— Je ne veux que la mort, rien que la mort !…
C’était apparemment chez elle une idée fixe, mais qui pouvait être sincère car, dans son amour de Dieu et de la religion, elle avait toujours souhaité rejoindre au plus tôt son créateur.
Dans ce dialogue de sourds, il était à peu près impossible de s’y retrouver. Comprenant qu’il avait fait fausse route, que cette femme ne souhaitait ni mariage ni amour mais se consacrer tout entière à son Dieu, Bussy s’avoua vaincu et rompit le combat. Chevaleresquement, il offrit ses excuses et fit reconduire chez elle la femme qu’il avait si longtemps espéré épouser.
Sa seule consolation fut, au moment des adieux, de surprendre dans le regard de sa victime une douceur inattendue où entrait peut-être un regret fugitif. C’était en vérité un fort beau et fort séduisant seigneur que Roger de Bussy-Rabutin…
Il ne devait jamais revoir Marie de Miramion. Peu après, elle mettait sa grande fortune au service des pauvres en se faisant la disciple de Monsieur Vincent, fondant même une communauté religieuse qui devait porter le nom de Miramiones.
Quant à Bussy, une grande carrière qui devait en faire le lieutenant du Roi en Nivernais, puis le maître de camp de la cavalerie légère et, finalement, le mener à l’Académie, s’ouvrait devant lui, brillante, hardie, jalonnée de femmes et attristée vers la fin par l’exil. Mais ce n’était jamais sans un pincement de regret qu’il entendait prononcer devant lui le nom de Marie de Miramion. Quelque chose lui avait toujours dit, au plus profond de lui-même, qu’à celle-là il aurait pu être fidèle…
En tout cas, il n’avait pas fini de faire parler de lui !…
Le roman tumultueux de la marquise de Coligny
Deux mariages et aucune vie conjugale !
Le 17 mai 1666, Roger, comte de Bussy-Rabutin, quittait la Bastille, où il était demeuré treize mois « pour avoir déplu au Roi ». Il en sortait épuisé, malade, presque mourant et c’était même pour éviter qu’il mourût en prison qu’on l’en avait tiré aux supplications de sa femme qui, cependant, était certainement dans sa vie, celle qui comptait le moins.
C’était pour une autre… et même pour plusieurs autres que Bussy-Rabutin se mourait à la Bastille : celles qui avaient causé son malheur et celle qui n’avait pas su lui rester fidèle.
Louis XIV n’aimait pas ce soldat de grande race qui avait, jadis, été l’ami de Fouquet et chez qui tout atteignait à la démesure, les défauts comme les qualités. Bussy était trop grave, trop spirituel, trop insolent, trop galant, trop amoureux, trop intelligent et trop violent !
Sa carrière militaire avait été brillante. Maître de camp, lieutenant du Roi en Nivernais, il s’était distingué au siège de Mardyck et avait suivi l’étoile du Grand Condé, son ami, en Picardie et en Flandre. Mais la Fronde venue, Bussy-Rabutin était demeuré fidèle à son Roi et jamais n’avait varié. Il eût été peut-être maréchal de France si une folie de jeunesse, un véritable scandale d’ailleurs, étiqueté par l’Histoire sous le nom de « la débauche de Roissy », ne lui avait valu l’exil.
En compagnie de quelques joyeux lurons comme lui, le duc de Vivonne, frère de Madame de Montespan, le duc de Nevers, le marquis de Cavoye, le duc de Grammont et le futur cardinal Le Camus, Bussy, au cours d’une orgie qui s’était déroulée durant la semaine sainte, avait chanté des alléluias obscènes tandis que le futur cardinal baptisait un cochon de lait. Et Bussy avait été prié d’aller réfléchir sur ses terres de Bourgogne.
Retiré dans son ravissant château de Bussy-Rabutin, le coupable, dont le talent littéraire égalait celui de sa cousine et habituelle complice la marquise de Sévigné (née Marie de Rabutin-Chantal), avait charmé ses loisirs en écrivant une Histoire amoureuse des Gaules, satire étincelante et goguenarde où l’auteur, en un certain nombre de portraits, décrivait les aventures galantes de dames et de seigneurs de la Cour.
Le livre était destiné à distraire la maîtresse très aimée de Bussy, la jolie Madame de Montglas, dont il était follement épris et qui, d’ailleurs, le lui rendait bien car il connaissait peu de cruelles et son charme physique ne le cédait en rien à son esprit.
Malheureusement, Bussy-Rabutin, qui ne savait pas dire non à une femme, eut le tort de laisser lire le manuscrit à l’une de ses amies, une certaine Madame de La Baume, alors enfermée dans un couvent par ordre de son mari. Cette Madame de La Baume était « une femme terrible, séduisante, intelligente, d’une immoralité totale. Elle avait fait le désespoir de sa famille qui l’enfermait de couvent en couvent. Dès qu’elle avait faussé les serrures et la moralité de l’un on la plaçait dans un autre et, quand on l’eut mariée, elle se montra si dépravée que son mari dut suivre la politique de la famille : il l’enferma ».
