Un coup de dague et les liens d'Arnaud tombèrent. Aussitôt, il prit Catherine entre ses bras, la serra contre sa poitrine et couvrit son visage de baisers.

— Ce ne sera pas long, tu verras, lui dit-il tendrement... Un jour, quand j'étais enfant, j'ai failli me noyer dans un lac de mon pays, j'ai perdu connaissance... On ne souffre pas... Il ne faut pas avoir peur.

— Avec toi, je ne crains pas la souffrance, Arnaud ! Seulement j'aurais voulu avoir encore un peu de temps pour te dire mon amour...

— Mais nous allons avoir tout le temps, ma mie... l'éternité, l'éternité à nous deux.

Derrière eux quelqu'un renifla puis une voix anonyme, mais enrouée, demanda :

— Vous... êtes prêts ?

— Nous sommes prêts, faites ! répondit Arnaud, les lèvres dans les cheveux de Catherine.

Ils ne regardaient plus qu'eux et ne virent pas le bourreau glisser les boulets au fond du sac. Toujours enlacés, on les coucha dans l'ouverture large et puis, une totale obscurité les enveloppa avec une odeur puissante de suint. La voix du prêtre qui murmurait les prières des agonisants ne leur parvenait plus que lointaine. Catherine eut, tout à coup, très chaud. Elle eut un tremblement, un réflexe de peur qu'Arnaud calma d'un baiser. Puis, elle sentit que plusieurs mains les saisissaient, les soulevaient.

— N'aie pas peur, murmurait Arnaud contre sa bouche... je t'aime !

Ils tombèrent dans un vide qui leur parut énorme. Il y eut un violent bruit d'éclaboussement, un choc suivi d'un froid glacial. Le sac si lourdement chargé venait de toucher l'eau. Elle se refermait sur lui... Tout était fini, bien fini. Catherine enlacée à Arnaud songea qu'elle emportait avec elle son amour. Il était là tout contre elle, mêlé à elle, deux chairs confondues. Il buvait son souffle... ce souffle qui déjà se faisait court. Elle commençait à suffoquer. Des éclairs rouges, aveuglants, passaient derrière ses paupières closes. L'air lui manquait. Dans le sac de cuir épais, peu à peu, l'eau glaciale rampait comme une bête immonde et visqueuse. Catherine détacha ses lèvres de celles d'Arnaud, voulut murmurer encore :

— Je t'aime...

Mais le souffle lui fit défaut. Elle plongea au fond d'un gouffre énorme et noir, délivrée enfin de la souffrance, de la crainte, des hommes, seule au fond de la mort avec celui qu'elle aimait...

— J'ai cru que je n'arriverais pas à accrocher ce maudit sac ! fit dans l'obscurité la voix endormie de Jean Son. Il était tellement lourd !

Heureusement, ma lame coupait comme un rasoir !

Encore à demi inconsciente, Catherine s'étonnait d'entendre, dans la mort, la voix des vivants. Mais quelque chose d'âpre et de parfumé coula sur ses lèvres et lui fit ouvrir les yeux.

Il faisait noir et froid, et là-haut, dans le ciel, une grosse étoile brillait...

Mais il faisait si froid ! Catherine se mit à claquer des dents.

— Il faut lui enlever cette chemise trempée, dit encore la voix familière.

Il y a des vêtements secs dans la barque...

Elle comprit néanmoins qu'elle ne rêvait pas, qu'elle était sauvée quand elle vit une ombre épaisse se pencher sur elle, entendit la voix d'Arnaud, sentit ses mains qui la dépouillaient, lui passaient quelque chose de sec et de moelleux.

— Comment vous remercier, Jean ? Vous avez accompli un miracle en nous tirant de là. Cela tient du prodige ! disait-il.

Mais non, mais non, fit l'autre en riant... J'ai assez de relations chez les Anglais pour avoir pu me renseigner. J'ai su ce qui vous attendait et je me suis glissé à l'eau, sous le pont, là où l'on jette habituellement les condamnés. Évidemment, j'avais un peu peur d'être rouillé. Il y a longtemps que je ne nage plus. Mais j'ai eu la chance d'accrocher votre sac et de le fendre sur toute sa longueur. Il est au fond de l'eau, maintenant, et vous bien vivants, c'est tout ce qui compte !... Maintenant, partez vite !... Il faut mettre autant de chemin que vous pourrez entre vous et Rouen d'ici le jour. La barque est solide. Il y a une perche, de l'or, des vivres... Vous n'avez qu'à remonter jusqu'à Pont-de-L’arche, puis gagner Louviers. Je vous laisse !

Bonne chance !

— Merci encore ! murmura Arnaud.

Péniblement, Catherine se redressa. Elle était assise dans une barque et dans l'ombre, elle sentit que les bras d'Arnaud l'entouraient, l'enveloppaient de leur force. Sur la berge, une silhouette replète s'éloignait.

— Est-ce que... nous sommes vraiment sauvés ?

Elle devina son sourire dans la nuit, sentit la chaleur de ses lèvres sur ses yeux.

— Mais oui ! Sauvés, libres.... C'est merveilleux !

— Mourir ensemble aussi, c'était merveilleux...

Le rire d'Arnaud, le rire d'autrefois, plein de force et de gaieté, mais ouaté de prudence, tinta à ses oreilles.

— On dirait que tu le regrettes ?

— Un peu, soupira Catherine... C'était beau ! Qu'allons-nous faire, maintenant ?

— Nous allons vivre... et être heureux ! Nous avons un tel retard à rattraper.

Il s'était levé et, le suivant des yeux, Catherine vit sa silhouette vigoureuse se découper en noir intense sur la nuit. Il détachait la barque cachée parmi des roseaux, cherchait la perche, l'enfonçait dans l'eau et, d'un effort puissant, lançait le bateau dans le courant. Quelque chose de blanc passa au-dessus d'eux avec un cri désagréable puis piqua droit dans l'eau noire.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda Catherine.

— Une mouette. Elle pêche... Je t'apprendrai aussi à pêcher quand nous serons à Montsalvy.

— À Montsalvy ?

— Bien sûr ! C'est là que je t'emmène !... Chez moi, chez toi, chez nous...

Je n'oublie pas le compte que j'ai à régler avec Cauchon mais d'abord il faut bâtir notre bonheur. Il y a trop longtemps que nous l'attendons.

Une joie profonde envahit Catherine. Elle s'étendit au fond de la barque, apaisée, heureuse, laissant le bateau glisser au fil de l'eau. Pour la première fois de sa vie, elle découvrait le bonheur de ne plus décider de soi, de laisser une force plus puissante et plus douce vous emporter. Elle ne regrettait plus les noces mortelles. Au bout de ce chemin de nuit et d'eau, il y avait la vie à deux... La vie avec le seul homme qu'elle eût jamais aimé. Tout était bien !