– Ne me dites pas que vous partez ?
– C’est bien cela pourtant. Le duc vient de me donner mon congé avec plus de bonne grâce d’ailleurs que je n’aurais osé l’espérer dans de telles circonstances...
– Milan et la Bourgogne ne sont plus alliées ?
– Non. Il est déjà inespéré que nous ne soyons pas en guerre. Monseigneur a bien voulu me dire qu’il me regretterait...
– Il n’est pas le seul. Je suis... navrée de vous perdre, mon ami. Nous reverrons-nous jamais ?
– Pourquoi pas ? Milan n’est pas si loin et je tiens à ce que vous sachiez que ma maison sera toujours prête à vous accueillir.
– Sauf si vous n’y êtes pas. Qui dit que l’on ne vous enverra pas demain chez le Grand Khan ?
– Il y a peu de chance : sa langue m’est inconnue. Mais... je suis venu aussi vous communiquer la nouvelle que je viens d’apprendre de Galeotto : Campobasso revient !
– Ici ?
– Peut-être pas. Mais il a écrit au duc pour lui proposer de reprendre du service avec sa condotta. Cela représente près de deux mille hommes et sa proposition a été accueillie avec transport.
Fiora rejoignit Léonarde qui cousait près de la fenêtre.
– Vous avez entendu ? Il faut que nous nous préparions à partir sur l’heure. Attendez-nous un moment, mon ami, nous ferons route ensemble ! ...
Elle se précipitait déjà vers un coffre qu’elle ouvrit.
– Je vous en prie, n’en faites rien. J’avais prévu votre réaction et j’ai demandé la permission de vous emmener. Monseigneur refuse formellement de vous laisser partir.
Laissant retomber le couvercle, Fiora hésita un instant puis marcha vers la porte :
– Il ne me le refusera pas à moi. Je ne veux plus rester ici, au milieu de tous ces hommes d’armes, dont les regards souvent me déplaisent, à attendre que Campobasso ne s’empare à nouveau de moi.
– N’y allez pas, Fiora ! Ce sera inutile. Tout ce que vous y gagnerez sera peut-être de vous retrouver tout à fait prisonnière.
– Mais enfin, il y a peu, vous me proposiez de m’aider à fuir ?
– En effet ! ... mais je ne savais pas tout. Et même je ne savais rien. Plus jamais le duc Charles ne vous autorisera à vous éloigner de lui. Et si vous prenez la fuite, vous savez quelle sera la conséquence ?
– C’est insensé ! s’écria Léonarde. Ce n’est plus de l’amour, c’est de la rage.
– Ni l’un ni l’autre, donna Léonarde... C’est de la superstition. Quand nous avons séjourné à Besançon, l’hiver passé, un rabbin versé dans la kabbale a dit à monseigneur que la mort ne l’atteindrait pas tant que vous seriez auprès de lui, Fiora. Voilà pourquoi il vous a reconnue si hautement pour la dame de Selongey car cela fait de vous une Bourguignonne ; pourquoi il veut vous garder à sa cour quand la guerre aura pris fin ; pourquoi enfin Battista doit mourir si vous prenez la fuite. Vous êtes devenue comme son ange gardien.
D’abord médusée, Fiora éclata brusquement de rire :
– Moi, son ange gardien ? Moi qui en quittant Florence ne rêvait que de le tuer ? ... Il y a là de quoi me faire revenir à mes premières idées.
– N’essayez pas car vous n’y parviendrez pas quoi que vous fassiez. La lame du poignard cassera, le poison sera sans effet...
– Mais enfin vous croyez à ces folies, vous, si logique et si bon philosophe ? Qui vous a dit cela ? Le duc ?
– Non. Le Grand Bâtard que je priais d’intercéder pour vous et qui, depuis longtemps, a demandé que l’on vous rende votre liberté.
– Il faudrait alors que Battista rentre chez lui. Après tout il est romain, cet enfant, et il n’appartient pas vraiment à la maison de Bourgogne. Son maître n’était-il pas le comte de Celano ?
– Qui a disparu à Grandson et dont on ne sait ce qu’il est devenu. Mais je vous en prie calmez-vous ! Rien n’est encore perdu. En vous quittant, je dois m’arrêter à Saint-Claude pour y attendre Mgr Nanni. Le légat espère toujours arriver à conclure la paix entre la Bourgogne et les Cantons. Le pape et l’empereur y sont attachés et il a désiré me rencontrer. Nous verrons ensemble ce que nous pouvons faire. Le jeune Colonna pourrait être rappelé à Rome... par un deuil familial, par exemple ?
– Vous pensez obtenir du légat qu’il profère un aussi gros mensonge ?
En dépit de la gravité du moment, Panigarola se mit à rire.
– Ma chère enfant, apprenez qu’en politique comme en diplomatie, le mensonge et la vérité sont des notions tout à fait abstraites. Il n’y a que le résultat qui compte... et Mgr Nanni est l’un des meilleurs diplomates que je connaisse. Ainsi donc prenez patience ! ... et permettez à un vieil ami de vous embrasser car vous lui êtes devenue chère. Portez-vous bien, donna Léonarda !
– Je n’y manquerai pas, messire, fit celle-ci avec une petite révérence et j’en souhaite tout autant à Votre Excellence !
Le soir venu, le duc Charles, à la surprise de Fiora, se fit annoncer chez elle. Et elle constata du premier regard qu’il était triste.
