c'était surtout, s'il arrivait malheur à Landry, le moyen d'en finir une bonne fois avec la souffrance, la peur, la faim... L'idée d'avoir maintenant une porte de sortie, désespérée mais définitive, raffermit son courage. Ses muscles douloureux et crispés se détendirent, un peu de chaleur revint à ses doigts glacés. La main sur son corsage, comme pour mieux protéger la dague salvatrice, elle s'étendit en arrangeant le collier de fer de la manière la moins gênante et ferma les yeux. Un sommeil léger, nerveux s'empara d'elle, coupé de sursauts et de brefs cauchemars.

Un rai de lumière sous la porte et le grincement des verrous précautionneusement tirés l'arrachèrent brusquement à ce mauvais sommeil et la jetèrent contre le mur, hagarde, le cœur fou et la sueur à l'échiné. La nuit était toujours aussi noire et Catherine n'avait aucun moyen de savoir à quel point de son cours elle en était. La jeune femme ne devinait que trop ce qui allait suivre. Les précautions mêmes prises par Fagot pour entrer chez elle disaient assez qu'il espérait la trouver endormie... Le grincement continuait, léger, léger... Si Catherine n'avait dormi d'un sommeil aussi inquiet, elle eût pu ne rien entendre.

La porte s'entrebâilla peu à peu. La repoussante figure de Fagot se glissa dans la fente, à contrejour. Il avait dû accrocher quelque part au-dehors la torche dont les flammes dansantes dessinaient des ombres fantastiques sur la porte... Une fois entré, il repoussa le battant derrière lui. La nuit devint opaque mais Catherine, terrifiée, pouvait entendre le souffle court de la brute. Elle chercha fébrilement dans son sein la dague de Landry, la tira de sa gaine et la tint serrée dans sa main. L'odeur affreuse de Fagot emplit ses narines au moment où les grosses mains moites s'abattaient sur elle avec une effrayante décision.

L'une la saisit à la gorge, l'autre cherchait à se glisser autour de sa taille...

Prise de panique, le cœur soulevé de dégoût, Catherine cessa de raisonner.

Son bras s'éleva, s'abattit... Fagot poussa un hurlement de douleur et la lâcha.

— Va-t'en..., souffla Catherine entre ses dents, va-t'en ou je te tue si tu oses encore me toucher...

Sans doute la douleur avait-elle déclenché la crainte dans le cerveau épais du geôlier, car il se mit à gémir comme un animal, à petits halètements courts... Mais il s'éloignait. La porte se rouvrit, Catherine le vit s'enfuir en tenant sa main sur son épaule... Ses plaintes lui parvinrent encore quelque temps et elle constata que, dans son affolement, il n'avait pas refermé la porte complètement, car les verrous n'avaient pas fait de bruit... L'alerte passée, Catherine décida d'attendre le jour. Elle avait eu trop peur pour pouvoir encore dormir.

L'aube grisâtre vint après un temps qui lui parut interminable. Elle poussa un soupir de soulagement en voyant l'ogive de la fenêtre devenir de plus en plus claire. Enfin, le jour revenait et chassait les terreurs de la nuit !

Catherine reprit confiance. Si tout allait bien, la nuit qui se terminait serait la dernière vécue par elle dans cette prison... Elle se sentait affreusement lasse et malade. A nouveau la faim la torturait mais l'espoir qui soulève les montagnes la soutenait. Elle savait qu'il la soutiendrait ainsi jusqu'au soir mais que, si Landry manquait au rendez-vous, la déception serait si cruelle qu'elle entraînerait avec elle tout ce qui restait en Catherine du goût de vivre.

Cette nuit, elle serait libre, ou elle serait morte...

La journée se traîna, d'autant plus longue que Fagot, peureux ou assoiffé de vengeance, oublia une fois de plus de porter à manger à la prisonnière.

Catherine dut se contenter d'un peu d'eau et songea avec tristesse qu'elle n'aurait aucun mal à éteindre le feu dans la cheminée. Le froid semblait plus vif que la veille, mais la casaque de cuir de Landry la protégeait assez bien contre ses morsures. Quand le bref jour encore hivernal commença à décroître, Catherine se sentit devenir fébrile. Dans combien de temps Landry viendrait-il ? Attendrait-il que la nuit fût bien installée, qu'il n'y eût plus à craindre d'être vu de qui que ce soit dans la campagne ? Catherine ne pouvait répondre à cette question, mais elle penchait pour une arrivée tardive.

Landry, sans doute, voudrait mettre toutes les chances de son côté. De même que, le matin, elle avait regardé avec joie s'éclairer sa fenêtre, elle la regarda se dissoudre dans l'ombre sans pouvoir se défendre d'une vague appréhension. La nuit n'avait pas perdu pour la prisonnière son pouvoir maléfique de ramener l'angoisse...

