— Elle a besoin de vous ! Je vais vous conduire à une cellule où vous pourrez reposer...
Brusquement, Catherine redressa la tête, enveloppant le capitaine d'un regard chargé de rancune.
— Vous saviez, n'est-ce pas, pour quelle raison il me faisait demander ?
Vous le saviez et pourtant vous ne m'en avez rien dit. Vous m'avez trompée indignement...
Non, je ne vous ai pas trompée ! Je vous ai dit seulement qu'il vous demandait et vous ne m'avez pas posé de questions. Il faut que vous compreniez, Catherine, que, pour nous tous, ses compagnons d'armes, Jehanne a plus d'importance que tout, comme vous l'a dit Arnaud. Elle est le salut du pays et sa capture par les Bourguignons est une immense catastrophe dont les conséquences ne se peuvent calculer. Il faut, vous entendez, il faut que quelqu'un aille rappeler à Philippe de Bourgogne qu'il est, d'abord et avant tout, un prince français... vous m'avez compris : FRANÇAIS ! 11 est temps qu'il s'en souvienne ! On dit que les Anglais, déjà, ont réclamé Jehanne comme leur dû. Et ça, il ne faut pas que ça se produise, à aucun prix...
— Et vous me disiez naguère qu'il m'aimait ! gémit Catherine amèrement. Seul son problème, à elle, l'occupait.
— Et je le dis toujours ! Mais il aime encore plus son devoir et son pays !
Pour sauver Jehanne, il vendrait à Philippe sa propre sœur ! Je comprends, croyez-le bien, l'ampleur du sacrifice que nous vous demandons... mais, Catherine, si vous aimez Arnaud, autant que vous le dites, il faut essayer de sauver Jehanne.
— Qui vous dit que j'y parviendrai, que Philippe m'écoutera ?
— S'il ne vous écoute pas, il n'écoutera personne ! Mais nous n'avons pas le droit de négliger une chance de cette importance !
Catherine poussa un profond soupir. Elle comprenait le point de vue des capitaines et, certes, ne pouvait pas leur donner tort. A leur place, sans doute, elle en eut fait autant. Pourtant, elle tenta de lutter encore.
— Le duc est bon chevalier. Il ne livrera pas la Pucelle...
Je voudrais en être certain. Et, s'il est bon chevalier, vous êtes vous l'incarnation même de cette chevalerie. Vous... la Toison d'Or !
Le mot frappa Catherine et la fit frissonner. Il lui sembla entendre, au fond de sa mémoire, la voix lointaine de Philippe, au temps de leurs amours.
C'était vrai qu'il l'appelait ainsi « Ma Toison d'Or ». C'était vrai aussi qu'il l'avait passionnément aimée... Comment, dans ces conditions, empêcher ces hommes, les compagnons fidèles de Jehanne d'Arc, de mettre en elle leur foi suprême ? Qui n'en eût fait autant ? Vaincue, elle baissa la tête.
— Je ferai ce que vous voudrez ! souffla-t-elle. Où se trouve le duc ?
— Je vais vous montrer. Venez, si vous n'êtes pas trop lasse.
Lasse ? Elle l'était à en mourir. Elle eût aimé se coucher là, au milieu du cloître, sur la terre déjà chargée des senteurs de l'été, pour y attendre que son cœur cessât de battre et que la prît un sommeil sans réveil. Mais elle suivit Xaintrailles jusqu'au clocher de la chapelle du couvent. Par une étroite fenêtre, le bras du capitaine s'étendit, montrant le ruban brillant de l'Oise au-delà des murailles, rose dans le soleil à son aurore. Au-delà s'élevaient des bastilles de bois, comme Catherine en avait vu à Orléans, et des lignes de tentes. Dans l'axe même du pont qui enjambait la rivière, dominant tous les autres comme un grand chêne au milieu d'une forêt, un immense tref de pourpre et d'or brillait dans la lumière naissante ; Catherine reconnut, flottant au sommet, la bannière de Philippe le Bon.
— Le camp de Margny, fit seulement Xaintrailles. C'est là que vous devez aller. Mais, auparavant, il vous faut prendre un peu de repos et vous restaurer. Vous aurez besoin de toutes vos forces...
CHAPITRE XVII
La Toison d'Or
C'est seulement au coucher du soleil que Catherine prit le chemin du camp bourguignon. Il fallait attendre la trêve tacite que ramenait la nuit avant de pouvoir l'envoyer chez l'ennemi. Vers le soir donc, elle monta à cheval et, franchissant la porte, s'engagea sur le pont qui enjambait l'Oise. Un écuyer de Xaintrailles, portant une blanche bannière de parlementaire, la précédait...
Tandis que les sabots de sa monture sonnaient sur les planches épaisses du pont, Catherine se laissait porter sans même chercher à guider l'animal. Elle se sentait le cœur lourd, la tête vide, et retrouvait à peu près les mêmes impressions qu'à Orléans, ce jour terrible entre tous où elle était montée dans le tombereau qui devait la mener au gibet. La sensation que plus rien n'avait d'importance ! Elle ne cherchait même pas à imaginer comment Philippe la recevrait, ni ce qu'elle lui dirait. Elle était décidée à faire l'impossible pour sauver Jehanne, obtenir au moins sa mise à rançon. Et ses projets d'avenir n'allaient pas au-delà.
