— Qu'avez-vous dit, ma chère Ermengarde ?
— La vérité, tout simplement. J'ai dit que votre gracieux époux vous avait battue comme plâtre et que vous étiez à moitié morte. Cela vaudra à ce sauvage de Garin une mercuriale dont il se souviendra longtemps et qui lui ôtera probablement l'envie de recommencer.
— Miséricorde ! gémit la jeune femme accablée. Mais toute la ville va se moquer de moi ! Je n'oserai plus regarder quiconque en face quand on saura que j'ai été fouettée comme une esclave.
— Le petit Lannoy est gentilhomme, ma chère. Il sait que ce qu'on lui confie pour les oreilles de son maître n'a rien à faire dans celles des autres. Il ne soufflera mot ! J'ajoute qu'il était sincèrement indigné. Ce gamin vous admire beaucoup, ma belle... Il serait même un peu amoureux de vous que cela ne m'étonnerait pas. Mais buvez donc ceci.
Sara, en effet, apportait un bol de verveine dans lequel elle avait mélangé un certain nombre d'herbes mystérieuses. Avec bien de la peine, et l'aide d'Ermengarde, Catherine parvint à s'asseoir dans son lit. Le breuvage avait une saveur un peu acide qui n'était pas désagréable. C'était surtout chaud et réconfortant.
— J'ai mis une herbe qui te fera dormir, fit Sara. Quand on dort, la douleur, elle aussi, s'assoupit...
Catherine n'eut pas le temps de répondre. La porte de la chambre venait de s'ouvrir sous la main d'un homme vêtu et masqué de noir dont l'apparition fit sursauter les trois femmes. Il s'encadrait dans le chambranle de la porte sans plus bouger qu'une statue mais, à travers les trous du masque, on pouvait voir briller des yeux gris.
— Qui êtes-vous ? s'écria Ermengarde tout de suite sur la défensive. Et que voulez-vous ?
Elle se plia aussitôt en une profonde révérence car l'arrivant venait d'ôter son masque. C'était le duc Philippe. Mais son geste avait dû être machinal car, apparemment hypnotisé par le spectacle étalé sous ses yeux, Philippe était l'image même de la stupeur.
— Est-ce bien vous, Catherine ? s'exclama-t-il avec une nuance d'incrédulité. Ce n'est pas possible !
Sous ses pansements, la jeune femme se mit à rire. Elle imaginait sans peine l'effet produit sur Philippe, si épris de beauté, par son amas de pansements.
Il était accouru, pensant trouver une jeune femme dolente, un peu meurtrie, mais certainement pas dans un tel état ! Peut-être le jeune Lannoy n'avait-il pas répété les termes exacts employés par la comtesse car, toujours au seuil, le duc balbutia :
— C'est à ce point ?
— C'est encore pire, Monseigneur ! fit Ermengarde remontée des profondeurs de sa révérence. Dame Catherine est bleue ou noire des pieds à la tête, plus un bon nombre d'écorchures. Elle souffre beaucoup... et parler lui est pénible.
Philippe serra les poings, jura qu'il allait faire jeter Garin dans une basse-fosse, le livrer au bourreau. Il lançait feu et flammes et, en même temps, sous le coup de l'émotion, de grosses larmes couvraient ses joues.
Ermengarde, habituée, n'y prit pas garde, mais Catherine regardait avec curiosité pleurer le duc. La comtesse finit par le calmer en lui faisait remarquer que, seule, Mme de Brazey pouvait porter plainte et que, si Garin était un époux brutal, c'était un excellent serviteur... Philippe voulut bien se laisser convaincre de ne pas déclencher un scandale en faisant arrêter Garin.
Il vint s'asseoir sur le bord du lit, prit l'une des mains enveloppées de bandages avec d'infinies précautions.
— Je suis désespéré, mon cœur, de vous voir en cet état ! Moi qui vous attendais le cœur tout plein de vous... Il faut vous soigner et vous bien soigner...
Il se tourna vers Ermengarde et ajouta :
— Ma mère vous réclame, je crois, Madame de Châteauvillain ?
— En effet, Monseigneur. Madame la duchesse est souffrante. Son état semble s'aggraver et elle souhaite mon retour.
Retardez de quelques jours ce retour et emmenez avec vous Madame de Brazey que je désire éloigner quelque temps de son époux. À Dijon, elle se remettra mieux et, sous votre garde, je serai tranquille pour elle. Puis-je vous la confier ? Elle m'est... infiniment précieuse !
— C'est un honneur, Monseigneur, fit la comtesse avec un nouveau salut.
Catherine ne pouvait faire moins que remercier Philippe de sa sollicitude.
L'idée de repartir avec Ermengarde lui souriait ; elle était heureuse de s'éloigner de Garin... et aussi heureuse de quitter Philippe. Au moins, elle allait avoir quelque répit pour penser à elle-même et à ses propres problèmes. Tandis que Philippe, de plus en plus ému par son lamentable état, prenait congé d'elle avec force soupirs et de nouvelles larmes, elle sentit tout à coup qu'elle pardonnait à Garin la formidable raclée qu'il lui avait administrée puisque, grâce à elle, l'échéance si redoutable s'écartait encore une fois... et pour un temps indéterminé. Ce ne serait pas encore cette nuit qu'elle deviendrait la maîtresse de Philippe ! Elle était libre de remporter, à moitié brisé mais vierge, ce corps qu'elle aurait tant voulu réserver à l'homme qu'elle aimait.
