—    Il l’est notamment pour Lorraine et Effiat. En outre, il estime qu’une bonne épouse se doit de secourir celui dont elle porte le nom.

Cette fois, le mot était lâché et Charlotte avait compris. Cela s’accordait trop avec la confidence de maître Maublanc :

—    Mais enfin, lorsque nous nous sommes mariés il y a... un peu plus d’un an, on ne cessait de me ressasser que j’avais une chance inespérée de porter un beau nom et de jouir d’une grande fortune.

—    Le nom est toujours là, tout de même ! fit Adhémar offusqué. Quant à la fortune... il se trouve que je raffole du jeu...

Et là-dessus il se remit à pleurer !

Charlotte en avait entendu suffisamment. Elle reposa sur le lit la main qu’elle tenait et sortit de la chambre pour aller retrouver sa cousine.

—    Que vous êtes-vous dit pendant tout ce temps ? demanda celle-ci.

—    C’était instructif ! Je l’ai confessé...

—    Ce qui veut dire que vous garderez le silence à ce sujet.

—    Je ne suis pas prêtre. En fait, si je ne veux pas garder Adhémar chez moi jusqu’à la consommation des siècles, il me faut payer ses dettes et lui procurer lus moyens de reparaître dans les entours de Monsieur.

— Et vous allez le faire ?

—    Honnêtement je ne sais pas. Il faudrait d’abord savoir de quelle somme il voudrait disposer.

Mlle Léonie fit la grimace :

—    Si vous voulez accepter un conseil, ne vous engagez pas dans cette voie. S’il obtient cet argent trop facilement, il reviendra à la charge encore et encore jusqu’à ce qu’il vous ait ruinée. Un joueur impénitent est une plaie qui ne guérit jamais!

— C’est aussi ce que je pense, mais si je refuse il va s'éterniser, déambuler dans la maison à se lamenter et peut-être à chercher ce qu’il pourrait subtiliser pour boucher ses trous les plus urgents. Ne l’avez-vous pas trouvé assis devant la table à coiffer en train d’examiner les bijoux qu’elle y laissait traîner ?....

—    ... En regardant quel effet le collier de perles pro-duirait sur lui... Je serais tentée de vous conseiller de lui donner puisque vous vous vouliez vous en défaire, mais il en tirerait je ne sais quelle conclusion puisque, en principe, les joyaux classés souvenirs de famille sont les derniers objets dont on se sépare. Pour l’instant, laissons-le « guérir ». Il est un brin encombrant mais supportable. Mais tâchez de savoir à combien se montent ses besoins immédiats. En toutes choses, mais en particulier dans les histoires d’argent, il ne faut rien précipiter.

On s’en tint là. Saint-Forgeat « garda la chambre  encore quelques jours. Charlotte le visita une ou deux fois en s’efforçant de s’en tenir aux sujets anodins et en laissant soigneusement à l’écart ceux qui fâchent De son côté, Mlle Léonie avait chargé Mathilde, Ia cuisinière, de tirer les vers du nez d’Anatole, ce qui ne se révéla pas épuisant. Sans doute, justement, parce qu’il n’avait rien à dire. C’était un Normand paisible du genre bovin, satisfait de son travail, ne se compliquant pas l’existence, solide et attaché à un maître qui ne le molestait pas et avec lequel il avait grandi. Il faisait preuve d’un bel appétit, n’appréciant rien tant que bien manger et bien boire.

Comme elle le nourrissait en conséquence, Mathilde apprit que Saint-Forgeat était un bon garçon, certes entiché de fanfreluches, de rubans, de colifichets et autres, mais totalement incapable de faire du mal à une mouche.

Cela était rassurant mais jusqu’à quel point pouvait on faire crédit à un fidèle serviteur dont l’intelligence limitée pourrait ne pas lui permettre de suspecter l’aimable Adhémar de nourrir secrètement de noir desseins ?

CHAPITRE VII

OÙ CHARLOTTE APPREND UNE VÉRITÉ...

Après quinze jours à se prélasser dans son cocon rose où il avait fini par se sentir pleinement à l’aise, Saint-Forgeat, dont Anatole avait annoncé qu’il dînerait avec ces dames », fit un beau matin son apparition. Il retrouva Charlotte dans la bibliothèque. Elle en avait fini avec le désordre et, assise à la grande table, elle lisait une lettre qu’un courrier venait d’apporter. À l’entrée de son mari, elle leva la tête et lui sourit:

—    Un instant, s’il vous plaît. Cette lettre est de Madame... Asseyez-vous.

Mais au lieu d’obtempérer, il alla se poster derrière

Charlotte en tirant son face-à-main afin de lire pardessus son épaule.

—    Ah, ah !... Et que dit-elle ?

Aussitôt elle rabattit le papier contre sa gorge.

—    Entre autres des choses qui ne regardent que moi. Mais je consens à vous confier qu’elle souhaite me voir au mariage de sa belle-fille.

—    Et elle ne parle pas de moi ? Je veux dire, l’invitation n’est pas pour vous seule, j’imagine ?