Sur son dos, du haut des tours, elle sentait le poids des regards de tous ces hommes qui la regardaient partir : Xaintrailles, le gros et bestial Flavy qu'elle avait aperçu au moment de monter à cheval et tous les soldats penchés aux créneaux. Elle était prise entre deux murailles d'hommes implacables : ceux de Jehanne, ceux de Philippe qui renforçaient les Anglais et Arnaud, le plus cruel de tous, aux prises avec la mort au fond d'un monastère ! Un piège dont elle n'avait pas assez de forces pour se défaire.
Aux avant-postes, le pont une fois franchi, l'écuyer leva le drapeau. Elle entendit donner son nom au premier archer qui se présenta et dire que, dame de Bourgogne, elle désirait s'entretenir avec le duc Philippe. L'archer alla chercher un officier qui dépêcha un sergent vers la tente monumentale, énorme et écarlate dans le soir tombant. Passive, Catherine attendait, résignée à tout. Elle ne voulait même pas penser à Arnaud car son souvenir lui faisait mal comme une blessure que l'on ravive...
Le sergent revint bientôt, courant de toute la vitesse de ses jambes dans la poussière. Il semblait dans tous ses états.
— Messire Toison d'Or, roi d'armes de Bourgogne, arrive dans l'instant, Madame, s'écria-t-il. Il a bien voulu se déranger pour vous.
Le nom de Toison d'Or arracha à la visiteuse un sourire amer. Allait-on toujours le lui jeter au visage ? Mais son attention fut vite détournée par l'apparition véritablement fantastique qui, sortant du tref ducal, venait vers elle au galop d'un cheval. Un homme portant par-dessus l'armure une cotte d'armes éblouissante de soie et d'or qui reproduisait les blasons de toutes les possessions bourguignonnes. Et, sur cette cotte, un collier d'émaux et d'or large comme une collerette, au centre duquel pendait l'effigie d'un mouton d'or attaché par le ventre. Une toque empanachée complétait le costume fastueux de cet homme qui accourait. Approchant de Catherine, il sauta de cheval et courut à elle, les deux mains tendues.
— Catherine !... Chère Catherine ! Je n'espérais plus vous revoir !
Avec un étonnement mêlé de joie qui secoua un peu la torpeur où elle s'enlisait, Catherine reconnut son ami Jean Lefebvre de Saint-Rémy et, spontanément, lui tendit aussi les mains.
— Jean ! Comme je suis heureuse de vous rencontrer. Mais que vous voilà beau !
Instinctivement, elle retrouvait pour lui le ton léger et familier de leurs anciennes relations et cela lui fut salutaire. Elle se ressaisit, retrouva tout son contrôle d'elle-même. Cependant, Saint-Rémy pivotait sur ses talons avec des mines de gravure de mode et terminait par un profond salut.
— Voyez en moi, ma chère amie, le roi d'armes Toison d'Or, élu à l'unanimité par les membres du collège héraldique de Bourgogne. Je suis devenu un grand personnage. Comment me trouvez-vous ?
— Magnifique ! Mais, Jean, c'est le duc que je voudrais voir. Pensez-vous qu'il me recevra ?
Le sourire s'effaça du visage de Saint-Rémy qui se rembrunit.
— Il vous attend ! Mais il n'est pas de bonne humeur, sachez-le. Il y a si longtemps, en fait, qu'il vous attend ! Où étiez-vous passée ? Et comme vous voilà faite ! Oh, vous êtes toujours aussi belle mais vous avez maigri... et puis, vous semblez lasse.
— Je le suis, mon ami. Lasse de tout, croyez- moi !
Le nouveau roi d'armes hocha tristement la tête et prit la bride du cheval de la jeune femme.
— J'espère que Monseigneur Philippe saura ramener le sourire dans vos yeux. Notre Cour a moins d'éclat depuis que vous avez disparu.
— Vous avez une duchesse...
— Elle a beaucoup d'allure, son éducation est parfaite et sa beauté incontestable. Mais elle est un peu statue et je la trouve froide. Venez vite.
Je bavarde, je bavarde et Monseigneur attend. Il est inutile d'augmenter sa colère !
Quelques instants plus tard, Catherine sautait de cheval devant l'entrée de la tente ducale, où veillaient deux soldats de la garde personnelle.
Instinctivement, Catherine chercha le plumet blanc de Jacques de Roussay mais le jeune capitaine n'était visible nulle part. Précédée de Saint-Rémy un peu nerveux tout à coup, elle pénétra dans l'immense pavillon de velours pourpre et de drap d'or. Une seconde après, elle était en face de Philippe le Bon.
En revoyant le duc, Catherine eut l'impression qu'il avait vieilli. Ses traits avaient quelque chose de plus accentué et d'un peu figé. Cela tenait peut-être aussi aux ombres mouvantes des flambeaux déjà allumés et posés un peu partout. Il se tenait debout, très droit, auprès d'une table qui supportait un gros évangéliaire d'ivoire, une main posée dessus, dans une attitude de hauteur qui devait lui être devenue naturelle mais qui avait quelque chose d'un peu trop pompeux et officiel. Il portait le harnois de guerre avec, autour du cou, un grand collier d'or, où alternaient des briquets et des bouquets de flammes. Le même mouton d'or plié en deux terminait ce joyau, tout comme celui du roi d'armes.
"Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" отзывы
Отзывы читателей о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" друзьям в соцсетях.