La chandelle fumeuse éclairait seulement, sur un chapiteau de pierre, la silhouette charmante d'un jeune garçon appuyé sur un grand cerf...
— Qui sont ces gens ? demanda Catherine. Où sommes-nous ?
Le garçon qui l'avait descendue de force eut une grimace qui pouvait passer pour un sourire. Il était sale et une abondante barbe noire mangeait son visage, mais son regard était jeune, son corps vigoureux quoique maigre.
Il haussa les épaules.
— Ceux de Montaran ! Les Godons ont brûlé notre village hier... On attend pour entrer, nous aussi. Quant à cet endroit, c'est la crypte de l'église Saint- Aignan que les gens d'Orléans ont rasée avec tout le reste du faubourg; tu n'as qu'une chose à faire : t'asseoir avec nous et attendre.
Il ne lui demandait rien de plus, retournait à son poste d'observation en haut de l'escalier plus qu'à demi écroulé. En regardant mieux ses voisins, elle vit des faces douloureuses, des traces de larmes récentes et quelques maigres ballots de hardes. Tous tenaient les yeux baissés comme s'ils avaient honte de leur misère. Elle n'osa pas leur parler, s'assit un peu à l'écart et attendit. Il faisait froid dans cette cave et un frisson courut le long de son échine. Elle avait sommeil mais résista à l'envie de dormir, craignant que les autres ne l'oubliassent, tout à l'heure, quand ils s'avanceraient vers la ville. L'attente, d'ailleurs, ne fut pas longue. Une heure peut-être... Au bout de ce laps de temps, le garçon reparut sur les dernières marches, eut un grand geste d'appel.
— Amenez-vous, c'est le moment !
Les réfugiés se levèrent sans un mot, passifs comme un troupeau habitué à suivre le plus fort. L'un derrière l'autre, ils sortirent de la crypte suivant leur guide, se coulèrent à nouveau dans les décombres, courbés en deux pour ne pas être vus. La nuit n'était pas très sombre et des étoiles brillaient, d'un éclat froid, haut dans le ciel. Catherine aperçut la porte entre ses deux tours... La distance fut vite parcourue. Bientôt, on fut sur un petit pont-levis qui commandait la poterne accolée à la grande porte. Le grand pont était relevé... En franchissant le rempart au moyen de l'étroit couloir, Catherine crut défaillir de joie. Enfin, elle y était ! L'invraisemblable odyssée était terminée. Elle entrait dans Orléans...
CHAPITRE XIII
La prisonnière d'Arnaud
La porte de Bourgogne ouvrait sur une rue étroite que bordaient, d'un côté, les bâtiments d'un couvent et de l'autre une file de maisons aux volets clos. Quelques soldats en armes se tenaient là, poudreux et noirs encore du récent combat. Les torches que portaient certains d'entre eux éclairaient la sortie de la poterne près de laquelle un pot à feu brûlait en fumant dans une cage de fer. Le vent, assez fort, couchait les flammes.
— Encore des réfugiés ! fit une voix hargneuse qui fit battre un peu plus fort le cœur de Catherine. Qu'allons-nous en faire alors qu'il nous faudra bientôt songer à rejeter les bouches inutiles ?
— Les gens de Montaran ! dit quelqu'un. Leur village a brûlé hier...
Le premier homme qui avait parlé ne répondit pas mais Catherine, aimantée par quelque chose de plus fort que sa volonté s'avança vers le lieu d'où la voix était venue. Elle ne s'était pas trompée. À quelques pas d'elle, il y avait Arnaud de Montsalvy.
Adossé contre le mur du couvent, tête nue, ses courts cheveux noirs en désordre, il regardait avec humeur la file lamentable qui venait de pénétrer dans la ville. Son visage portait des traces de poudre et une balafre que Catherine ne connaissait pas lui coupait une joue. Son armure était cabossée, il paraissait un peu las mais, avec une joie fiévreuse, elle constata qu'il n'avait pas changé. Les traits étaient les mêmes, un peu plus accentués peut-
être. La bouche ferme avait un pli amer. Les yeux, qu'elle avait vus se charger de tendresse si rarement, étaient toujours aussi durs, le port de tête toujours aussi arrogant. Tel qu'il était, mal rasé et plutôt sale, il parut à Catherine plus beau que l'archange saint Michel. N'était-il pas son rêve fait chair ?
Sa joie de le retrouver si vite, là, auprès de cette porte à peine franchie, fut si forte qu'elle oublia tout ce qui n'était pas lui. Il l'attirait irrésistiblement...
Les yeux soudains brillants, les mains ouvertes, les lèvres humides, elle s'avança vers lui, à petits pas, comme en extase... Elle semblait si peu sur terre que ses compagnons s'écartèrent étonnés, lui laissant le passage.
Arnaud ne la vit pas tout de suite. Il examinait avec une visible irritation la garde faussée de son épée. Mais, brusquement, il leva la tête, aperçut cette femme en haillons qui s'avançait vers lui sur les gros pavés ronds, humides de la dernière pluie. Quelque chose en elle attira son attention flottante. La femme semblait ne se soutenir qu'à peine. Elle était visiblement parvenue aux frontières de l'épuisement, mais ses yeux irradiaient une lumière intense et, sur sa robe misérable, croulait le fleuve doré d'une merveilleuse chevelure. Lentement, lentement elle approchait, un sourire aux lèvres, tendant des mains écorchées et tremblantes. Il crut à une apparition née de sa fatigue. Le combat du jour avait été rude et ses bras étaient las d'avoir manié pendant des heures la lourde épée à deux mains. Il se frotta furieusement les yeux, regarda encore... Et, soudain, il la reconnut.
