—    Qu’est-ce que c’est que cette manie de vouloir fourrer toutes les vieilles filles dans les couvents comme si elles n’étaient bonnes qu’à débiter des patenôtres, protesta l’intéressée. Moi, mon bon Merlin, je suis entrée dans la Police.

Pour un effet, c’en était un. L’homme en resta pantois :

—    Dans la Police ?

—    Parfaitement ! Et je m’en trouve fort aise !

—    J’en suis bien heureux... Mais qu’allons-nous devenir à présent qu’il n’y a plus personne ?

—    Il reste l’héritière de ce lieu : Mme la comtesse de Saint-Forgeat... qui est absente pour le moment...

—    Est-ce que cette Mme la comtesse de Saint-Forgeat serait notre petite Charlotte ? s’écria Mathilde déjà réconfortée.

—    Exact. En attendant qu’elle revienne, nous allons prévenir son époux, un des gentilshommes de Monsieur, frère du Roi, et faire ce qu’il convient pour les deux corps. Je vais informer l’église afin que l’on pourvoie aux préparatifs des funérailles. Quant à cette maison, je pense qu’elle doit être mise en deuil !

—    Est-ce que Mlle Léonie ne pourrait pas rester parmi nous ? S’inquiéta la grosse Mélanie. À part Mlle Charlotte, c’est la seule survivante de la famille et ça nous ferait bien du réconfort.

Avant de répondre, la vieille demoiselle interrogea Alban du regard. Il lui répondit par un haussement d’épaules résigné. Sa présence lui était devenue indispensable et la perdre ne l’enchantait pas.

—    C’est entendu, je demeurerai ici pendant au moins quelque temps ! Maintenant, je pense que tout le monde doit se remettre au travail tandis que ces messieurs de la Police vont poursuivre leurs investigations...

—    Je vais vous faire apporter vos affaires ! dit Alban d’un ton morne qui fit sourire Mlle Léonie.

—    Enfin il y aura quelqu’un sur terre pour me regretter, plaisanta-t-elle en lui plaquant un baiser sur la joue. Rassurez-vous, ce n’est qu’un au revoir ! Puis elle murmura : Cette fois il faut la retrouver et vite !

Il n’empêche qu’en regagnant son logis de la rue Beautreillis le soir venu, Alban le trouva singulièrement désert!

Monsieur se livrait à l’une de ses occupations préférées quand La Reynie le fit respectueusement prier de lui accorder une audience : il se faisait montrer de nouvelles pierres fraîchement arrivées de Venise et vivait l’une de ces délicieuses angoisses dont il raffolait : s’offrirait-il cette dizaine d’émeraudes impeccablement assorties dont il imaginait le collier qu’il pourrait en tirer en leur adjoignant quelques perles et diamants ou plutôt cette ravissante collection de diamants roses dont il ferait volontiers les boutons de certain habit de cérémonie d’une adorable teinte de rose mourante qu’on s’activait à lui confectionner ? Connaissant de longue date ce client fastueux, le lapidaire jouait avec talent les serpents tentateurs :

—   Pourquoi donc Votre Altesse Royale ne s’offrirait-elle pas ces merveilles ? Étant donné l’état actuel du marché, c’est, à mon sens, une excellente affaire.

—    C’est que Mon Altesse Royale a beaucoup dépensé ces temps derniers pour la réfection de son château de Villers-Cotterêts ! D’autre part, si je ne les achète pas, vous irez sans barguigner les offrir au Roi mon frère qui n’en a pas le moindre besoin !

—    On a toujours besoin de bijoux nouveaux, Votre Altesse, et...

—    Pas mon frère ! Bougonna Monsieur. Il a récupéré coup sur coup les joyaux offerts à la duchesse de Fontanges et ceux de la Reine. Des bijoux il en a plus que moi mais, tel que je le connais, il est capable d’acquérir ceux-ci rien que pour m’empêcher de les avoir...

—    Nous n’en sommes pas là, Monseigneur, et puisque Votre Altesse est d’accord pour l’un de ces ensembles, l’autre ne nécessite qu’un minime effort. D’autant que nous pourrions consentir quelques délais.

L’œil noir de Monsieur flamba d’indignation :

—    Des délais ! Pour moi ? ... Sachez, Monsieur, que j’ai les dettes en exécration... Allons bon ! Que me veut-on ?

On en était là, en effet, quand un gentilhomme vint avertir que M. de La Reynie demandait un instant d’entretien. Or, Monsieur n’aimait pas du tout le policier de Sa Majesté. Il vivait dans la hantise qu’il ne vînt porter une de ces accusations burlesques contre l’un ou l’autre de ses amis.

—    Que veut-il ?

—    Il ne m’a pas fait l’honneur de me le confier, Monseigneur.

—    C’est juste... Et quelle mine a-t-il ?

—    Celle de tous les jours, je pense. Pas vraiment... folâtre, si j’ose m’exprimer ainsi.

—    Le contraire serait étonnant ! Faites-le patienter !

Puis revenant à son visiteur :

—    L’incertitude a le don de me rendre nerveux. Aussi je crois bien que je vais prendre le tout ! Au moins je serai tranquille de ce côté-là. Passez demain chez mon trésorier, M. Foscarini, il vous comptera la somme prévue...

Le lapidaire se retira en saluant respectueusement. Après quoi, Monsieur s’accorda un répit en caressant amoureusement ses emplettes avant de les renfermer d’abord dans leurs sacs de peau puis dans le cabinet de bois précieux, d’écaille, d’ivoire et de bronze doré où il avait coutume de ranger ses achats de pierres avant de les confier à son joaillier.

