— Oh ! s'écria Catherine débordante de reconnaissance, les yeux brillants comme des étoiles. Oh oui !

— Alors, je te rappelle que tu me dois un gage. J'ai deviné juste. Paie, maintenant !

Catherine paya avec enthousiasme et tant d'ardeur que Philippe fut bientôt comblé.

Matines devaient être chantées depuis longtemps au couvent Saint-Etienne, voisin du palais, quand Catherine, ses muets sur les talons, regagna sa demeure. La nuit était d'un noir d'encre et le froid cinglait son visage sous le capuchon baissé, mais la joie qu'elle emportait lui tenait chaud. Elle savait que, dans la matinée, Odette serait libérée, qu'elle pourrait la garder chez elle vingt-quatre heures puis la remettre à l'escorte chargée de la mener aux frontières de Bourgogne. L'exil n'aurait rien d'affreux car la jeune femme se promettait de bien munir son amie et le moine de manière à ce qu'ils ne manquassent de rien...

Elle était très fatiguée. Une journée de cérémonies écrasantes ajoutée à une nuit de plaisir, il y avait là de quoi abattre quelqu'un de plus solide. Mais, en se hâtant vers sa maison chaude, Catherine songeait avec plaisir à son lit douillet, bien clos, à la douceur de ses draps. Elle se sentait extraordinairement bien, malgré son état... détendue comme cela ne lui était pas arrivé depuis la Noël. Elle était sûre de dormir comme un ange.

Rentrée dans sa chambre, elle se hâta de se dévêtir et de se glisser dans le lit que Perrine, réveillée en sursaut, s'était précipitée pour lui bassiner pendant qu'elle se déshabillait. Tout était tranquille dans la maison. On n'entendait aucun bruit.

— Ne me laisse pas dormir trop longtemps demain matin, recommanda Catherine à la jeune fille. Il faut que j'aille à la prison vers le milieu de la matinée pour y chercher dame Odette. Et je suis si lasse que je pourrais dormir jusqu'au soir.

Perrine promit, se retira sur une révérence. Catherine, bien protégée derrière ses rideaux de soie, ne tarda pas à tomber dans un profond sommeil.

Elle fut tirée de sa bienheureuse inconscience par un fait étrange et brutal.

Des mains s'étaient saisies d'elle, l'empoignaient aux épaules et aux cuisses, la soulevaient dans les airs, l'emportaient. Ses yeux gros de sommeil devinèrent, dans une pénombre grisâtre, qui était peut-être le tout petit jour, des formes sombres et confuses qui s'agitaient. Sa chambre, qu'elle avait peine à reconnaître, semblait pleine de fantômes. Ces ombres ne faisaient pas le moindre bruit et ce silence ajoutait à l'impression de cauchemar.

Comme pour sortir d'un rêve, Catherine voulut crier. Mais, si sa voix s'arrêta sur ses lèvres, ce ne fut pas à cause de l'étrange impuissance née d'un songe pénible, mais bien parce qu'une main s'était abattue sur sa bouche. Elle comprit, alors, qu'elle ne rêvait pas, qu'on l'enlevait bel et bien. Mais qui ?

Toutes ces ombres portaient des masques... D'autres mains, sans douceur, la roulaient dans une couver ture qu'on rabattit sur sa tête. Une obscurité totale, étouffante, engloutit la jeune femme terrorisée.

Elle perçut un vague chuchotement puis on l'emporta. En pensée, elle suivait le chemin parcouru, la galerie, l'escalier... marche à marche. Les deux hommes qui la portaient, sans précautions, la secouaient comme un panier. Elle ne pouvait crier car on l'avait bâillonnée... Une brusque bouffée d'air glacial lui apprit qu'elle était dans la cour. Tout cela n'était que trop réel et pourtant la sensation de rêve absurde demeurait. Comment pouvait-on l'enlever dans cette maison pleine de monde ? Il y avait Perrine, Garin, Abou et ses muets... Il y avait Tiercelin... et cependant on l'emportait comme un sac sans qu'aucune voix se fît entendre...

On la jeta dans quelque chose qui devait être une litière car cela se mit à bouger. Catherine se débattait avec une énergie si farouche que, malgré les liens serrés autour de la couverture, elle parvint à dégager un bras.

— Faites vite, chuchota une voix étouffée...

