Quant aux vins servis, Charlotte n’y connaissait rien et crut son invité sur parole quand il les déclara remarquables...
Pendant tout le repas, ce fût surtout La Reynie qui parla. Considérant que son hôtesse sortait pour ainsi dire de prison, il la mit au courant des événements survenus au cours de son absence tant à la Ville qu’à la Cour. Il le fit avec une telle verve et un tel esprit qu’il parvint à faire rire Charlotte, mais il s’abstint d’aborder les sujets personnels, laissant ce soin à Mlle Léonie.
Quand il eut pris congé, Charlotte alla entrer en possession de « ses appartements ». C’est alors que Léonie déclara :
— Nous vous avons préparé la chambre de votre père, pensant que vous la préféreriez à celle de « parade » qu’occupait votre mère... Elle est sans doute sévère mais si vous voulez que...
— Non ! C’est parfait, fit Charlotte en serrant plus fort le bras de sa cousine qu’elle tenait sous le sien. J’y dormirai beaucoup mieux qu’au milieu de ces fanfreluches qu’elle se plaisait à y entasser. Où demeurez-vous vous-même, cousine Léonie ?
— Dans votre ancienne chambre d’enfant. Elle me convient pleinement !
— En ce cas, nous verrons à faire redécorer la grande chambre en ne conservant que les meubles ou objets ayant une réelle valeur. Le produit sera donné à l’hôpital pour les indigents.
La dureté du ton fit tressaillir la vieille demoiselle :
— Les bijoux ? Certains viennent de notre famille. Ce sont des souvenirs. Même s’ils ont été mal portés un moment...
— Eh bien, vous ferez le tri, ma cousine. Pour ce qui est des autres...
— À ce propos, j’aurai des révélations à vous faire dont je n’ai parlé à personne sinon à celui qui m’avait recueillie après que Marie-Jeanne m’eut chassée. Mais ce sera pour plus tard.
De ce qu’elle venait de dire Charlotte buta sur un mot :
— Chassée, vous ?...
— Oui, mais nous en parlerons ce soir, au coin de l’âtre, quand nous serons au calme. Pour l’instant, ma chère petite, vous devriez vous reposer en attendant de recevoir, votre notaire qui s’est annoncé pour quatre heures et demie.
Elle avait raison. Charlotte sentait une lassitude dûe à la tension nerveuse éprouvée depuis sa fuite du pavillon des bois en proie à la peur, à la faim et au froid. Une fois seule elle s’étendit sur le lit vert foncé à galons d’argent en se contentant d’ôter ses souliers. Depuis. Ce matin, ses pieds étaient glacés et elle put ainsi les réchauffer grâce au feu flambant dans la cheminée placée en face du lit. Un oreiller sous la tête, elle se laissa envahir par une douce sensation de bien-être accompagnée d’un réconfortant sentiment de sécurité. Enfin elle avait atteint le port ! Aussi, refusant de penser davantage, elle ferma les paupières et s’endormit aussitôt. Au-dehors la neige se remit à tomber...
Quelques minutes avant la demie de quatre heures, Mlle Léonie vint la réveiller, maître Maublanc, le notaire de la famille, étant toujours d’une scrupuleuse exactitude. Pour leur première entrevue, il eût été discourtois de le faire attendre, mais comme dans son sommeil Charlotte n’avait pas plus bougé qu’une souche, il ne fallut pas longtemps à sa cousine - coups de brosse à la robe et légère remise en place de la coif- fure - pour la rendre irréprochable.
Elle avait décidé de recevoir dans la bibliothèque afin que la rencontre se fît sous l’égide de son père et ce fût du vieux fauteuil près de la cheminée qu’elle se leva pour l’accueillir. Mlle Léonie, elle, l’avait rencontré à plusieurs reprises. Elle servit donc de trait d’union ce qui parut faire plaisir à l’arrivant.
Maître Henri Maublanc était un homme d’une soixantaine d’années, de taille moyenne et un brin bedonnant mais ne manquant pas d’une certaine majesté. Son visage fleuri sous une haute perruque grise était celui d’un bon vivant, mais si ses yeux étaient d’un bleu candide, ils n’en étaient pas moins vifs et scrutateurs. Ceux qui le connaissaient savaient aussi que cette façade benoîte cachait un redoutable juriste qu’il était impossible de faire plier. En particulier quand il était sûr d’avoir raison.
Après l’avoir saluée et accepté de s’asseoir dans un autre fauteuil, contemporain de celui que Charlotte occupait mais nettement moins fatigué, il s’accorda quelques secondes pour regarder sa jeune cliente :
— La seule fois où j’ai eu le plaisir de vous rencontrer, Madame la comtesse, vous étiez bien petite et sans doute ne vous en souvenez-vous pas mais j’ai vite compris que M. le baron vous adorait. Et je suis grandement heureux d’être reçu par vous et Mlle des Courtils, dans cette librairie où j’ai vécu avec lui tant d’heures dont le souvenir m’est précieux.
— Vous l’avez bien connu, maître ?
