—    Il va te mettre à la porte, ton tailleur.

—    Certainement pas! J’ai de l’argent! Charlotte m’en a donné. C’est une bonne fille au fond...

—    Peut-être, mais ce n’est pas pour récolter quelques piécettes que je t’ai conduit là-bas !

—    Piécettes ? Comme tu y vas : trois mille livres !

—    Disons que c’est un début prometteur, concéda Lorraine, revenant au calme progressivement. Je te rappelle cependant que nous visions à l’étage supérieur. As-tu appris du nouveau sur ce que nous cherchons ?

Et comme Adhémar faisait son œil glauque, il clama à son tour :

—    Sur les pierres rapportées des Indes par le baron ?

—    Euh ! ... Nous avons eu un entretien là-dessus. Tiens, justement à propos du mariage savoyard, je lui ai demandé si elle aurait la gentillesse de me prêter le diamant jaune...

Le beau Philippe faillit s’étrangler :

—    Tu as ? ... Pas possible !

—    Pourquoi donc ? C’était normal entre mari et femme.

—    Et qu’a-t-elle répondu ?

—    Elle m’a ri au nez.

—    Qu’y avait-il de si drôle ?

—    Il faudrait le lui demander. En tout cas et immédiatement après, elle a juré ses grands dieux que ni sa mère ni elle n’ont jamais su quoi que ce soit sur le diamant. Elle, c’est compréhensible, elle était trop jeune ! Mais la défunte baronne c’est plus difficile à croire, car d’après Charlotte aucune force humaine n’aurait pu l’empêcher de s’en parer. N’étant plus reçue à la Cour sauf chez la Maintenon, c’eût été une excellente occasion d’obtenir une invitation pour cause de curiosité. Le Roi lui-même aurait voulu contempler la merveille !

—    Donc tu la crois ?

—    Le moyen de faire autrement ?

—  Il fallait chercher, que diable! Chercher! Tu comprends ce que ça veut dire ? C’est fouiller les tiroirs, les armoires, explorer les recoins, les cachettes possibles ! Il se peut que ta Charlotte t’ait dit la vérité, qu’elle ne sache rien du diamant, et peut-être était-ce vrai aussi de la Fontenac. Les collectionneurs d’objets rares se partagent en deux catégories : ceux, comme Monsieur, qui font étalage de leurs trésors pour se repaître de l’admiration des autres, et ceux, au contraire, qui les cachent afin de s’en réserver la seule jouissance. Et fais-moi confiance, ce sont ceux-là les plus fervents, conclut Lorraine qui parut soudain s’abîmer dans une profonde méditation.

Ce que voyant, Saint-Forgeat en profita pour continuer ses petits rangements. Il en était à déposer dans le tiroir d’un secrétaire les bijoux empruntés à Charlotte quand Lorraine remonta des profondeurs de ses pensées. Il faut dire que le bel ami de Monsieur possédait un flair particulier pour déceler la moindre pierre précieuse quand elle passait à sa portée. Il ouvrit un œil :

—    Qu’est-ce que tu ranges là ?

—    Les bijoux de la défunte baronne. Ils étaient dans une cassette sur un meuble de sa chambre où l’on m’a logé...

—    Je sais. Tu oublies que j’y étais. Voyons un peu !

Adhémar versa sur le lit le contenu du sac de velours, libérant un joli collier de perles parsemé de petites émeraudes, deux bracelets de camées antiques enrichis de diamants, une parure d’améthystes et de perles, une deuxième de turquoises, des agrafes et divers colifichets que le chevalier mania du bout de ses doigts gantés de soie :

—    C’est acceptable, fit-il, mais aucun point commun avec ce que nous cherchons. Tu pourras en tirer quelques écus mais ce qui m’étonne c’est qu’elle te les ait donnés ?

—    Rien d’étonnant, elle détestait sa mère et songe à refaire entièrement la chambre après en avoir vendu le mobilier.

—    Si l’on tient compte du genre de mort de la dame, je dirais qu’à sa place j’en ferais autant. Enfin on peut constater que le baron n’était guère généreux, ce qui renforce ma conviction qu’en matière de joyaux il devait garder les plus beaux par-devers lui. Conclusion : il faut chercher !

—    Ah non, prévint Saint-Forgeat, tu ne vas pas me réexpédier avant les noces ?

—    Nous allons faire mieux. À la réflexion, tu as eu raison de revenir, cela te mettra hors de cause.

—    Qu’es-tu en train de concocter ?

—    Pourquoi donc ne pas cambrioler l’hôtel de Fon-tenac en l’absence de ses maîtres ? Je connais les gens adéquats...

—    Tu es fou ? S’ils découvrent le trésor, ils seraient tentés de le garder pour eux !

—    Ils me connaissent suffisamment pour ne pas ignorer ce qu’ils risqueraient à ce jeu. Il se peut d’ailleurs que je leur tienne compagnie ! ... Tu vas me tracer soigneusement le plan des lieux en y ajoutant la valetaille, en indiquant où elle vit et quelles sont se habitudes. Tu en es capable, j’espère ?

—    Sans aucun doute, mais tu oublies un détail... ou plutôt un hic : la vieille cousine, qui, elle, ne suivra pas Charlotte chez Madame. Elle est futée comme une souris et elle pourrait constituer un obstacle...

