— Cela ne m’a pas échappé, ma chère demoiselle. Aussi ai-je pris sur moi d’aviser de cette visite M. de La Reynie que je connais de longue date et qui ne m’a pas caché tout le bien qu’il pense de vous. Il m’a remercié d’ailleurs, en ajoutant que Mme de Saint- Forgeat serait surveillée dès l’instant où elle réapparaîtrait. N’importe comment, un accident fatal survenant à présent serait d’un effet déplorable aux yeux de Sa Majesté et le mari coupable, même par personne interposée, n’aurait, j’ai l’impression, guère le temps de jouir des biens si mal acquis. Mais laissons... Voulez-vous que nous en venions à voir ensemble en quoi consiste votre héritage ? Il est d’importance...
Charlotte eut un geste traduisant son manque d’intérêt, mais Mlle Léonie ne l’entendait pas ainsi :
— Voyons l’héritage ! Mais dites seulement le principal ! Comme vous pouvez vous en rendre compte, ma jeune cousine n’est guère en état de s’occuper des questions d’argent. Il devrait lui suffire de savoir qu’elle n’en sera pas dépourvue.
— Cela ne risque pas. Disons qu’outre cet hôtel, M. de Fontenac possédait, dans Paris, plusieurs maisons louées à bail, des fonds d’État, des actions de la Compagnie des Indes, plus cinquante mille écus de numéraire placés à ma convenance. La défunte Mme de Fontenac touchait les importants revenus de la totalité. Vous en êtes désormais bénéficiaire et je vous les verserai chaque mois comme j’en usais avec elle. En outre - mais cela elle n’en a rien su -, le baron m’a confié avoir rapporté de son voyage aux Indes un certain nombre de pierres précieuses non montées qu’il gardait par-devers lui afin de s’en réserver la jouissance. Voyez-vous, il s’était pris de passion pour ces étincelants cailloux qu’il tenait jalousement cachés... Eu égard à notre amitié, il m’en avait parlé mais sans révéler, évidemment, l’endroit où il les gardait.
— Personne n’était au courant, dit Mlle Léonie, et même à moi qu’il aimait bien, mon cousin Hubert l’avait dissimulé. C’est par Joseph, son valet qui était auprès de lui depuis l’enfance et l’avait accompagné dans ses voyages, que j’en ai eu des échos ! J’avoue n’y avoir attaché qu’une créance minime car il commençait à se faire vieux.
— Qu’est-il devenu ?
— Il est mort dans les bras de l’aubergiste du Bon Roy Henry dont la femme l’avait découvert agonisant sur un montoir à chevaux du marché. Mme de Fontenac ne tolérant chez elle que les gens capables de travailler l’avait expulsé à la suite d’une maladie.
— Lui aussi ? s’indigna Charlotte.
— Oui, lui aussi ! Mais pour en revenir aux joyaux vrais ou supposés, Joseph m’en avait parlé une fois ou deux quand nous étions seuls dans la cuisine à nous chauffer tard le soir. J’avoue avoir été dubitative... il affirmait qu’il y avait surtout un diamant jaune plus gros qu’un œuf de pigeon !
— Eh bien, il va vous falloir chercher, mesdames ! constata rondement maître Maublanc. J’ai connu des occupations plus désagréables ! À présent et avec votre permission, je vais vous quitter mais, auparavant... je vous demanderai quelques signatures, Madame la comtesse et, en échange...
De son maroquin il tira deux sacs d’écus agréablement arrondis qu’il posa sur la table :
— Dans les derniers temps, Mme la baronne avait d’incessants besoins d’argent et elle avait absorbé les revenus d’un trimestre. A sa mort, j’ai vendu un petit bien afin de rétablir l’équilibre. Vous avez ici trois cents écus mais si vous en désirez davantage... J’ajoute que vos serviteurs ont été rémunérés pour le service effectué depuis son décès.
Charlotte remercia le notaire et lui proposa de boire quelque chose mais il refusa avec un bon sourire :
— Soyez sûre j’eusse réclamé si la nécessité s’en était fait sentir mais ce sera pour une autre fois. J’avoue être pressé... mais je vous remercie et surtout –il garda un instant dans la sienne la main que Charlotte lui avait tendue - prenez soin de vous !
— Je suis là pour y veiller, assura Mlle Léonie. Je vous raccompagne, Maître !
En revenant, elle trouva la jeune femme debout devant le bureau, l’œil fixé sur les deux sacs qu’elle n’avait même pas songé à ouvrir :
— On dirait qu’ils vous font peur ? dit-elle en défaisant le lien de l’un d’eux. Ce n’est que de l’or, vous savez ?
— C’est que je n’en ai jamais eu autant en ma possession... Où allons-nous ranger cela ?
— Chez vous, dans un coffre ou une armoire... ou alors...
Elle se dirigea vers le panneau de bois à l’effigie de Clio, muse de l’Histoire, et fit jouer un ressort découvrant une cachette vide. Charlotte ouvrit de grands yeux :
— Qu’est-ce ?