— Je crois pouvoir affirmer qu’une amitié s’était nouée entre nous et que j’ai ressenti vivement sa fin prématurée. La suite des jours a été moins agréable et mes relations avec Madame votre mère n’ont jamais été empreintes d’autre sentiment que la politesse. Je regrette comme tout chrétien honnête une fin aussi tragique mais je ne la déplore pas vraiment. D’autant que maintenant, où c’est à vous seule que je vais avoir affaire. J’avoue avoir redouté, en apprenant votre disparition, que ce ne soit impossible. De ce fait, je n’ai guère apprécié certaines tentatives, légitimes peut-être mais selon moi trop hâtives, pour me plaire.
— Des tentatives légitimes ? Intervint Mlle Léonie qui écoutait les oreilles grandes ouvertes. Auriez-vous reçu des visites intempestives ?
— On peut définir ainsi celle dont m’a honoré M. le comte de Saint-Forgeat qu’accompagnait - Dieu sait pourquoi? - M. le chevalier de Lorraine. Et quand je dis « l’accompagnait », le terme est impropre. C’est plutôt avec ce dernier que j’ai eu à débattre.
— Lorraine ? S’étonna Charlotte. Mais que voulait-il ?
— Il s’est présenté, je dirais, comme soutien d’un jeune époux trop douloureusement atteint pour s’exprimer lui-même mais qui, se trouvant en peine d’argent, souhaitait obtenir de moi une avance sur votre succession.
— Ma succession ? Bondit Charlotte, qui allait de surprise en surprise. Est-ce que l’on me croyait morte ?
— Eh oui ! Il faut préciser que votre époux était en deuil et donnait les signes émouvants d’un profond chagrin. C’est à peine s’il pouvait se soutenir !
L’ancienne Charlotte refit aussitôt surface :
— Mais c’est à mourir ! Saint-Forgeat en veuf douloureux ? J’aurais aimé être présente.
— J’avoue que c’était assez comique mais son ami l’était moins. Il ne demandait pas : il exigeait qu’une avance importante sur votre succession soit remise sur-le-champ à son ami dont la situation financière laissait à désirer. Le chevalier est allé jusqu’à la menace.
— La menace de quoi ?
— De faire intervenir le Roi tout simplement ! Comme si cela avait un sens !
— Jamais le Roi ne se mêlerait de ce genre d’affaire !
— Je le sais, mais il n’en demeure pas moins que vous n’avez pas conclu, Madame, le mariage que vous étiez en droit d’espérer.
— Je ne vois pas quelle espérance j’aurais pu avoir. On m’a pour ainsi dire forcée à épouser de Saint-Forgeat et, pour lui comme pour moi, il s’agissait d’une union presque inespérée pour la fille sans dot que j’étais. Mon époux m’apportant, outre un titre de comtesse, la jouissance de biens conséquents : un hôtel à Paris, un château je ne sais plus où... Mais vous devriez le savoir, maître Maublanc, puisque c’est vous-même qui avez établi le contrat avec le notaire des Saint-Forgeat ?
— En effet, et je l’ai établi de bonne foi mais, après cette visite burlesque, j’ai cherché à approfondir les choses. L’hôtel et le château en Poitou sont hypothéqués jusqu’aux girouettes...
— Comment est-ce possible ? On m’a bien souligné au moment du mariage que c’était pour moi une chance inespérée puisque le mari apportait tout et moi rien.
— Le jeu, chère comtesse, le jeu ! M. de Saint-Forgeat ne manque pas à la règle : à la Cour, et singulièrement dans l’entourage de Monsieur, on joue un jeu d’enfer. Une seule partie de hoca ou de pharaon peut faire de vous un Crésus ou vous ruiner jusqu’à votre dernière chemise... en admettant que l’on en accepte l’enjeu.
— Mais la générosité de Monsieur envers ses gentilshommes est notoire ?
— Surtout envers M. le chevalier et M. le marquis d’Effiat, cela aussi est notoire. Les autres ne bénéficiant que de miettes. Mais il se trouve que le chevalier de Lorraine semble avoir pris sous sa protection M. de Saint-Forgeat qui ne paraît pas être d’un caractère très affirmé...
— C’est le moins qu’on puisse dire ! Le chevalier a d’ailleurs été l’un des chauds partisans du mariage, aidé en ce sens par Mme de Maintenon dont je n’arrive pas à comprendre en quoi mon sort la concernait.
Le notaire ajusta ses bésicles et prit, dans le maroquin qu’il avait apporté une liasse de papier puis sourit :
— Si j’en crois la rumeur, il y a des noms qu’il vaut mieux ne pas prononcer à la légère. Cela dit...
— Pardonnez-moi, maître ! Coupa Mlle Léonie, mais pouvons-nous savoir ce que vous avez répondu à vos visiteurs?
— Que je ne ferai droit à leur demande qu’après avoir acquis la certitude de la mort de la comtesse !
Les yeux fixés sur Charlotte, à qui le mot n’avait même pas arraché un tressaillement, la vieille demoiselle reprit :
— Veuillez excuser ma brutalité mais pour ce que l'ai pu apprendre de M. de Lorraine, l’obstacle ne devait pas être insurmontable. Quand on a osé faire passer de vie à trépas une princesse anglaise, belle-sœur affectionnée du roi de France, qu’est-ce qu’une anodine comtesse mal mariée ?
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