—    Une souris est une bestiole que l’on prend au piège et qu’après on écrase..., fit le chevalier avec une cruauté qui effraya Adhémar.

—    Tu ne vas pas te remettre à tuer du monde ? Il y a eu largement assez de sang dans cette maison qui m’appartient tout de même un peu... et dont je ne te cache pas que je trouve le séjour plaisant.

—    On en tiendra compte. Il suffira de la ligoter convenablement. Sais-tu quand ta femme doit arriver ?

—    Demain ou après-demain, je pense. Elle ne pourra pas faire moins que rester auprès de Madame deux ou trois semaines...

—    Mais c’est à merveille ! Va voir ton tailleur !

Ce ne fut pas sans une certaine émotion - pas tellement agréable au demeurant - que Charlotte revit Versailles. Elle l’avait quitté dans des circonstances trop dramatiques pour n’en pas garder un goût amer. Mais il y avait Madame, son cœur immense et la joie qu’elle manifesta de la revoir :

—    Enfin je retrouve une de mes petites filles ! s’écria-t-elle en bousculant allègrement le protocole pour prendre la revenante dans ses bras. Vous n’imaginez pas combien vous me manquiez toutes les trois ! Au moins j’en récupère une !

—    Votre Altesse Royale a-t-elle des nouvelles de Mme de Beuvron et de Mlle de Neuville... Je veux dire Mme de Grand-Mesnil ?

—    Oui. Theobon va bien. Elle est au couvent de Port-Royal où elle s’ennuie à périr mais je compte obtenir incessamment la permission de la visiter. Quant à notre Cécile, je l’ai invitée comme vous le pensez bien mais elle attend un enfant pour un jour prochain. Ce sera donc pour plus tard...

—    Elle va bien ?

—    Pour la santé, j’en suis persuadée. Mais pour le moral - car c’est cela qui vous intéresse, n’est-il pas vrai ? - il semblerait qu’elle s’accommode mieux que nous ne le pensions de son gros vieux mari qui se met en quatre pour lui faire plaisir. Nous la reverrons, je pense, cet été à Saint-Cloud. Mais... et vous ?

—    Oh moi ! ... Je ne suis pas fort intéressante !

—    Ah, vous trouvez ? Ou c’est de la mauvaise foi ou c’est de l’inconscience ! Voilà des semaines que vous mettez sur les dents les cancanières de la Cour et vous me sortez cette énormité ? Que n’a-t-on pas glosé sur votre disparition ! Le moindre était que vous aviez pris la poudre d’escampette pour un galant mieux outillé que ce pauvre Saint-Forgeat, le pire que vous aviez sauté à la figure de la Maintenon et que, pour vous apprendre à vivre, vous pourrissiez dans quelque cul-de-basse-fosse provincial à Pierre-Encise ou au château d’If !

—    Rien d’aussi dramatique! La Bastille d’abord puis une maison... de repos, un trou perdu dans une forêt parce que j’étais tombée malade ! Mais puis-je me permettre de demander à Madame comment elle se porte elle-même ?

—    Moi ? Je garde bon pied bon œil mais je suis en train de devenir quinteuse comme un vieux chien. Le prochain départ de notre Anne-Marie me désole parce que je l’aime à l’égal de ma fille. Cependant je suis moins soucieuse que pour le mariage de la reine d’Espagne. Le duc Victor-Amédée de Savoie est un homme normal et n’a rien de répugnant à ce que l’on m’a dit. En outre, la vie qu’on mène à la cour de Turin est presque semblable à celle que nous menons ici. Pas d’autodafé à craindre !

—    Et à Madrid ? Tout se passe bien ?

Les yeux de la Palatine firent le tour de son cabinet comme si elle craignait d’y déceler un espion tapi der-rière un rideau ou une étagère de livres, puis, prenant

Charlotte par le bras, elle l’entraîna dans l’embrasure d’une fenêtre. Sa voix baissa jusqu’au chuchotement :

—    Je ne peux que l’espérer, pourtant je ne suis pas tranquille. Figurez-vous que Saint-Chamant est reparti là-bas.

—    Le Roi l’y avait-il autorisé ?

—    Justement non ! Il m’est venu voir discrètement avant son départ me demander si je voulais lui confier une lettre pour la Reine, mais je me suis contentée d’un message verbal. Cet idiot est tellement maladroit qu’il est capable de se faire prendre et je n’ai nulle vocation à me retrouver en face de lui sur un échafaud avec entre nous un gaillard rouge armé d’une grande épée.

—    N’est-ce pas un brin exagéré ? remarqua Charlotte en riant.

—    Eh bien, je me le demande ! Mes relations avec notre Roi ne sont plus ce qu’elles étaient. Il voit avec plaisir Monsieur et même ses amis. Le chevalier de Lorraine est des plus révérencieux vis-à-vis de la Maintenon... mais moi je n’ai pas été invitée à la dernière chasse...

—    Oh ! Compatit Charlotte, navrée du ton douloureux de la princesse.

—    L’influence de cette mégère croît de jour en jour. Certains pensent qu’il l’a épousée morganatiquement et je me refuse à accepter une pareille idée ! Ce serait trop affreux ! Pourtant... il est des signes grandement inquiétants... Ce jour où elle est restée assise auprès du Roi quand nous autres princesses sommes entrées ! Je suis d’ailleurs repartie aussitôt...