La jeune femme sourit et laissa sa tête reposer sur l'épaule de son ami. Ce secours, cette amitié tombés littéralement du ciel, étaient tellement inattendus.
— Comment m'as-tu retrouvée ? Et où suis-je ?
Au château de Mâlain que Garin a dû se faire prêter par l'abbé de Saint-Seine. Comment je t'ai retrouvée, c'est une autre histoire. Un matin où je rentrais au logis après une nuit de ripaille au cabaret, j'ai vu une charrette sortir de l'hôtel de Brazey. J'ai entendu une femme crier dans cette charrette... un seul cri. Mais j'étais ivre encore et j'étais à pied... J'ai laissé courir. Une fois dégrisé, cette histoire m'a trotté dans la tête. Je suis allé chez toi, j'ai demandé à te parler. J'ai vu seulement une petite servante, une nommée Perrine, qui pleurait comme une fontaine. Elle m'a dit que tu étais partie, au petit matin, sans même la réveiller. Que tu devais suivre le duc à Paris... mais elle n'avait pas l'air d'y croire beaucoup à cause de tes robes qui étaient toutes là. Je n'ai pas pu l'interroger plus longuement, parce que le Garin revenait. Mais tout ça ne me paraissait pas clair. J'ai surveillé ton mari, un jour, deux jours et la suite. Finalement, ce matin, je l'ai vu partir à cheval et je l'ai suivi de loin. Nous sommes arrivés jusqu'ici et quelque chose m'a dit que j'avais trouvé ce que je cherchais. Dans le village, au bas de cette butte, on n'a pas très bonne opinion du château. On m'a dit, à l'auberge, qu'on y avait entendu des cris, des plaintes... une voix de femme.
Les bonnes gens croient aux fantômes. Ils n'ont pas cherché beaucoup plus loin. La nuit, ils s'enfermaient chez eux en faisant le signe de croix, voilà tout... J'ai cherché comment entrer ici. La bâtisse est en ruine, facile à escalader. J'ai vu, dans la cour intérieure, le cheval de Garin à l'attache, j'ai vu aussi sortir une espèce d'ours qui est allé dans une cabane chercher une écuelle de soupe. Personne ne s'occupait de moi. J'ai pu escalader le donjon en toute tranquillité... J'ai vu la cheminée et me voilà. Il faut dire que j'ai toujours une corde à la selle de mon cheval. Tu sais tout. Maintenant, viens, je t'emmène...
Il se levait d'un bond, tendait la main pour l'aider à se relever. Mais elle secoua tristement la tête.
— Je ne peux pas, Landry... je suis trop faible. L'écuelle de soupe était pour moi. Mon gardien ne m'avait rien donné à manger depuis quatre jours pour m'obliger à lui céder. Et puis... regarde : Garin a pris toutes ses précautions.
Elle montrait la chaîne que les plis de sa robe brune avaient dissimulée jusque-là à la vue de Landry. Le jeune homme resta court, changea de couleur. S'agenouillant, il toucha avec une sorte d'horreur craintive la chaîne et le collier.
— Le misérable ! T'avoir livrée à ce sanglier, pauvrette ! Il a osé t'enchaîner, t'affamer, t'exposer aux assauts d'un cochon !
— Tu vois bien que je ne peux pas te suivre.
— Voire !
Attentivement, le jeune homme examinait le collier, la chaîne. Celle-ci était épaisse. La limer représenterait un gros travail. Mais le collier portait une serrure.
— Où est la clef ? demanda Landry.
— Je ne sais pas. C'est peut-être Fagot qui l'a.
— Fagot ? Le gros bonhomme que j'ai vu ?
— Sans doute... mais je ne suis pas sûre qu'il la possède. Son intelligence ne va pas loin et je crains bien que cette maudite clef ne soit quelque part dans une poche de Garin.
Le visage de Landry se rembrunit. Il avait songé que la meilleure manière de délivrer Catherine était de tuer le geôlier, de lui prendre la clef et de sortir tranquillement par la porte. Mais, tout compte fait, il était peu probable qu'il l'eût. Quant à emmener Catherine, comme il l'avait tout d'abord projeté dans l'ignorance de son état, c'est-à-dire par la cheminée, il n'y fallait pas compter.
Affaiblie comme elle l'était, la jeune femme ne pourrait jamais fournir l'effort nécessaire pour qu'il pût l'aider à se hisser dans le conduit de fumée...
sans parler de la descente le long du mur du donjon, ni du franchissement de l'enceinte écroulée. Tout ce qui, pour ses muscles entraînés de chevaucheur professionnel, n'était qu'un jeu un peu difficile devenait pour la prisonnière autant d'obstacles infranchissables... Quelques minutes de réflexion persuadèrent Landry qu'il fallait remettre au lendemain son projet.
— Ecoute, fit-il... je vais être obligé de repartir par où je suis venu te laissant là. Je pourrais tuer ton geôlier, mais cela ne servirait à rien, car je n'ai aucun outil me permettant de te délivrer de cette chaîne. Tu dois rester encore ici jusqu'à demain soir. Je reviendrai avec des limes pour, au moins, couper le collier, et je pourrai te préparer une retraite dans la campagne...
— J'aurai tous les courages, promit Catherine, puisque je sais que tu es là, que tu veilles sur moi. Tu as raison, Garin pourrait revenir, il n'est peut- être pas loin et nous ignorons si d'autres hommes ne veillent pas en bas. Dans la charrette, ils étaient deux hommes.