—    Que l’on introduise M. de La Reynie, brama-t-il en se jetant dans le fauteuil le plus proche du meuble. Mais étant aimable de nature, il se fendit d’un sourire pour accueillir la terreur de ses amis.

—    Quel bon vent vous amène, Monsieur le lieutenant général ? Émit-il, un rien hypocrite.

—    Ni bon ni mauvais, Monseigneur. Je désire simplement obtenir de Votre Altesse Royale l’autorisation de m’entretenir avec l’un de ses gentilshommes... Ne cherchez pas, Monseigneur, se hâta-t-il d’ajouter avec une nuance d’ironie en voyant Monsieur verdir. Il s’agit de M. de Saint-Forgeat qui, depuis son mariage avec Mlle de Fontenac, ne semble guère lui avoir porté grande attention... Or, la jeune comtesse a disparu depuis le soir de la mort de Sa Majesté la Reine...

—    Oui, je sais ça. Qu’y a-t-il encore ?

—    Eh bien, justement, il faudrait la retrouver et le plus tôt serait le mieux afin qu’elle puisse recueillir son héritage. Mme de Fontenac, sa mère, et le... compagnon de celle-ci ont été trouvés morts hier matin. Assassinés, à l’évidence !

—    Par qui ?

—    C’est ce que je ne sais pas encore. Une troupe d’une douzaine d’hommes vêtus de noir et masqués ont envahi l’hôtel de Fontenac dans la nuit d’avant-hier. Ils ont réduit les domestiques à l’impuissance, après quoi ils ont pendu ces deux personnes à une poutre de la bibliothèque.

—    Fi ! Quelle horreur !

—    ... sans oublier de les décorer d’un écriteau portant : « Laissez passer la justice de Dieu ! »

—    Et vous voulez raconter cette histoire à ce pauvre Adhémar ? Mais il va s’évanouir...

—    Je le pense suffisamment solide pour supporter la nouvelle. Surtout en sachant que c’est son épouse qui est à présent la seule héritière. C’est pourquoi j’ai l’honneur de répéter à Votre Altesse Royale qu’il faut la retrouver !

—    Oui, mais où ? Vous devriez le savoir mieux que moi. C’est votre métier après tout !

—    Certes, Monseigneur, mais en l’occurrence je pense que Monsieur est mieux placé que quiconque pour en savoir davantage...

—    Comment l’entendez-vous ?

—    Le plus élémentairement du monde. Il n’existe en France qu’une seule personne qui puisse se permettre d’interroger le Roi et c’est Votre Altesse Royale !

La bouche soudain sèche, Monsieur déglutit péniblement:

—    Que j’aille interroger le Roi, moi ?

—    Sa Majesté ne serait-elle plus le frère de Monsieur ? Ironisa La Reynie, qui, à sa façon, aimait bien le prince parce qu’il le trouvait amusant.

Puis il se hâta de continuer :

—    Auparavant, je dois mettre Votre Altesse Royale au courant des circonstances à la suite desquelles Mme de Saint-Forgeat s’est volatilisée...

Ce fut fait en quelques mots auxquels il ajouta le résultat de l’enquête à laquelle il s’était livré. Monsieur renifla à plusieurs reprises :

—    Et vous vous êtes rendu à la Bastille, à Vincennes, sans ordre du Roi ?

—    Durant ces dernières années, j’y suis allé bien trop souvent sans ordres. Cela fait partie de mon office.

—    Et vous seriez prêt à répéter ce que vous venez de m’apprendre devant mon frère ?

—    Sans hésiter puisque je n’ai pas conscience d’avoir manqué à mon devoir et il entre assurément dans mes intentions de mettre notre Sire au courant des derniers événements. Mais s’agissant d’un couple appartenant aux maisons de Leurs Altesses Royales Monsieur et Madame, je me devais d’abord de venir ici !

Le prince réfléchit un petit moment puis déclara :

—    C’est juste !... Tout à fait juste ! En avez-vous déjà parlé à Madame ?

—    Jamais, Monseigneur ! C’eût été manquer au respect que je dois à Votre Altesse...

—    Évidemment... En outre, elle n’est plus tellement dans les bonnes grâces de mon frère ces temps-ci...

Nouveau petit silence que Monsieur employa à cogiter fermement. Enfin, son visage s’éclaira :

— Voici ce que nous allons faire, Monsieur de La Reynie! Nous allons nous y rendre de concert ! Cela vous évitera de demander audience et... et tout ça !

En quittant le Palais-Royal, La Reynie avait le sourire. C’était exactement le résultat qu’il espérait obtenir !

CHAPITRE IV

COUP DE THÉÂTRE

Connaissant son souverain mieux peut-être qu’il ne se connaissait lui-même, La Reynie jugea prudent de le prévenir de la prochaine venue de Monsieur avec qui il avait rendez-vous de façon à rencontrer le Roi après le repas de midi. Aussi quitta-t-il Paris avant l’aube afin de demander audience entre la prière matinale et le Conseil. C’était un peu risqué au cas où Sa Majesté serait de mauvaise humeur, mais il fallait que cela fût et la chance lui sourit : dans l’escalier il rencontra le secrétaire particulier, Toussaint Rose, qui serait bientôt marquis de Coye, homme déjà âgé mais fin, subtil, très compétent et particulièrement apprécié de son maître.