Le gouverneur d'Orléans toussota.
— Messire de Montsalvy, dit-il courtoisement, je crains que vous ne vous laissiez emporter par un ressentiment tout personnel. Mieux vaudrait, je crois, que vous laissiez instrumenter ces messieurs et moi- même.
Lorsque nous aurons appris de l'accusée ce que nous désirons en apprendre, vous pourrez requérir autant qu'il vous plaira. Et, tout d'abord, il apparaît que nous avons négligé de munir la prisonnière d'un défenseur...
— Avec votre permission, Sire gouverneur, coupa doucement Catherine, je n'ai que faire d'un défenseur. Ma parole et ma bonne foi devraient suffire à vous convaincre. On m'accuse ici de méfaits que je n'ai point commis et n'avais aucunement l'intention de commettre.
— C'est ce qu'il faudra établir. Mais commençons comme il convient et répondez d'abord à mes questions. Vous êtes bien Catherine de Brazey, maîtresse favorite du duc Philippe ?
Le ton de Gaucourt était grave, mais sans rudesse. Catherine comprit que cet homme n'était pas son ennemi et en prit un peu plus d'assurance.
— Je suis Catherine de Brazey, veuve du Grand Argentier de Bourgogne exécuté pour haute trahison. Et je ne suis plus rien pour Monseigneur Philippe.
A cet instant, Arnaud ricana et elle dut faire effort sur elle-même pour ne pas s'emporter contre lui. Elle parvint même à ne pas le regarder.
— Depuis quand ? demanda-t-il goguenard.
Les- yeux toujours fixés sur le gouverneur, elle répondit calmement :
— Depuis que je sais le prochain mariage du duc. Tous les liens qui pouvaient exister entre lui et moi sont rompus. J'ai désobéi à l'ordre qui me faisait un devoir de retourner à sa Cour. Comprenez-moi, messire : voici bientôt cinq mois l'enfant que nous avions eu est mort. Il a emporté avec lui le dernier lien. Je suis partie...
— Pour venir ici ? fit Gaucourt, étrange choix !... et encore plus étrange équipage pour une femme riche et puissante, car vous étiez l'une et l'autre.
— J'ai été dépouillée en chemin par un brigand du nom de Fortépice. J'ai fui son château quand j'ai su qu'il avait envoyé à Bruges demander rançon pour moi. J'ai dû continuer comme j'ai pu... c'est-à-dire à pied.
— Mais pourquoi venir ici ? Qu'y cherchiez-vous donc ?
Catherine ne répondit pas tout de suite. Un flot de sang monta lentement à son visage tandis qu'une brusque émotion serrait sa gorge.
Elle baissa la tête et murmura d'une voix sourde :
— J'ai voulu suivre... un vieux rêve né voici bien longtemps ! Mais j'étais folle, je crois...
Elle releva la tête et, comme des larmes brûlantes montaient à ses yeux, elle cria, prise d'une fureur subite :
— Folle à lier, folle comme ces enfants que l'on voit se pencher sur les puits, les nuits de pleine lune, pour essayer de prendre son reflet entre leurs petites mains et qui meurent de leur illusion...
Sa voix s'enroua. Le gouverneur l'examinait avec une curiosité qui n'était pas dénuée d'intérêt et qui n'échappa pas à Arnaud. Le capitaine eut un rire féroce.
— Quand je vous l'avais dit ? Nous voilà en plein songe ! Cette femme veut nous faire croire qu'elle courait après un rêve. En vérité, messieurs, elle nous prend pour des sots. Si vous voulez qu'elle avoue, faites-lui donner la question. Je serais fort étonné qu'elle nous parle encore de rêves sur le chevalet.
— Je vous ai déjà pris pour beaucoup de choses, Arnaud de Montsalvy, s'écria Catherine, mais jamais pour un sot et je le regrette !
Ses dernières paroles furent couvertes par la discussion qui s'élevait entre les juges pour savoir si, oui ou non, la prisonnière serait remise au bourreau pour être questionnée. Une peur insidieuse se glissa dans les veines de Catherine à l'idée de la torture. Elle était déjà si affaiblie, si épuisée ! Dieu savait quels aveux insensés la souffrance pourrait lui arracher. Avec angoisse, elle suivait la rapide discussion à mi-voix des cinq hommes et se rendait compte que les trois échevins étaient pour Arnaud. Un seul était contre : le gouverneur. Elle l'entendait dire :
— Tout cela n'a guère de sens, selon moi. Oubliez-vous que vous autres, gens d'Orléans, aviez envoyé messire Xaintrailles auprès de Philippe de Bourgogne pour lui demander de prendre la ville en charge et qu'il avait accepté ?
Il avait accepté, en effet, mais n'avait pas pour autant retiré ses troupes. Il a fallu une mésentente entre lui et son beau-frère le régent Bedfort, pour qu'il le fît. C'est donc à un mouvement de mauvaise humeur que Philippe a obéi, non à un geste de solidarité française. De plus, il n'ignore pas que le ciel envoie à notre secours et qu'il n'a plus rien à attendre de nous. Je pense, moi, que cette femme est venue ici avec une mission bien précise et j'entends qu'on lui en arrache le secret. Le sort de notre ville en dépend peut-être, fit l'un des échevins.
