— Décidément, je préférais Lucy ! Vous êtes un glaçon, ma chère.
— Espériez-vous donc autre chose ? Une femme que l’on viole n’est certainement pas une partenaire agréable…
— N’en soyez pas trop sûre. Il y a une saveur âpre dans la violence… et il arrive même qu’elle s’achève assez bien après avoir commencé fort mal. Je vais dire que l’on nous monte du champagne… et aussi à souper. Cela vous donnera peut-être du ton.
Il se dirigea vers la sonnette dont le cordon de tapisserie pendait le long de la cheminée. Ce faisant, il ramassa, sur le tapis, le réticule d’Hortense qui était tombé durant la bataille et s’était ouvert. Le contenu en était à demi répandu, au milieu duquel une grande feuille de papier plié : l’ordre d’élargissement de Felicia. Que, bien sûr, Butler se hâta de lire. Il éclata de rire.
— Voilà donc, dit-il, ce que vous avez obtenu du roi ? Compliment ! C’est du beau travail. Notez que je m’attendais un peu à quelque chose de ce genre. C’était étrange cette rencontre aux Tuileries, ce retour dans l’escorte royale… et cette longue attente que j’ai dû subir avant de vous voir ressortir du palais !… Ainsi, vous alliez m’arracher ma meilleure arme ? Vous alliez gagner contre moi sans même que je m’en doute ? J’imagine que vous songiez à quitter Paris aussitôt ?
— Ce n’est pas certain, se hâta de dire Hortense, inquiète de ce grondement de colère qu’elle entendait monter dans la voix de Butler. Mais, je vous en prie, rendez-moi ce papier. Vous devez comprendre à quel point il m’est précieux…
— C’est à la portée du premier idiot venu, ma chère. Seulement, justement, je n’ai pas envie de vous le rendre.
— Je vous en prie : elle a assez souffert injustement ! Laissez-la revivre. Garder ce papier ne vous apportera rien. Je n’étais pas seule, chez le roi…
— Mais si vous ne le présentez pas demain matin à la Force, la libération pourrait se trouver différée… peut-être sine die ? J’ai bien envie de le jeter au feu !
— Non !
Le cri d’Hortense résonna à travers la vaste chambre, si haut qu’on dut l’entendre dans tout l’hôtel. Une fièvre monta aux pommettes de la jeune femme éperdue.
— Que voulez-vous, dit-elle d’une voix rauque, que voulez-vous pour me rendre ce papier ?
Il eut pour elle ce sourire de loup qui donnait à Hortense l’envie de lui sauter à la figure. Au bout de ses doigts, la grâce royale tremblait doucement dans le souffle qui venait du feu. Il suffisait d’un geste, d’un tout petit geste pour que les efforts d’Hortense, ses espoirs se trouvassent anéantis car, avec un homme aussi indécis que Louis-Philippe, il serait sans doute plus difficile d’en obtenir un second.
— Que voulez-vous ? dit-elle une troisième fois.
— Rien de plus que ce que je vous ai demandé tout à l’heure. Je vous veux.
Accablée de honte et de douleur, Hortense baissa la tête, s’efforçant désespérément de repousser loin d’elle l’image de Jean, le souvenir de Jean et de les remplacer par la pensée de Felicia attendant au fond d’une prison une libération qui ne viendrait peut-être plus jamais…
— Qu’il en soit fait comme vous le voulez ! soupira-t-elle. Vous pourrez me prendre sans que je me défende… mais, par pitié, éloignez ce papier du feu !
Le sourire s’accentua en même temps qu’étincelaient d’orgueil les yeux verts de l’armateur.
— Vous avez raison : il est bien précieux puisqu’il vous amène à composition. Tenez… je vais le poser là, ajouta-t-il en désignant la tablette de la cheminée. Vous pourrez l’y reprendre vous-même plus tard. Mais je ne le poserai que lorsque vous m’aurez donné un commencement de satisfaction.
— C’est-à-dire ?
— Je veux que vous vous déshabilliez ! Là, devant moi. Et entièrement.
— Vous voulez ?… oh non !
— Non ?
Le papier trembla un peu plus et la main de Butler pencha légèrement vers les flammes :
— J’ai vu vendre bien des femmes dans ma vie, dit-il lentement. Sous le soleil d’Afrique ou d’Orient, on les dépouille de tout vêtement afin que l’acheteur se rende mieux compte de ce qu’il achète. Moi, je vous achète pour une nuit avec cet ordre de libération. Je veux savoir si vous en valez la peine.
Hortense sentit des larmes lui monter aux yeux. Ce misérable entendait ne lui épargner aucune humiliation !… Hélas, il lui fallait en passer par ses exigences. Alors, elle ôta son manteau qu’elle laissa glisser à ses pieds, son chapeau qu’elle jeta plus loin et, de ses doigts qui tremblaient, défit la collerette de dentelle qui éclairait le velours noir de sa robe et commença à déboutonner celle-ci.
Quand la robe tomba, elle ferma les yeux. Les nombreuses lumières allumées par son bourreau la blessaient et puis elle ne voulait plus voir ce regard avide qui la détaillait, suivant chacun de ses gestes avec une attention maniaque. A l’aveugle, elle ôta un jupon, puis un autre, dégrafa le léger corset de coutil qui lui étranglait la taille, le laissa tomber. Quand elle n’eut plus sur elle qu’une mince chemise garnie de dentelle et le long pantalon brodé qui descendait jusqu’à ses chevilles habillées de bas de soie blanche, elle s’arrêta, les mains nouées sur sa poitrine en un geste de défense dérisoire contre le regard qu’elle sentait sur elle, plus brûlant, certes, que les flammes. Mais Butler n’était pas encore satisfait.