Incapable de parler, Catherine s'était arrêtée à quelques pas de lui, le dévorant du regard. Leurs yeux s'accrochèrent, se nouèrent une longue minute où le temps parut s'arrêter. L'étonnement, l'incrédulité se lisaient dans ceux d'Arnaud qui, de seconde en seconde, se dilataient. Une joie violente aussi, mais ce ne fut qu'une impression fugitive... Brusquement, Arnaud se reprit. Il se redressa tandis que tout son visage se convulsait sous l'assaut d'une violente irritation. Furieux, il pointa vers la jeune femme un doigt accusateur, hurla :
— Arrêtez cette femme immédiatement !
Interdite, Catherine s'arrêta, levant vers Arnaud un visage incrédule. Brutalement coupée de son enchantement, elle vacilla. Ses mains retombèrent inertes le long de son corps, son regard s'éteignit. Elle gémit douloureusement :
— Arnaud !... Non !...
Mais, déjà saisi d'une rage aveugle, il l'empoignait par un bras, la jetait presque aux mains des hommes d'armes qui, stupides d'étonnement, n'avaient pas osé bouger. La voix emportée du jeune homme rugit :
— Vous êtes sourds ou idiots ? Je vous ai dit d'arrêter cette femme !
— Mais... messire, commença un sergent.
Aussitôt Arnaud fut sur lui, le dominant de toute
sa haute taille. Les poings serrés, prêt à cogner, il était tendu comme une corde d'arc. Son visage était pourpre.
— Pas de mais, l'ami ! J'ordonne ! Sais-tu seulement qui elle est ? Une Bourguignonne... la pire de toutes ! Ce n'est pas une pitoyable réfugiée comme elle cherchait à nous le faire accroire. C'est la propre maîtresse de Philippe le Bon, la belle Catherine de Brazey ! Il ne faut pas être très malin pour deviner ce qu'elle vient faire ici !
Au nom de Philippe, le soldat avait pris peur visi blement. Il s'était hâté de saisir Catherine au poignet quand une voix lente, incrédule, se fit entendre :
— La belle Catherine ici ? La dame aux cheveux d'or ? Qui a dit une chose pareille ?
Crinière rouge au vent et armure d'acier bleu, c'était Xaintrailles qui débouchait d'une ruelle. Il était au moins aussi cabossé que son ami, mais son visage joyeux n'en avait pas perdu sa bonne humeur pour autant.
— C'est moi qui le dis ! lança sèchement Arnaud. Regarde, si tu ne me crois pas !
Le grand chevalier roux s'avança vers le groupe de soldats qui s'était refermé autour de Catherine et l'examina avec une stupeur non feinte puis éclata de rire.
— C'est ma foi vrai ! Tudieu, belle dame, que faites-vous ici... et dans cet appareil ?
— Elle est venue nous espionner pour son amant, c'est facile à comprendre, gronda Arnaud. Quant à ce qu'elle va faire maintenant, c'est moi qui vais te le dire : avant une heure elle sera bouclée au fond d'un cachot où elle attendra son jugement. Allez, vous autres, en avant. Emmenez-la...
Mais Xaintrailles avait cessé de rire. Il regardait toujours Catherine. Puis il arrêta son ami d'une main posée sur son bras.
— Tu ne trouves pas que c'est un peu étonnant ? fit-il en secouant la tête.
Pourquoi Philippe de Bourgogne, qui a retiré ses troupes du siège à la suite de son altercation avec Bedford, l'enverrait-il ici... et dans cet état ? Regarde ses vêtements en lambeaux, ses pieds en sang... elle se soutient à peine...
La lueur de pitié qu'elle lisait dans les yeux du capitaine rendit un peu de courage à Catherine effondrée. Mais l'entêtement d'Arnaud ne voulait rien entendre. Il haussa les épaules avec emportement.
Cela prouve seulement qu'elle est meilleure comédienne que tu ne crois !
Quant aux intentions profondes de Philippe le Tortueux, sois bien sûr que je ne tarderai pas à les connaître. La nouvelle de l'arrivée prochaine de la Pucelle a dû changer bien des choses à la Cour de Bruges. En prison, l'espionne... et tout de suite ! Là, je saurai bien lui délier la langue.
Xaintrailles n'insista pas. Il connaissait trop Arnaud pour ignorer que, dût sa vie en dépendre, il ne se déjugerait pas pour un empire, surtout en public.
D'ailleurs, la foule s'était attroupée autour d'eux et grondait, tout de suite prête à la menace.
— A mort la Bourguignonne !
Le cri s'amplifiait déjà. Depuis des mois que le siège durait, les gens d'Orléans étaient exaspérés, avides de laisser éclater leur fureur et leur angoisse. Sentant qu'ils risquaient d'être emportés, quelques soldats enfermèrent Catherine au milieu d'eux, tandis que d'autres écartaient les plus enragés à coups de bois de lance. Une poignée de boue, lancée d'une main sûre, vint frapper la jeune femme à l'emplacement du cœur. Elle ne broncha pas. Elle se tenait très droite, rigide... comme insensible. Elle regardait Arnaud de toute son âme. La boue nauséabonde coula le long de sa robe, laissant une traînée noire. Alors brusquement, la jeune femme éclata de rire... Un rire terrible, strident, qui ne lui appartenait pas et qui fit taire d'un seul coup tous les cris de mort. Elle riait, riait, comme si jamais plus elle ne s'arrêterait.
"Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" отзывы
Отзывы читателей о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Catherine Il suffit d’un Amour Tome 2" друзьям в соцсетях.