Un bruit de pas dans l'escalier du donjon la fit sursauter. Quelqu'un montait... deux personnes au moins, car elle pouvait distinguer deux voix dont l'une était celle, à peine distincte, de Fagot. Catherine n'en pouvait plus d'avoir peur et, à la crainte de ce qui s'approchait d'elle à cet instant se joignait une atroce déception. C'était peut-être Garin qui revenait... qui avait trouvé un autre moyen de la torturer... Qui pouvait savoir quelle nouvelle invention aurait germé dans ce cerveau malade ? S'il avait décidé tout à coup de la changer de prison, de l'enfoncer dans quelque cachot souterrain sans air et sans lumière où nul, pas même Landry, ne pourrait plus l'atteindre ? Le cœur de Catherine lui faisait mal à force de cogner dans sa poitrine. Quand la porte s'ouvrit, elle faillit crier.

Deux hommes entrèrent dont l'un portait une torche et l'autre une corde.

Les yeux agrandis de terreur, Catherine reconnut Fagot dans l'homme à la torche. L'autre n'était pas Garin, mais le deuxième complice de son enlèvement, celui qu'elle avait vu dans la charrette auprès de Fagot. Il lui ressemblait, d'ailleurs, curieusement. Mais il était peut-être encore plus repoussant, car ce qui chez le geôlier n'était qu'hébétude, visible abrutissement, revêtait chez l'autre tous les aspects d'une méchanceté sans mesure. Certes, celui-là n'avait pas l'air d'un idiot, mais la lueur qui brillait dans ses petits yeux annonçait une astuce dangereuse.

Goguenard, balançant sa corde d'une main, il s'approcha de Catherine, se courba vers elle.

— Voilà la mignonne ! Alors, on fait la méchante ? On ne veut pas essayer de distraire un peu le pauvre Fagot, un si brave garçon ?...

Fagot, qui se tenait à distance respectueuse, la torche haute, désigna la jeune femme avec rancune.

— Couteau !... dit-il seulement.

Catherine vit qu'en effet un pansement entourait son épaule gauche. Mais elle n'en eut aucun remords, regrettant seulement de n'avoir pas frappé plus fort.

— Un couteau, hein ? fit le nouveau venu avec une ignoble douceur... eh bien, on va le lui prendre !

Avant que Catherine ait pu deviner son geste, il avait empoigné la chaîne reliée au collier de fer et la tirait vers lui brutalement. Catherine crut que sa tête sautait. Elle hurla de douleur mais cela ne parut pas impressionner le misérable qui n'en tira que plus fort pour jeter la jeune femme hors de sa couche de paille. Elle roula à terre et, dans sa chute, la dague qu'elle tenait à la main lui échappa.

Ramasse, Fagot ! fit l'autre. Voilà le couteau en question ! Tu n'as plus rien à craindre. Bon sang ! Quel dommage que j'aie dû te laisser seul avec cette coquine ! Messire Garin devait pourtant bien savoir que, sans ton petit frère, tu ne valais pas cher. Mais maintenant, il est là, le bon Pochard... et on va bien voir qui c'est qui va faire la loi ici. Et d'abord, s'agirait de savoir comment cette mignonne s'est procuré son joli petit couteau... et aussi cette belle casaque de cuir. Ce n'est pas venu tout seul ici, tout ça... et quelque chose me dit qu'elle va nous le raconter bien gentiment. Pas, ma belle ?

Et une nouvelle fois, il donna une secousse au collier de fer, étranglant à demi la malheureuse Catherine.

— Tu vois, ricana le misérable, comme elle est déjà douce et gentille ?

On va s'entendre très bien nous deux. Mais d'abord, Fagot, allume-nous du feu, ça pourra toujours servir... ne serait-ce qu'à lui mettre les pieds dedans si elle ne veut pas parler. Et puis, il fait vraiment un peu frais ici, pour moi tout au moins parce que Madame est un peu rouge. Elle doit avoir chaud.

En effet, le sang à la tête, Catherine étouffait à demi car Pochard la tenait soulevée par le collier de fer. Brutalement, il la laissa retomber à terre, mais ce fut pour s'emparer de ses deux mains qu'il ligota derrière son dos.

— Comme ça, commenta-t-il goguenard, on ne craindra pas ses griffes !

Maintenant, on va la faire respirer un peu. Viens çà, Fagot, et laisse ton feu un moment, ça peut attendre. Puisqu'elle te plaît tellement, cette donzelle, je vais te faire plaisir. Je vais te la tenir pendant que tu en useras à ton gré. Et si elle est aussi gironde que tu le dis, je passerai après toi si ça me chante.

Attends... je vais te la dépouiller.

Il commençait à déchirer la misérable robe de Catherine quand un râle d'agonie le fit sursauter et ranima Catherine effondrée. Comme Fagot allait sortir de la cheminée, Landry était tombé sur son dos et, sans autre forme de procès, lui avait planté une dague entre les deux épaules. L'idiot s'affala dans les cendres, face contre terre, crachant un flot de sang...

Landry enjamba le corps d'un bond souple après avoir arraché son arme de la blessure. Maintenant, penché en avant, bras écartés, ses yeux noirs brillants de haine dans son visage barbouillé de suie, il faisait face à Pochard.

— À nous deux, crapule !... siffla-t-il entre ses dents. Je te jure que tu ne sortiras pas vivant d'ici.

— Voire ! ricana Pochard en tirant un long couteau de sa ceinture. On va être deux, à ce jeu-là, mon joli ramoneur. Et j'ai d'autant plus envie d'avoir ta peau que j'aimais beaucoup mon petit frère...