— Allons ! Encore un effort !… Je veux vous voir nue.
Fébrilement alors, Hortense dénoua le cordon qui retenait son pantalon, fit glisser les épaulettes de sa chemise et demeura droite dans la lumière sans plus aucun autre voile que ses bas et les escarpins dont les rubans croisés montaient jusqu’à ses mollets.
Les oreilles bourdonnantes, elle attendit ce qui allait venir… et ne venait pas. Elle percevait, tout proche d’elle, un souffle qui s’écourtait. Il y eut un bruit d’étoffes froissées, le double choc des bottes sur le parquet. Elle comprit qu’il se déshabillait et serra plus fort ses paupières. Son cœur battait dans sa gorge, l’étouffant à demi. Et, soudain, l’homme fut contre elle : une masse de muscles durs qui l’étreignaient, l’épousaient des épaules aux genoux. Hortense sentit ses lèvres dans son cou et son souffle brûlant :
— Tu es trop belle, gémit-il contre sa gorge. Tu vaux bien plus qu’un simple chiffon de papier. Et moi je crois que je ne t’oublierai jamais…
Déjà il la soulevait, l’emportait jusqu’au lit où il s’ensevelit avec elle. Une tempête de caresses et de baisers s’abattit sur la jeune femme qui, inerte et désespérée, se laissa emporter ; il lui semblait qu’elle était en train de mourir, que c’en était fini d’elle à jamais. Et puis quelque chose réagit en elle, quelque chose qui était la voix même de sa honte et de son impuissance et, à l’instant où Butler s’assouvit en elle avec un grognement animal, elle éclata en sanglots. De gros sanglots de petite fille malheureuse qui le dégrisèrent. Encore haletant, il se pencha sur elle, toucha du bout des lèvres ses joues mouillées, ses yeux fermés…
— Pourquoi pleures-tu ? demanda-t-il doucement. Je t’ai fait mal ?
Incapable de répondre, elle hocha la tête négativement. Comment expliquer à cet homme impitoyable que c’était à son âme, non a son corps qu’il avait fait mal et que, de cette blessure qu’il venait lui infliger, elle aurait du mal à guérir.
— Je t’ai atteinte dans ton orgueil, n’est-ce pas ? Mais le mien, as-tu jamais songé à ce que tu lui as fait endurer ?
Alors elle ouvrit les yeux, vit tout près de son visage le terrible regard vert qui la regardait sans le moindre brin de tendresse.
— Vous avez eu ce que vous vouliez, murmura-t-elle d’une voix qu’elle ne reconnut pas elle-même. Alors, à présent, laissez-moi m’en aller.
— En pleine nuit ? Toute seule ? Le quartier est mal famé, tu sais. Il pourrait t’arriver malheur.
— Il m’est déjà arrivé malheur…
— Ce sont des mots, rien que des mots ! Quant à te laisser partir, n’y compte pas. Il est trop tôt. J’ai dit que je voulais une nuit. Et elle ne fait que commencer. Nous allons souper !
Il prit une robe de chambre de damas vert sombre sur un tabouret au pied du lit, s’en drapa et alla sonner. Presque instantanément, le valet apparut avec un grand plateau qu’il posa sur la table. Il s’apprêtait à mettre le couvert, mais Butler le chassa d’un mot :
— File ! Nous nous servirons nous-mêmes…
Hortense avait bonne envie de refuser ce que son ennemi lui offrait – une aile de volaille et une flûte de champagne – mais elle se sentait épuisée, elle avait froid jusqu’au cœur et elle savait qu’il n’est jamais bon de bouder contre son ventre. Butler sentit cette hésitation et se mit à rire :
— « Timeo Danaos et donc ferentes[7] », cita-t-il avant d’ajouter : Même si tu me détestes, ce n’est pas une raison pour te laisser mourir de faim.
Alors elle accepta, mangea, but et se sentit un peu mieux, l’esprit plus clair et le goût du combat revenu. Butler, quant à lui, dévorait, en homme soigneux de ses forces mais sans quitter Hortense des yeux comme s’il avait peur que, par Dieu sait quelle magie, elle réussît à lui échapper s’il cessait de la regarder.
Pour sa part, Hortense pensait que, peut-être, après ce repas, Butler serait gagné par la somnolence, qu’il s’endormirait ou que, tout au moins, elle pourrait encore discuter, tenter d’obtenir sa libération immédiate. Mais, à peine la dernière goutte de champagne avalée, sans d’ailleurs qu’un seul mot eût été échangé, il arracha sa robe de chambre plutôt qu’il ne l’ôta et sauta dans le lit.
— Vive Dieu, ma belle ! Je vais t’aimer jusqu’au matin ! Je ne veux pas perdre une seule minute de cette nuit…
Hortense comprit alors qu’elle n’échapperait pas avant l’aurore et aussi qu’on ne peut pas lutter contre l’ouragan. Mais ce fut avec une passivité absolue qu’elle subit les assauts répétés d’un homme qui semblait ne pouvoir se rassasier d’elle. Une passivité si totale même… qu’il finit par abandonner et la laissa s’endormir.
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