En possession, « pour deux jours », du manuscrit, cette misérable le copia, le fit imprimer en Hollande et le fit circuler alors qu’il n’était destiné qu’à la seule Madame de Montglas. Ce fut un beau scandale mais le Roi, à qui on lut certains portraits, ne fit qu’en rire. Madame de La Baume fit alors tirer d’autres exemplaires, falsifiés et retouchés de telle sorte que l’œuvre sombrait dans le pamphlet graveleux, d’une grossièreté telle qu’il était impensable de l’attribuer à Bussy mais qui, chose plus grave, attaquait le Roi lui-même et son entourage. Le résultat ne se fit pas attendre et, en avril 1665, le pauvre Bussy-Rabutin était embastillé presque dans le moment même où il était élu à l’Académie française. Mais sa vie était à jamais brisée.
Lorsqu’il quitta la Bastille, il avait quarante-huit ans et il n’était plus que l’ombre de lui-même. Ce qui l’avait à ce point détruit, c’était moins la vie carcérale, assez rude cependant, qu’on lui avait infligée, que les dégâts moraux occasionnés chez lui d’abord par la preuve formelle de l’infâme machination de la dame de La Baume et ensuite, et surtout, par la trahison de sa maîtresse. La belle Madame de Montglas avait choisi de hurler avec les loups et elle s’était hâtée de prendre un nouvel amant, le président Mesnard.
Les soins d’un habile médecin (il en existait tout de même quelques-uns, fort rares il est vrai à cette époque si peu flatteuse pour la médecine !) le remirent d’aplomb. Avec un dévouement admirable, Monsieur Dalancé prodigua sa science et ses remèdes jour et nuit à celui qu’on lui avait confié.
Sa maison, il est vrai, ressembla « à une foire » tant que Bussy y demeura. Ses nombreux amis, et il en avait su garder beaucoup, et aussi nombre de curieux défilèrent devant son lit « comme devant la châsse de sainte Geneviève ». Madame de Sévigné vint aussi, bien que son « portrait » eût paru lui aussi dans la fameuse Histoire amoureuse, un portrait plus aimable d’ailleurs que critique mais que la grande potinière du XVIIe siècle ne devait pas pardonner de sitôt à un cousin dont, d’ailleurs, elle avait été plus ou moins éprise, elle aussi.
Bussy guéri, on eut la grâce de ne pas le réintégrer dans sa prison. Le Roi préféra « l’oublier » après lui avoir fait signifier un ordre d’exil définitif dans ses terres. Et Bussy, le cœur lourd, l’âme encore poisseuse de dégoût et de rancœur, prit le chemin de sa chère Bourgogne qu’il aimait de tout son cœur mais qu’à l’exception de deux occasions, il ne devait plus quitter pendant vingt-sept ans.
C’était (et c’est toujours) une bien charmante demeure que le château de Bussy-Rabutin. Niché au cœur d’un étroit vallon fourré de beaux arbres où coule un petit ruisseau, le Rabutin, le grand manoir clair et noble, cerné de douves aux eaux dormantes, dressait ses quatre tours d’angle sommées de lanternes, ses galeries à l’italienne où s’épanouissaient les fleurs de la Renaissance, ses murs d’un rose passé où semblait toujours s’attarder un reflet de soleil.
L’exilé allait y vivre dans une retraite studieuse, partageant son temps entre les embellissements incessants qu’il apportait à sa demeure, les travaux littéraires, l’immense correspondance qu’il entretenait avec une foule d’amis et d’amies, au premier rang desquels se retrouvaient la cousine Sévigné et l’admirable amie que fut toujours pour lui Madame de Scudéry. Enfin, il se consacrait beaucoup à l’éducation de ses enfants.
De ses deux mariages, avec sa cousine Gabrielle de Toulongeon et avec Louise de Rouville, il en eut sept : cinq filles et deux garçons. Les deux aînées, Diane-Jacqueline et Marie-Thérèse, étaient « en religion », la première à la Visitation de Paris et la seconde chanoinesse. Puis venaient Louise-Françoise, elle aussi du premier mariage, Charlotte et Françoise-Léonore. Les garçons, Amé et Michel-Celse-Roger, venaient ensuite. Mais de tous ses enfants, c’était Louise que Bussy-Rabutin préférait.
Elle était ravissante, comme d’ailleurs tous les autres, et lorsqu’elle allait à Paris, les amis de sa mère se pressaient pour voir « la merveille ». Mais elle n’y allait pas souvent. Douce, tendre, aimant les lettres et adorant son père, elle s’institua dès le début de l’exil sa secrétaire et son ange gardien.
À cause de lui, elle avait jusqu’alors refusé de se marier pour ne pas le quitter, laissant sa belle-mère et ses demi-sœurs courir à Paris où elles faisaient de fréquents séjours (Madame de Bussy-Rabutin finit même par ne plus faire au château que de rares et courtes apparitions), préférant de beaucoup demeurer auprès de son père, partageant ses promenades, ses études et surveillant avec lui les travaux des ouvriers.
Lorsque, enfin, Louise consentit à se marier, elle avait trente-cinq ans. Il est vrai que le prétendant valait la peine d’être examiné. Il se nommait Gilbert de Langeac, comte de Dalet et marquis de Coligny, et, ce qui est mieux, il plut à la jeune fille.
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