Une envie de voir ce que faisaient les routiers saisit Catherine. Est-ce qu'au mépris de leur parole, ils ne commençaient pas à molester les pauvres paysans ? Savait-on jamais quel crédit pouvait être accordé aux gens de cette sorte ? Elle jeta un coup d'œil à Ermengarde. La comtesse priait avec une ardeur, une concentration qui lui étaient toute conscience de ce qui se passait autour d'elle. La tête dans ses mains, elle ne voyait rien. Catherine bougea, s'écarta doucement sans qu'Ermengarde tournât la tête vers elle. Sans bruit, la jeune femme fit quelques pas dans la nef, s'éloignant sans perdre de vue son amie. La porte de l'église demeurée entrouverte lui facilita la tâche. Elle se glissa dehors et constata que les grands feux allumés n'éclairaient pas le portail. L'abbé était renfermé chez lui à tenir conseil, les moines s'activaient autour des marmites, violemment éclairés par les flammes dansantes. Nul ne faisait attention à elle.
Rapidement, Catherine traversa la cour, gagna les degrés de pierre qui menaient au chemin de ronde, monta... Il n'y avait personne, derrière les créneaux de l'abbaye. Mais, en bas, sur la place du village, une agitation insolite régnait. Les routiers avaient fait des feux de bivouac autour desquels certains se reposaient. Catherine reconnut Garin et le Bègue de Pérouges, assis auprès du plus important de ces feux, mangeant et buvant. Par contre la plus grande partie de la troupe s'activait et ce qu'elle faisait arracha une exclamation d'horreur à la jeune femme.
À l'aide de planches et de clous qu'ils avaient dû prendre chez le charpentier de Saint-Seine, ils étaient occupés à condamner les portes et les fenêtres des maisons, pour empêcher les habitants de sortir. D'autres, venant du bout du village, apportaient d'énormes brassées de paille et de bois mort qu'ils entassaient devant les maisons au fur et à mesure que leurs compagnons achevaient leur travail de clôture. L'effroi glissa dans les veines de Catherine comme un ruisseau de glace. Elle ne comprenait que trop bien ce qui allait se passer, demain matin, quand l'abbé refuserait de la rendre.
Quelques torches jetées dans ces brasiers tout préparés et le village en entier flamberait d'un seul coup. Les braves gens enfermés à l'intérieur grilleraient tout vivants, avec leurs enfants, leur bétail, leurs modestes richesses...
Catherine sentit qu'elle ne pourrait le supporter. S'il lui fallait, pour se garder de Garin, contempler la ruine de ce pays, entendre les hurlements des innocents sacrifiés, jamais plus elle ne pourrait dormir !
Bien sûr, les raisons d'Ermengarde étaient bonnes. Peut-être même avait-elle raison en disant que sa reddition ne sauverait pas le village menacé. Mais, ce risque Catherine n'avait pas le droit de l'éviter. Même si cela ne lui servait qu'à mourir avec les autres, elle préférait encore cette solution-là... Du moins mourrait-elle sans se mépriser !
Sans plus réfléchir, Catherine dégringola le raide escalier. Elle avait remarqué, vers les étables de l'abbaye, une petite porte ouvrant directement sur les champs. Elle était dans un renfoncement, donc peu visible, et l'abbé n'avait peut-être pas songé à la faire garder comme le grand portail où veillaient les hommes d'Ermengarde. Rapidement, rasant les murs pour ne pas être vue, la jeune femme s'éloigna vers l'ombre des bâtiments. Si forte était sa résolution de se sacrifier qu'elle n'avait même pas peur. Ce qu'elle ressentait, c'était une sorte d'exaltation comme devaient en éprouver les victimes offertes en holocaustes sur les autels barbares. C'était pour que d'autres vivent qu'elle allait mourir...
La porte, qu'elle atteignit presque à tâtons, n'était pas gardée, mais elle était fermée par une lourde barre de fer passée dans des gâches et qu'il ne devait pas être facile de faire glisser. Catherine, pourtant, s'y attaqua. Tirant de toutes ses forces sur le loquet de cette barre, s'y écorchant la paume des mains, elle parvint à la faire bouger. Lentement, lentement, la barre glissa, quitta son logement. Les mains de Catherine étaient en sang, son visage couvert de sueur quand, enfin, elle reposa la barre à terre. Plus rien, maintenant, ne l'empêchait de sortir... Au-delà du mur, elle prendrait sa course vers Garin, se jetterait à ses pieds s'il le fallait, s'humilierait pour fléchir sa colère...
Elle tira, non sans peine, la lourde porte à elle.
Mais une main sortie de l'ombre appuya vivement sur le battant entrouvert qui retomba.
— Il est formellement interdit à qui que ce soit de sortir de l'abbaye ! fit une voix paisible. C'est l'ordre de Monseigneur l'abbé !
Un moine qui portait sous le bras un gros paquet de paille se tenait devant elle. Il devait être dans l'étable pour y prendre de quoi allumer un nouveau bûcher tandis qu'elle essayait d'ouvrir la porte... Dans l'ombre, elle vit une forme courte et trapue, un crâne rond et lisse sur la blancheur duquel tranchait une mince couronne de cheveux. Tranquillement, le moine jetait à terre son ballot, ramassait la barre de fer et la réengageait dans ses gâches.