L'un était Fagot, l'autre lui ressemblait... Je peux rester une journée de plus.
Le plus dur, c'est le froid...
Elle claquait des dents. Le feu était éteint et la nuit de février était loin d'être clémente. Le reflet pâle qui venait de la fenêtre disait assez qu'il devait y avoir de la neige au-dehors.
— Attends, fit Landry.
Vivement, il déboucla sa ceinture, ôta la veste de cuir épais qu'il portait sur son pourpoint, la jeta, toute chaude encore, sur les épaules tremblantes de Catherine qui s'y blottit avec délices.
— Avec ça, tu auras moins froid ! Il te suffira de la cacher dans la paille quand tu entendras entrer ton geôlier.
— Mais toi... tu vas geler ?
Le sourire de Landry rendit d'un seul coup à Catherine le bon compagnon d'autrefois, celui qui n'était jamais à court d'inventions et avec qui il faisait si bon courir les rues de Paris !
— Moi, je suis en parfait état, je ne suis pas une pauvre petite fille affamée, gelée...
— ... et enceinte, compléta Catherine.
Le mot pétrifia Landry. Catherine ne pouvait le voir dans cette obscurité qui les enveloppait tous deux, mais à son souffle plus court, elle sentit ce qui se passait en lui.
— De qui ? demanda-t-il la voix brève.
— De qui veux-tu que ce soit ? De Philippe, bien sûr !... Garin n'est qu'un mari postiche. Il ne m'a jamais touchée.
Le soupir que poussa Landry fit un bruit de soufflet de forge.
— J'aime mieux ça ! Et je commence à comprendre. C'est parce que tu attends cet enfant, n'est- ce pas, qu'il t'a conduite ici ? Son orgueil n'a pas pu en supporter davantage ? Alors, raison de plus pour t'arracher à lui. Demain, à la nuit tombée, je reviendrai avec ce qu'il faut pour te délivrer. La seule chose que je te demande, c'est d'éteindre ton feu, si ton gardien t'en allume un. J'ai cru étouffer dans la fumée en descendant.
— Entendu. A la tombée du jour j'éteindrai le feu.
— Parfait. Maintenant, prends ça... Au moins, tu auras quelque chose pour te défendre.
Catherine sentit qu'il lui glissait dans la main quelque chose de froid... une dague. Se souvenant que c'était la seule arme de Landry, elle voulut refuser.
— Mais toi ? Si tu rencontres Fagot ?
Le rire de Landry était décidément très réconfortant.
— J'ai mes poings... et je ne peux supporter l'idée de te savoir sans défense aux mains de cette brute. Va te coucher, maintenant. Je repars. Dors le plus que tu pourras pour être aussi forte que possible. D'ailleurs, je t'apporterai quelque chose à manger...
Catherine sentit les mains de Landry tâtonner sur ses épaules. Elles s'y appuyèrent un instant. Un baiser se posa sur son front.
— Courage ! souffla Landry... À demain !
Elle l'entendit marcher vers la cheminée, piétiner les brindilles craquantes et jurer sourdement tandis qu'il cherchait le bout de la corde qu'il avait laissée pendre dans le conduit de fumée. Ensuite, il y eut l'espèce de gémissement qu'il poussa dans son effort pour s'enlever à la force des poignets, la chute molle de la suie arrachée par son passage, puis plus rien... Une fois encore Catherine se retrouvait livrée à la nuit, au froid... à la solitude. Elle se pelotonna de son mieux dans l'épaisse casaque du jeune homme ramenant la paille tout autour d'elle, et voulut essayer de dormir. Mais le lourd sommeil qui l'avait envahie au moment de l'arrivée de son ami paraissait enfui bien loin. Catherine ne pouvait même pas clore les paupières. L'espoir, en revenant à elle, avait causé en même temps un invincible énervement. Les heures qui la séparaient du retour de Landry lui semblaient monstrueusement longues... une éternité de minutes, de secondes. Et, chose encore plus étrange, la peur revint du même coup.
L'imagination en mouvement de Catherine se mit à trotter comme une folle. La somme de périls courus par le jeune homme lui parut énorme et son cerveau surchauffé s'en exagéra la gravité. Il pouvait tomber dans sa périlleuse descente, rencontrer l'énorme Fagot, d'autres hommes peut-être...
Toute sa vie à elle, tout son espoir étaient suspendus à cette unique existence d'un homme jeune et courageux, mais qui pouvait trouver plus fort que lui.
Si Landry périssait, soit en sortant, soit en revenant le lendemain, nul ne saurait ce qu'il était advenu d'elle. Catherine serait livrée, sans défense, à l'abominable Fagot, aux caprices sadiques de Garin sans que personne d'autre pût venir à son secours...
Comme pour augmenter ses angoisses, un long hurlement éclata au-dehors dans les profondeurs de la nuit et la prisonnière retint un cri de terreur...
Il lui fallut un moment pour se rendre compte qu'il s'agissait seulement de l'appel d'un loup et non pas d'un râle d'agonie. Et les battements affolés de son cœur ne se calmèrent qu'après de longues minutes. En se serrant peureusement contre la muraille, elle sentit sous sa main le poignard que Landry lui avait laissé, s'en empara et le glissa dans son corsage. Le froid de la gaine de cuir lui fit du bien. Cette arme, c'était une présence rassurante...
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