— Vous voulez plaisanter ?
— Oh, je n’en ai pas la moindre envie ! Les années ont passé depuis que nos pères couraient les mers. Le vôtre est-il revenu en même temps que le mien ?
— Non. Ils se sont rencontrés là-bas mais... M. de Fontenac voyageait sur le bateau du célèbre Tavernier qui a procuré au Roi ses plus beaux diamants...
Charlotte vit là une échappatoire possible :
— Et vous pensez que cet homme aurait permis, même à un ami, d’acheter une pierre exceptionnelle donc digne d’être rapportée au Roi ? Il était comment ce diamant ?
— Je vous l’ai dit : jaune !
— Gros comment ?
— Plus gros qu’un œuf de pigeon et d’une pureté, d’une eau, d’un éclat ! Un vrai petit soleil !
— Eh bien je peux vous assurer que ce soleil-là n’a jamais brillé ici ! Je le saurais tout de même !
Vous étiez une fillette quand on vous a mise au couvent. On n’allait pas vous confier un secret pareil.
— Soit, je peux l’admettre, mais ce prétendu achat a eu lieu longtemps avant que mon père n’épouse Mlle de Chamoiseau... Vous n’avez pas connu ma mère j’imagine ?
— Évidemment non. Je sais seulement d’expérience que c’était une dame de goût, aimant les belles choses...
— ... et terriblement coquette. Ce fût un mariage d’amour. De la part de mon père, s’entend, et il y eût une période où il se plaisait à la parer. Mais vous pouvez être sûr que, s’il avait possédé un joyau aussi exceptionnel, elle n’aurait pas résisté à l’envie de le porter. Tout le monde en aurait parlé. Or il n’en a jamais été question...
— M. de Fontenac préférait peut-être le cacher afin de ne pas exciter les convoitises ?
— Sur ce chapitre il était impossible de dissimuler quoi que ce soit à ma mère ! fit Charlotte amèrement. Elle aurait retourné la maison de fond en comble pour mettre la main dessus ! Quant à mon père, en admettant qu’il ait pu se le procurer, il a pu également se le faire voler... ou le perdre. C’est loin les Indes et les routes qui y mènent sont dangereuses...
— On n’a jamais rien volé à M. Tavemier ! fit Adhémar, têtu.
— Qu’en savez-vous ?... Allons ne faites pas cette figure et consolez-vous. Si j’avais possédé ce joyau et que je vous eusse permis de le porter, vous ne l’auriez pas gardé longtemps !
— La Cour n’est pas un coupe-gorge que je sache !
— Non, mais Monsieur en aurait fait une maladie et n’aurait eu de cesse de l’acheter. Sans parler de votre ami Lorraine qu’une parure de cette importance n’aurait pas laissé indifférent...
— Il y a belle lurette qu’il le sait ! Laissa échapper distraitement Saint-Forgeat.
Mais pour Charlotte ces quelques mots furent un trait de lumière.
— Vraiment ? Et depuis quand ?
— Oh, je l’ignore ! Nous sommes amis depuis tant d’années...
— Et vous-même, quand donc votre père vous a-t-il raconté cela ?
— Oooooh ! C’était... Peu avant sa mort, au moment où le chevalier m’a présenté à Monsieur et où je suis entré à son service... J'allais à la Cour et il pensait que j’y rencontrerais peut-être ce baron de Fontenac et son diamant dont, je peux vous l’avouer, il enrageait de n’avoir pas mis la main dessus avant lui...
— Vous ne l’avez pas rencontré, lui, mais vous m’avez trouvée moi ! Et voilà, j’imagine, la raison pour laquelle vous avez mis tant de constance à vouloir m’épouser ? Vous pensiez que ce joyau mythique constituerait une dot suffisante...
— Oui... Non ! Se hâta-t-il de corriger. Vous étiez charmante et il faut qu’un jour un gentilhomme se marie !
Mais le siège de Charlotte était fait et elle s’y tiendrait : un demi-sourire aux lèvres mais la colère au fond du cœur, elle se leva afin d’obliger Adhémar à l’imiter :
— Eh bien, mon cher, vous avez rêvé pour rien. Croyez que j’en suis désolée. Cela dit, je vais écrire un mot à maître Maublanc qui vous donnera vos trois mille livres. Ensuite vous pourrez vaquer à vos préparatifs.
Déjà consolé, il bondit sur ses pieds :
— Vraiment cela ne vous ennuie pas que je parte avant vous ?
— Mais non. Nous nous reverrons à Versailles ou à Saint-Cloud ! Je vais vous remettre une lettre pour Madame et donner l’ordre d’atteler la voiture afin de vous conduire au Palais-Royal. Allez à vos affaires !
Soudain rayonnant, il lui prit la main, la baisa en proclamant qu’elle était un ange, exécuta une pirouette et se dirigea vers l’escalier en chantonnant un menuet Il avait à peine disparu que Mlle Léonie se matérialisait à sa place :
— Inutile de me raconter, déclara-t-elle. J’écoutais derrière la porte, je n’ignore rien et n’en ai aucun regret : cela en valait la peine !
— Ah, vous trouvez ?
— Disons qu’au moins la situation est claire. Vous savez pourquoi on vous a épousée... sauf votre respect !