— Vous le voyez : une cachette. Votre père, avant de mourir, me l’avait révélée. Elle contenait la preuve de son assassinat. Une lettre et un petit paquet. Hélas, j’ai eu à peine le temps de déplier la lettre. Votre mère arrivait et j’ai dû me dépêcher de remettre mes trouvailles dans leur logement. Ensuite il ne m’a plus été possible de franchir le seuil de cette pièce. Elle était fermée à clef et seule Marie-Jeanne pouvait y entrer. Après l’incendie, l’un des policiers a réussi à ouvrir le panneau mais les preuves s’étaient envolées...
— Ma mère sans doute ! Eh bien, cela me semble l’endroit idéal pour y ranger nos finances...
Merlin vint annoncer que le souper était servi. Elles allèrent se laver les mains et passèrent à table.
Elles ne s’attardèrent pas. Ce soir, elles avaient peu d’appétit et, en revanche, beaucoup à se dire. Le coin du feu de la bibliothèque, propre aux confidences, leur semblait plus souhaitable que les échos de la salle à manger, même si elles ne se méfiaient d’aucun de leurs serviteurs. Elles s’y firent servir une tisane de verveine puis Mlle Léonie prit son tricot. Très habile aux jeux d’aiguilles, elle travaillait à une paire de bas pour les malades de l’hôpital naguère encore si cher à la reine Marie-Thérèse. Charlotte la regarda travailler un instant en silence puis lança :
— Vous m’avez dit que l’on vous avait chassée d’ici. Sous quel prétexte ?
— L’âge. Comme pour Joseph...
— Ce n’est pas valable, Joseph était largement plus vieux que vous.
— Dites-vous que pour Marie-Jeanne n’importe quel motif était valable, mais baste ! Comme lui, je relevais de maladie et étais incapable de travailler.
Donc je devenais une bouche inutile. Elle m’a cherché querelle à propos de bottes... et m’a jetée dehors sans plus de façons.
— C’est infâme. Qu’avez-vous fait alors ? Chercher refuge dans un couvent ?
— Pourquoi voulez-vous que je les aime plus que vous? En outre j’avais une vengeance à accomplir. J’ai pris mon baluchon et je suis allée à Paris. Exactement au Châtelet dans l’espoir de rencontrer M. de La Reynie. Je voulais lui parler de ce que Clio recelait sous ses draperies à la romaine, mais il était absent et ne devait pas revenir avant le lendemain au soir. On m’a conseillé de voir l’un de ses bras droits. Tel ce dieu indien qui ressemble à un mille-pattes, il en a plusieurs. On m’a indiqué l’adresse de celui-là : rue Beautreillis et non seulement il m’a écoutée avec une attention soutenue, mais, apitoyé je pense par mon délabrement - j’étais venue à pied de Saint-Germain pour ne pas amenuiser encore la maigreur de ma bourse ! -, il m’a offert l’hospitalité. C’est quelqu’un d’étonnamment généreux sous des dehors... épineux. Nous sommes devenus amis. Et, petit à petit, j’en suis venue à... oui, le considérer comme le fils que je n’ai jamais eu la chance d’avoir.
Le cœur de Charlotte manqua un battement. Un pressentiment lui fit subitement redouter ce qu’elle allait entendre. Pourtant, presque dans un souffle, elle demanda :
— Comment s’appelle-t-il ?
En voyant la tête de sa jeune cousine se détourner, Mlle Léonie répondit doucement :
— C’est le commissaire Alban Delalande...
Charlotte s’y attendait. Le choc n’en fut pas moins rude. Une sorte de sanglot lui déchira la gorge et elle ferma les yeux dans l’espoir vain de retenir les larmes qui les emplissaient. Brusquement elle se leva, prise d’une irrésistible envie de fuir, mais Mlle Léonie s’était déjà emparée de ses deux mains et la retenait, faisant preuve d’une force dont on ne l’aurait pas crue capable :
— Restez, Charlotte ! Bien que nous ne nous soyons pas vues depuis longtemps j’ai toujours eu pour vous la plus tendre affection. Depuis que nous nous sommes retrouvées, je sais, je sens que vous portez un fardeau trop lourd pour vos jeunes épaules. Il faut vous en décharger. Je suis là pour ça...
— Je... je ne peux pas !
— Mais si. Nous sommes ensemble, toutes les deux, isolées et personne ne peut nous entendre... Il y a un instant, quand j’ai prononcé le nom de...
— Ne le répétez pas, je vous en prie !
— Pourquoi ? Vous aurait-il causé quelque tort ?
— Oh non !.... Cependant il me fait mal... Je... je l’ai ressenti comme une blessure. Il ne faut plus m’en parler... Ne plus jamais !
Et Charlotte se laissa retomber sur son siège, secouée de sanglots. Mlle Léonie la regarda un instant sans rien dire. « Elle aussi ? » pensa-t-elle. Ce désespoir lui en rappelait un autre, pas si ancien. Elle revoyait Alban écroulé sur sa table, la tête dans les bras après avoir vidé sans respirer le contenu d’une bouteille de vin. Charlotte, elle, ne buvait pas et on aurait pu le regretter si c’était le moyen de souffrir un peu moins, mais les mêmes effets, selon Léonie, étant produits par les mêmes causes, on pouvait en tirer les mêmes déductions. Sans laisser à la jeune femme le temps de lui faire jurer de ne plus jamais prononcer devant elle le nom en question, elle quitta son fauteuil pour un tabouret qu’elle tira près de Charlotte, passa un bras autour de ses épaules et, au lieu de se répandre en consolations oiseuses, elle dit :
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