Les deux autres notables approuvèrent vigoureusement leur collègue.
Arnaud eut un sourire oblique à l'adresse de Gaucourt.
— Voyez, messire, nous sommes quatre contre vous. Nous l'emportons!
Puis élevant la voix :
— Bourreau ! Fais ton office !
Derrière l'un des piliers, Catherine terrifiée vit surgir un homme court et trapu, tout vêtu de rouge et de brun. Un autre homme, pareillement équipé mais plus grand, le suivait. Les soldats s'écartèrent pour les laisser atteindre la prisonnière sur laquelle leurs mains rudes s'abattirent. En tournant la tête vers eux, Catherine avait aperçu tout un côté de la salle qu'en entrant elle n'avait pas vu. Un appareillage terrifiant s'y étalait autour d'une sorte de lit en bois grossier dont deux treuils formaient le chevet et le pied. De longues tiges de fer sortaient d'un brasier où elles rougissaient et, dans l'ombre, tout au fond, se dessinait vaguement la forme effrayante d'une grande roue armée de pointes de fer.
Effarée, Catherine ne pouvait détacher ses yeux de la sinistre installation quand un cri lui échappa. Le bourreau, brutalement, avait arraché sa robe déjà si mal en point et sa chemise. A se trouver ainsi, nue en face de ces hommes dont les yeux, brusquement, la dévoraient, une profonde rougeur lui monta au visage et elle voulut se cacher de ses bras.
Mais les tourmenteurs lui saisirent les poignets pour les lier ensemble. Un ordre, un cri plutôt les arrêta. C'était Arnaud.
— Qui vous a ordonné de dénuder cette femme ?
— Mais, Monseigneur... la coutume, protesta le bourreau.
— Je me moque de la coutume et je ne suis pas votre seigneur. Remettez-lui au moins sa chemise !
Si elle n'avait eu si peur, Catherine se fût rendu compte qu'Arnaud était devenu blême, que les ailes de son nez s'étaient pincées, mais elle se retenait pour ne pas hurler de terreur tandis qu'on l'entraînait vers le lit de torture. Le bourreau tant bien que mal avait drapé sur elle ce qui restait de la chemise.
Sans douceur, on la coucha sur le lit de bois. Ses poignets furent ramenés brutalement au-dessus de sa tête et on les enchaîna au treuil, tandis que l'aide- bourreau faisait de même avec ses chevilles. L'échevin Lhuillier se pencha sur elle :
— Femme, avant que la douleur ne s'empare de vous, je vous adjure de nous dire, de bon gré, ce que vous êtes venue faire en cette ville. Épargnez-vous, épargnez-nous ce qui va suivre. Pourquoi êtes- vous venue ?...
Les yeux de Catherine cherchaient Arnaud, éperdument. Mais il se tenait hors de son champ de vision. Elle ne pouvait même pas deviner s'il était encore là. Alors, elle regarda Lhuillier.
— Pour retrouver l'homme que j'aimais, murmura-t-elle. Mais je ne vous dirai pas son nom.
— Pourquoi ?
— Parce que vous ne me croiriez pas !
Un hurlement de douleur lui échappa. Sur un signe discret de l'échevin, le tourmenteur avait donné un tour au treuil. Le corps de Catherine fut envahi par une marée de souffrance. Elle crut que ses bras et ses jambes s'arrachaient d'elle.
— Soyons sérieux, fit doucement Lhuillier. Si vous voulez que nous vous accordions crédit, il faut, au moins nous dire le nom de cet homme. Qui est-ce ? Quelque Bourguignon qui vit secrètement ici ? Allons... montrez-vous raisonnable et votre souffrance cessera.
Des larmes brûlantes coulaient sur les joues de Catherine. Elle avait si mal que parler lui était déjà pénible.
— Demandez... à messire de Montsalvy. II... devrait... pouvoir vous le dire !
L'échevin hésita. Mais, juste à cet instant, deux hommes, deux chevaliers entrèrent dans la salle et s'approchèrent vivement du lit de torture. Malgré les larmes qui emplissaient ses yeux, Catherine reconnut Xaintrailles, mais elle n'avait jamais vu l'autre. C'était Jean de Dunois, Bâtard d'Orléans, le maître de la ville assiégée. Devant lui, chacun s'écarta avec respect car, à la noblesse de sa naissance1, il joignait une grande bravoure, une indéfectible loyauté et une infinie gentillesse. Il jeta sur la suppliciée un rapide coup d'œil, fit un geste.
— Délivre cette femme, bourreau...
— Monseigneur, commença Lhuillier, ne vous semble-t-il pas...
D'un geste calme mais ferme, Dunois le fit taire.
— Non, mon ami ! Nous avons mieux à faire céans que torturer une femme peut-être innocente. J'apporte de merveilleuses nouvelles.
De derrière le pilier, Arnaud surgit, pâle de colère.
— C'est moi, Monseigneur, qui ai fait arrêter cette femme. C'est moi qui ai dit qu'elle était dangereuse et c'est moi que vous offensez en désavouant mes actes !
Cette fois, le bâtard sourit, avec une nuance de tendresse, et Catherine, que le bourreau aidait à s'asseoir, remarqua l'extraordinaire séduction de ce sourire. Dunois posa ses deux mains sur les épaules du capitaine.
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