— Rassurez-vous, je n’avais pas la moindre illusion à ce sujet, fit Charlotte en prenant une feuille de papier où elle griffonna une note à l’intention de son notaire. Elle la sabla, la cacheta de cire verte et la déposa devant elle avant d’en prendre une autre où, sur l’instant, elle n’écrivit rien.
— J’espère ne pas mettre un comble à mon indiscré-tion mais je n’ai pas saisi le montant de la somme que vous lui avez octroyée ?
— Trois mille livres !
— C’est déjà copieux mais il y reviendra... à moins qu’il ne parvienne à dénicher ce maudit diamant.
Charlotte reposa la plume qu’elle avait repris :
— Sincèrement, ma cousine, vous y croyez ?
— Non seulement j’y crois mais je pense qu’il faudrait que nous nous décidions sérieusement à nous mettre à sa recherche. Réfléchissez, Charlotte ! Le vieux Joseph savait que son maître avait rapporté des pierres précieuses qu’il gardait jalousement. Votre père y a fait allusion devant maître Maublanc et voilà qu’il nous tombe un témoin inattendu : le défunt comte de Saint-Forgeat qui a dû voir le diamant lui filer sous le nez et ne s’en est pas remis ! Et souvenez-vous de l’obstination que l’on a mise à vous marier ! Étant donné votre situation d’alors, cela n’avait pas de sens...
— Sans doute, mais lorsque mon père nous a quittés pourquoi ne vous en a-t-il rien dit ? Vous aviez sa confiance et...
— Mais on ne lui en a pas laissé le loisir, ma chère petite ! La mort l’a surpris si brutalement ! Il a seulement réussi à m’indiquer où se trouvait la preuve de son assassinat...
— Preuve qui a disparu. Et si ma mère, certainement au courant de cette preuve, était tombée en même temps sur le diamant ? La cachette dans le panneau de Clio n’a pas été pratiquée uniquement pour que mon père y dissimule la lettre et le paquet de poison ? Les pierres pouvaient y être aussi et, dans sa pensée d’agonisant, il a pu supposer que vous feriez, si j’ose dire, d'une pierre deux coups. Malheureusement c’est sa meurtrière qui a gagné.
— Non, non et non ! Je refuse d’y croire parce qu’il n’y avait strictement rien d’autre quand j’ai ouvert ! Quant à Marie-Jeanne, il se peut qu’elle ait eu vent de quelque chose sinon pourquoi ces heures passées enfermée à clef dans la librairie ? En outre, elle était vaniteuse, rouée sans doute mais pas assez intelligente pour résister à la tentation de se parer d’un tel joyau. Sans compter les autres pierres qui l’accompagnaient et dont, cette fois, nous ne savons rien : ni ce qu’elles étaient, ni leur nombre, et celles-là, elle n’aurait pas résisté à l’envie de les faire monter pour s’en parer.
— Nous n’en sortirons pas ! Soupira Charlotte en se laissant aller au fond de son fauteuil...
L’apparition outragée de Mathilde au seuil de la porte créa une saine diversion :
— J’aimerais savoir, clama-t-elle, ce que je dois faire du dîner. On devrait être à table depuis près d’une demi-heure! Or, M. le comte fait ses bagages tandis que Mme la comtesse et Mlle Léonie bavardent tranquillement ? Ça ne va pas être mangeable !
Charlotte se leva et se mit à rire :
— Eh bien, servez-nous ce qui l’est encore... et recevez nos excuses !
Si Mme de Saint-Forgeat avait reçu le don d’ubiquité et assisté au retour de son époux au Palais Royal elle eût été plus édifiée qu’elle ne le pensait. Quand celui-ci, non sans plaisir parce qu’il s’y trouvait bien, eut regagné son petit logis, il eut la surprise de voir surgir le chevalier sous un aspect inattendu. Rouge, ébouriffé d’avoir couru et fulminant de colère, il lança d’entrée :
— Mais qu’est-ce que tu viens faire ici ? Je t’ai vu arriver et je n’en croyais pas mes yeux...
Déjà occupé à traquer dans son miroir préféré la poussière de la route sur son visage, Saint-Forgeat le regarda avec indignation :
— Comment ce que je viens faire ici ? Assister au mariage de la petite Mademoiselle, parbleu !
— Tu n’es pas invité !
— J’appartiens toujours à la maison de Monsieur. Donc je le suis naturellement !
— Dans ce cas, je vais te faire rayer de la liste et tu repars !
— Mais enfin, pourquoi ?
— Il n’entrait pas dans nos conventions que tu rappliques si tôt. On va redescendre tes bagages !
Semblable au mouton mordu par un chien enragé, l'aimable Saint-Forgeat piqua une crise. Sans arriver jusqu’au contre-ut, sa voix grimpa de plusieurs octaves :
— Il n’en est pas question ! De quoi aurais-je l’air ? Mon épouse est conviée, par Madame en personne, aux festivités, et moi je devrais regagner mes pénates ? N’y compte pas, chevalier ! J’y suis, j’y reste ! D’ailleurs, j’ai une foule de choses à faire ! Voir mon tailleur...
"La chambre du Roi" отзывы
Отзывы читателей о книге "La chambre du Roi". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "La chambre du Roi" друзьям в соцсетях.