Eperdue, Catherine l'implora :
— Je vous en supplie, laissez-moi sortir. Il faut que j'aille trouver ces gens, là, dehors. C'est moi qu'ils cherchent ! Une fois qu'ils me tiendront, ils n'auront plus aucune raison d'attaquer l'abbaye. Le village sera sauvé ! On ne peut pas laisser faire une chose pareille !...
Mais le religieux secoua la tête, doucement. Sa voix était toujours aussi paisible quand il dit :
— Ce que fait notre abbé est bien fait, ma sœur ! Et les desseins de Dieu sont insondables. S'il a décidé que nous péririons tous demain, nous et tout le village, c'est qu'il a ses raisons que je ne veux pas chercher à connaître. Pour moi, j'ai fait vœu d'obéissance. Et, quand Monseigneur l'abbé ordonne, j'obéis, bien humblement. Venez, ma sœur...
Calant sa paille sous un bras, il prenait de sa main libre le bras de Catherine et l'entraînait irrésistiblement. Elle eut beau prier, supplier, le moine ne se laissa pas fléchir. Il la ramena vers les feux. A cet instant, de l'église sortait Ermengarde très agitée. Apercevant Catherine, elle courut à elle.
— Où étiez-vous passée encore ! J'étais morte d'inquiétude !
— Je l'ai arrêtée au moment où elle allait franchir la porte des étables, fit le petit moine tranquille. Elle voulait sortir et se livrer, mais l'abbé a interdit à quiconque de sortir. Alors, je la ramène. Puis-je vous la confier ?
— Vous pouvez, mon père, vous pouvez ! Et je vous garantis qu'elle ne m'échappera plus.
Ermengarde paraissait furieuse. Sans rien vouloir entendre des explications de Catherine éplorée, elle l'entraîna vers la maison des hôtes et, sans un mot, s'enferma dans sa chambre avec sa captive.
— Comme cela, dit-elle, je serai tranquille. Vous resterez là !
À bout de forces, Catherine se laissa tomber sur son lit et y versa toutes les larmes de son corps sans parvenir à attendrir sa geôlière qui, assise, bras croisés, la contemplait sans rien dire !
Et la nuit s'acheva.
Quand le jour revint, illuminant les bâtiments de l'abbaye, Catherine et Ermengarde, en sortant de leur logis, ne reconnurent pas le décor paisible de la veille. Sur les murs, les moines veillaient auprès de chaudrons qu'ils y avaient transportés et dont l'odeur empestait l'air pur du matin. D'autres, dans la cour, entretenaient de grands feux ou bien affûtaient les lames des faux sur des meules. D'autres encore amenaient des pierres de taille prises au chantier de l'église. Et, au milieu de tout cela, les mains au dos, l'abbé se promenait, comme un général inspectant ses troupes.
En voyant les femmes apparaître, il vint droit à elles.
Vous devriez retourner dans l'église, dit-il. Vous y seriez plus à l'abri. Il est temps pour moi de monter au rempart pour voir ce qu'il en est de nos assaillants.
— Je vais avec vous, s'écria Catherine. Ce n'est pas l'heure pour moi de me cacher et si vous ne voulez pas que je me livre, permettez au moins que je parle à mon mari ! Je parviendrai peut-être à le faire changer d'avis.
Jean de Blaisy hocha la tête avec un sourire sceptique.
— Je doute que vous y parveniez. S'il était seul en cause, peut-être... mais je connais le Bègue de Pérouges. Lui et ses hommes flairent le sac d'une riche abbaye. Le prétexte leur semble bon et d'autant meilleur qu'ils se contenteraient de bien moins. Vous allez courir là, inutilement, le risque d'une flèche perdue.
— Je tiens cependant à le courir.
— Comme vous voudrez. Venez donc...
Comme la veille, tous trois, car Ermengarde ne voulait plus quitter Catherine — Sara aidait le frère apothicaire à préparer des pansements à la cuisine —, montèrent au créneau, jetèrent un coup d'œil sur le village d'où parvenaient un cliquetis d'armes et des jurons.
Le soleil rouge qui se montrait derrière le versant où s'adossaient les bâtiments conventuels éclaira les préparatifs des routiers du Bègue. Ils en avaient terminé avec leur infernale besogne de la nuit : toutes les portes étaient enclouées et toutes les maisons disparaissaient à demi sous la paille et les fagots. Quelques routiers se tenaient devant ces tas de paille, une torche allumée à la main. Leur attitude ne laissait place à aucune équivoque.
Le reste se formait en troupe serrée autour d'une gigantesque poutre qu'ils avaient trouvée on ne savait où. Garin et son acolyte montèrent à cheval. Ils se dirigèrent lentement vers le portail fermé. Le Grand Argentier portait cette fois une armure sur ses vêtements noirs et l'on ne pouvait dire lequel, de lui ou du Bègue, était le plus sinistre. Il leva la tête vers le créneau, aperçut l'abbé et sourit.
— Alors, seigneur abbé ? Quelle est ta réponse ? demanda-t-il calmement. Vas-tu me rendre ma femme ou bien préfères-tu le combat ?
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