– Je viens vous demander à souper, donna Fiora, dit-il en prenant sa main pour la relever de sa révérence. Et, à moins que cela ne vous contrarie, on servira ici.
-Monseigneur ne sait-il pas qu’il est chez lui ?
– Ne soyez pas si cérémonieuse. Vous devez être aussi affligée que moi. N’avons-nous pas perdu un ami ?
– Je ne crois pas. Vous avez perdu l’ambassadeur, non l’ami qui vous reste certainement attaché.
– Puissiez-vous dire vrai mais je mesure à ces défections combien la gloire de la Bourgogne est ternie. Il est urgent qu’une grande victoire lui restitue tout son éclat. Heureusement vous me restez.
En dépit de ce qu’avait dit Panigarola, Fiora ne put s’empêcher de tenter sa chance :
– Tenez-vous vraiment à m’emmener encore en guerre, monseigneur ? J’en suis... affreusement lasse ! La guerre me fait horreur...
– Vous voulez me quitter, vous aussi ? Qu’est devenu mon jeune écuyer si vaillant ? Qu’est devenue la dame de Selongey qui tenait tant à maintenir auprès des miennes les couleurs de son époux ?
– Elle a vu verser trop de sang. Ne lui accorderez-vous pas de se retirer à Selongey ?
– Pour y vivre dans la solitude d’un château campagnard ? Non, donna Fiora, je ne crois pas que cela vous tente. Il y a autre chose n’est-ce pas ? Cette amitié qui m’était si douce n’était qu’un leurre ? Comme les autres vous voulez me fuir parce que vous me croyez fini, détruit...
Il s’énervait. Sa voix montait déjà. Devinant alors qu’il lui fallait prendre le dessus, Fiora s’écria :
– Vous avez raison : il y a autre chose. Campobasso va vous revenir et moi je ne veux plus jamais revoir cet homme ! C’est pour cela que je vous demande mon congé...
– Ce n’est donc que cela ? Alors rassurez-vous. Je promets que vous ne le verrez pas. Il est vrai qu’il a demandé à reprendre du service sous ma bannière. C’est un bon capitaine et j’ai malheureusement besoin de ses soldats mais il ne viendra pas ici. Je lui ai ordonné d’aller prendre position entre Thionville et Metz où il attendra le prince de Croy et le duc Engelbert de Nassau qui vont venir des Pays-Bas avec cinq mille hommes de pied. Dans peu de jours il faut que nous ayons quitté La Rivière. L’Enfant a mis le siège devant Nancy et je veux le prendre à revers. Vous serez auprès de moi comme naguère mais Olivier de La Marche aura ordre de veiller sur vous et de vous tenir à l’écart lorsque Campobasso viendra me voir. Mais je ne veux pas que vous me quittiez. Il faut, vous entendez, il faut que vous demeuriez à mes côtés. Ne me demandez pas pourquoi !
Et, oubliant qu’il s’était invité à souper, le Téméraire s’enfuit. La porte retomba derrière lui et le bruit s’en prolongea un instant dans le silence qui s’était établi dans la chambre.
– Eh bien ! soupira Léonarde. Nous souperons seules !
– J’aime autant cela mais avouez tout de même que c’est effrayant ! Jamais je ne pourrai lui échapper..,
– N’y pensez pas ! Vous ne devez plus avoir en tête qu’une seule idée : nous allons partir pour Nancy. N’est-ce pas là le principal ? Ce serait bien le diable si dans le tohu-bohu d’une guerre nous n’arrivions pas à fausser compagnie à monseigneur. Et si le jeune Colonna n’est pas encore parti, eh bien, nous l’enlèverons.
– Léonarde, dit Fiora avec conviction, vous m’étonnerez toujours. Enlever Battista ?
– Pourquoi pas ? Ce pourrait être très amusant...
Le 25 septembre au matin, l’armée si péniblement reconstituée quittait La Rivière... D’aucuns auraient dit une apparence d’armée tant le contraste était poignant avec la superbe machine de guerre que deux semblants de bataille avaient réduite en miettes. Vieux soldats recuits au feu des mitrailles et jeunes recrues, la Bourgogne, la Picardie, le Luxembourg et le Hainaut avaient apporté tout ce qu’ils pouvaient fournir pour les adjoindre aux lances fidèles de Galeotto, le seul mercenaire dont la loyauté n’eût jamais fait défaut. Mais c’étaient les troupes de la dernière chance. Qu’une nouvelle défaite les disperse ou les anéantisse et il n’y aurait plus rien, plus même de Bourgogne dont les clochers vides n’avaient plus de bronze à fournir. Dix mille hommes, pas plus, c’est tout ce que le Téméraire traîne après lui et sur lesquels il compte pour chasser une fois de plus l’Enfant de sa terre natale.
Sous le chaperon noir qu’elle a repris pour cacher ses cheveux déjà longs, Fiora chevauche à la queue du cheval du Téméraire et en compagnie de Battista. Elle est si sombre que le page n’ose même plus chanter. Panigarola lui manque. Sa culture et sa philosophie en faisaient un compagnon inégalable grâce à qui le plus long chemin se parcourait sans peine. Les nouvelles qu’elle en avait reçues n’étaient pas des meilleures : en arrivant à Saint-Claude, le légat papal avait dû se coucher sous les assauts d’une bronchite jointe à une attaque de goutte. Il n’était pas près de rejoindre le duc Charles...
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