Pourtant, si elle pardonnait, elle ne comprenait pas. Pourquoi Garin l'avait-il à moitié tuée parce qu'il l'avait crue, toute cette nuit, auprès d'un autre homme ? Il ne l'aimait pas, il ne la désirait pas et même il la destinait à Philippe. Alors ?
Finalement, Catherine abandonna la question. Elle souffrait trop de sa tête et de tout son corps. Et puis la drogue calmante de Sara commençait à faire son effet. Philippe n'avait pas quitté la chambre depuis cinq minutes, reconduit par Ermengarde jusqu'à la porte de la rue, qu'elle succombait au sommeil. Sara était retournée s'asseoir au coin de l'âtre. Ses yeux noirs fixaient les flammes comme pour y lire d'invisibles choses. La rue était silencieuse. On entendait seulement le pas du cheval de Philippe qui s'éloignait...
CHAPITRE II
La mission de Jacques de Roussay
On quitta Arras quelques jours plus tard. Catherine était loin d'être remise, mais elle ne voulait pas retarder outre mesure son amie Ermengarde. De plus, elle avait hâte de rentrer chez elle et de s'éloigner, le plus vite possible, de cette cité dont elle ne conservait pas un souvenir excellent. Grâce aux soins vigilants de Sara et de la comtesse, aux nombreux baumes dont elles avaient enduit, deux fois par jour, ses blessures, la jeune femme avait vu s'alléger considérablement l'épaisseur des pansements. Le jour du départ, elle n'en conservait plus que trois ou quatre, un à l'épaule, deux aux cuisses et un emplâtre sur les reins. Du reste, Sara disait que le grand air activerait la guérison. Le matin du départ, elle s'était contentée d'habiller chaudement sa maîtresse car, bien que l'on atteignît les premiers jours de mai, le temps demeurait frais. Elle lui avait passé des gants doublés de peau fine, dont l'intérieur était oint d'une huile adoucissante, et pour cacher son visage où quelques ecchymoses demeuraient visibles, entre autres l'œil gauche résolument poché, elle lui avait entouré la tête d'un voile assez épais pour dérober le plus gros des dégâts.
Étant donné l'état de faiblesse de Catherine, le voyage devait se faire dans une grande litière traînée par des mules où la jeune femme pourrait voyager couchée. Ermengarde de Châteauvillain, malgré sa passion pour les chevauchées, devait la partager avec son amie pour lui tenir compagnie. Sara et les autres serviteurs suivraient à cheval. Une escorte armée était prévue, à cause des troubles des régions traversées et, lorsqu'au matin du départ, Catherine vit arriver cette escorte avec la litière qui lui était destinée, elle ne put s'empêcher de sourire. La litière était aux armes ducales et l'escorte aux ordres de Jacques de Roussay, épanoui de joie à la pensée d'une si agréable mission.
— Ce sera notre second voyage ensemble, fit-il en venant présenter ses devoirs à la jeune femme qu'à vrai dire il fut un peu étonné de trouver si bien empaquetée. Le premier fut si délicieux que celui-ci m'enchante à l'avance.
Il avait compté sans Ermengarde qui surgissait à cet instant de sa chambre en achevant de mettre ses gants.
— Modérez votre enthousiasme, jeune homme ! C'est moi qui suis chargée tout spécialement de Madame de Brazey et je me sens de taille à la distraire toute seule. Veillez à vos hommes, aux logis et à la route, vous aurez bien assez à faire...
Ainsi rabroué, le jeune homme fit le dos rond. Catherine lui tendit sa main gantée.
— Ne le rudoyez pas trop, Ermengarde ! Messire de Roussay est mon fidèle ami et sous sa garde nous serons en sûreté. Partons-nous maintenant ?
Tout ragaillardi, Jacques s'en alla faire boire à ses hommes le coup de l'étrier, tandis que l'on chargeait les bagages sur des mules et que les dames prenaient place dans la litière. Toutes deux, par crainte des voleurs, avaient conservé auprès d'elles leur coffret à bijoux. Celui de Catherine, qui renfermait le fameux diamant noir, représentait une fortune à lui tout seul.
La petite troupe s'ébranla vers le milieu de la matinée. Il faisait un temps un peu acide et le vent soufflait sur les plaines basses. Jacques, suivant les ordres reçus, fit un détour et prit par Cambrai au lieu de piquer droit au sud.
Il s'agissait d'éviter Péronne et le comté de Vermandois que tenaient les gens de Charles VII. Le jeune capitaine ne souhaitait pas voir tomber dans leurs mains un otage aussi précieux que Catherine...
Quoi qu'elle en eût dit, la compagnie d'Ermengarde n'était pas des plus distrayantes. À peine installée dans les coussins auprès de son amie, la comtesse, fidèle à ses habitudes, s'était profondément endormie et sa conversation, tout au long de l'étape, se borna à de vigoureux ronflements.
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