—    Mon Dieu, si ! La princesse n’a même pas l’air de soupçonner que vous êtes ici. Apparemment, le chevalier de Lorraine a bien gardé le secret.

Il se mit à arpenter la vaste pièce en agitant son binocle et en reniflant, la mine offensée :

—    Je ne lui en demandais pas tant !

—    N’en avez-vous pas reçu des nouvelles ? interrogea Charlotte, qui savait parfaitement qu’il n’en était rien.

—    Aucune et nous voilà, vous et moi, dans une situation ridicule : on vous invite à des noces auxquelles, moi votre époux, je ne suis pas convié !

—    Etait-ce bien nécessaire ?

—    Comment cela ?

—    Qu’appartenant toujours il me semble à la maison de Monsieur, étant de surcroît de ses intimes, il coulait de source que vous deviez l’être. Vous aurait-on envoyé un faire-part quand la princesse Marie-Louise est devenue reine d’Espagne? En outre, vous êtes venu ici vous soigner. Ce n’était pas l’exil.

Il arrêta sa promenade en tapotant son menton de son binocle. Son attitude restait celle d’un coq offensé mais la déception n’y était plus :

—    Vous avez mille fois raison, ma chère ! Nous irons donc ensemble ! lança-t-il avec satisfaction.

Une satisfaction qui s’éclipsa en un clin d’œil.

—    ... Mais nous en sommes revenus où nous en étions la semaine dernière. Comment paraître à des noces quasi royales attifé à la mode de l’an passé ?

—    En effet, murmura Charlotte, nous y voilà !

Elle savait que la question financière reviendrait sur le tapis et elle était étonnée qu’elle ne se soit pas manifestée plus tôt, mais elle eût envie, soudain, de s'amuser un peu :

—    Finalement, rien ne vous oblige à y aller. Vous êtes souffrant et l’épouse dévouée que je suis ne saurait se rendre à des fêtes tandis que vous agonisez !

Il poussa un cri d’horreur :

—  A quoi songez-vous ? À offenser Madame en refusant d’être auprès d’elle à l’occasion d’un événement de cette importance ?

— Oh, Madame est une bonne personne et elle me connaît. Je suis sûre qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur. J’irai le lui expliquer un jour prochain...

—  Mais vous êtes folle, ma parole ? Vous savez combien Madame est attachée au rang et aux égards dus à la belle-sœur du Roi ! Elle ne pourrait pas vous pardonner !

—    Gageons que si !

Il devint aussi rouge que les rubans qui accompagnaient si plaisamment sa perruque noire :

—    Et moi je dis que non ! Vous portez mon nom, ne Oubliez pas, et de ce fait vous me devez obéissance ! En outre...

—     Asseyez-vous !

—    Que je..., fit-il, douché par la froideur du ton.

—    ... vous vous asseyez ! Nous avons à parler et je voudrais que vous cessiez de vous agiter ! Vous me donnez le tournis !

Il obéit machinalement.

—    Vous ne m’avez pas caché que vous aviez besoin d'argent. Alors combien vous faut-il pour reparaître chez Monsieur ?

—    Trois mille livres... me permettraient de parer au plus pressé !

La seconde partie de la phrase fit froncer les sourcils de Charlotte. En clair, cela laissait prévoir d’autres appels à sa bourse dans les temps à venir.

—    Cela signifie payer quelques dettes et vous commander de nouveaux atours ?

—    Oui. Encore devrais-je éviter les ornements dispendieux coutumiers à Monsieur et à mon ami Lorraine. Mais... il me vient une idée ! ajouta-t-il en dressant un doigt en l’air comme si l’idée en question lui était soufflée par le Saint-Esprit.

—    Laquelle ?

—    Eh bien, pourquoi ne porterais-je pas certains de vos joyaux de famille ?

—    Mes joyaux de famille ? La totalité est dans... votre chambre puisque je ne possède que ceux de ma mère. Servez-vous ! concéda-t-elle avec une nuance de dédain.

—    Allons, ma chère, les cachotteries ne sont pas de mise entre époux. Je veux parler de ceux que votre père a rapportés de Golconde dans sa jeunesse.

Une poutre du plafond en s’abattant devant elle aurait moins surpris Charlotte :

—    Des joyaux ?... Golconde ?... Qui diable a pu vous raconter pareille histoire ?

—    Mon père ! Il se trouvait aux Indes à la même époque que le vôtre et ils s’y sont connus. Le baron de Fontenac avait une véritable passion pour les belles pierres et en a rapporté de superbes. Parmi lesquelles un gros diamant jaune... l’œil de... je ne sais plus qui ! J’adore le jaune ! Il me sied à merveille alors qu’il ne saurait convenir à la nuance particulière de vos cheveux...

A mesure qu’il parlait, son excitation grandissait. Revenue de sa surprise, Charlotte jugea utile de doucher cet enthousiasme intempestif. Du plat de la main elle frappa le bois du bureau :

—    Je vous arrête tout net ! fit-elle après un bref éclat de rire. Il est possible que mon père, qui était alors très jeune, ait rapporté des... souvenirs, mais je peux vous affirmer que ni ma mère ni moi n’en avons jamais eu connaissance...