mlle Léonie qui, ayant entendu la voiture, venait embrasser Charlotte.

Inquiète, celle-ci la tint un instant à bout de bras pour mieux l’examiner, ce qui la fit rire :

—    Rassurez-vous, je suis indemne. Je ne suis même pas certaine d’avoir eu réellement peur. Ce n’est pas la mer à boire que passer une nuit en robe de chambre ficelée comme un saucisson sur l’une des chaises de la cuisine, et je suis une vieille dure à cuire !

—    Dieu soit loué qui vous a faite ce que vous êtes ! s’exclama Charlotte en la reprenant dans ses bras. J’ai eu si peur pour vous et aussi pour nos serviteurs ! Personne n’a été molesté ?

—    On a tous été accommodés à la même sauce et ils ont pris l’aventure en philosophes. Comme dit Mathilde, ce n’est qu’une habitude à prendre...

La Reynie ne put s’empêcher de rire :

—    On peut dire, ma chère, que vous avez des gens d’une espèce rare ! Mais revenons à nos moutons pourquoi affirmez-vous, Mademoiselle, que le trésor -appelons-le ainsi ! - n’a pas été découvert ?

—    Parce que, peu avant que la bande ne disparaisse aux approches du jour, j’ai entendu celui qui devait être le meneur clamer qu’ils perdaient leur temps et qu’à moins de démolir l’hôtel pierre à pierre...

—    Et s’il n’y avait rien à trouver ? murmura Charlotte. Après tout, nul n’a jamais vu ce diamant ni les autres pierres et un temps considérable s’est écoulé depuis que mon père est revenu de Golconde. Dieu sait ce qu’il a pu en advenir ?

—    Vous êtes bien désabusée.

—    Non, Léonie. Je commence à être fatiguée de ce qui n’est peut-être plus qu’une légende...

—    Une légende qui a la vie dure puisque même votre délicieux époux est au courant.

—    Oh lui ! Dès qu’un cabochon brille à son horizon il est prêt à croire n’importe quoi !

—    Un instant ! Coupa La Reynie dont le sourcil se fronçait. Ne venez-vous pas de le mentionner au nombre de ceux qui ont eu vent de cette « légende » ?

—    C’est vrai. Veuillez m’en excuser mais j’ai peur de l’avoir oublié. En gros, il le tenait de son père qui séjournait aux Indes en même temps que le mien. Lui y croit dur comme fer au diamant jaune. Je pense même - dût mon amour-propre en souffrir - que c’est la raison majeure de mon accession au titre de comtesse de Saint-Forgeat. Il voulait que je le lui prête pour le mariage savoyard et il a été bien déçu...