Catherine prit pour elle le conseil, redoubla d'énergie, découvrit sa tête à demi. Elle était dans une charrette bâchée et pleine de paille. Le jour se levait... Elle put voir un coin de la rue, très peu. Un homme occupait tout son champ de vision... et cet homme était Landry Pigasse. Un ultime effort et elle put libérer sa bouche, hurla :

— À moi... Landry !

Le cri s'étrangla dans sa gorge, étrangement faible. Ses ravisseurs avaient dû s'apercevoir qu'elle s'était quelque peu libérée. Un coup violent s'abattit sur sa tête et Catherine s'effondra dans la paille, sans connaissance cette fois.

Elle ne sut pas que la charrette franchissait la porte d'Ouche et s'engageait sur la route de l'ouest.

CHAPITRE VI

La chambre du donjon

Une sensation de froid réveilla Catherine en même temps qu'une violente douleur à la tête. Étroitement ligotée, elle était incapable de bouger mais du moins son visage était-il découvert. Cela ne l'avançait pas beaucoup car le bâillon avait été replacé sur sa bouche et, profondément enfoncée dans la paille qui garnissait la charrette, elle ne voyait rien que le ciel et les deux hommes assis près d'elle. Mais sa tête était à peu près à la hauteur de leurs pieds.

Jamais, encore, elle ne les avait vus. Avec leurs houppelandes en peau de mouton, leurs chapeaux de feutre enfoncés sur les yeux, leurs mains rouges aux doigts carrés appuyées sur leurs gros genoux, ils avaient l'air de paysans... et semblaient totalement insensibles. Ils se laissaient aller au roulement de la charrette et, quand Catherine gémit pour attirer leur attention, ne tournèrent même pas les yeux vers elle. Si leur respiration n'avait fait fumer leur haleine, on aurait pu les prendre pour des statues de bois. Mais bientôt, Catherine se désintéressa d'eux car elle se sentait de plus en plus mal. Les cahots de la carriole se répercutaient douloureusement dans tout son corps. Ses mains et ses pieds étaient glacés et son estomac vide se tordait, aux prises avec d'atroces nausées. Le bâillon l'étouffait. Les cordes qui la liaient étaient serrées si fort qu'elles meurtrissaient sa chair malgré l'épaisseur de la couverture...

Tout près de là, une voix cria :

— Au galop !... Plus vite, Rustaud ! Fouette tes chevaux !

La voix n'était pas reconnaissable et, d'ailleurs, Catherine ne chercha pas à l'identifier. Elle plongea brutalement dans un univers de souffrances qui laissa bientôt en arrière ses précédents malaises. La mauvaise charrette se mit à bondir dans les ornières profondes de la route, secouant sans miséricorde le corps douloureux de la malheureuse Catherine à peine protégée des planches par un peu de paille. Des flèches de feu parcouraient son ventre, son dos, ses reins. Elle rebondissait comme un sac de sable à chaque cahot. De grosses larmes qu'elle ne pouvait plus retenir roulaient sur ses joues. Ses deux gardiens contemplaient maintenant son supplice avec une joie bestiale et répondaient par de gros rires à chacune de ses plaintes...

Torturée, écartelée, elle souhaita être morte... Que signifiait tout cela, cette épouvantable aventure ? À qui devait-elle ce traitement barbare ?

Mais l'excès même de sa souffrance finit par venir à son secours. Comme le chariot passait à toute allure sur une pierre et retombait avec une violence qui envoya la tête de Catherine sonner contre un montant de bois, la malheureuse poussa un cri et s'évanouit à nouveau...

En revenant à elle, Catherine se crut au fond d'une cave. Elle était encore couchée sur de la paille, mais dans un lieu obscur dont elle distinguait mal les détails. Une haute voûte de pierre se perdait dans l'ombre, loin au-dessus d'elle. En tournant la tête pour voir ce qui l'entourait, quelque chose de froid et de dur la gêna et fit un bruit métallique. Portant les mains à son cou, elle sentit un collier de fer et aussi que ce collier était attaché à une chaîne assez longue pour permettre une certaine liberté de mouvements, mais rivée dans le mur. Avec un cri d'horreur, Catherine se redressa, assise sur la paille, et se mit à tirer instinctivement des deux mains sur la chaîne, dans un effort dérisoire pour l'arracher de la muraille. Un éclat de rire salua cette misérable tentative.

— Elle est solide et bien attachée. Vous ne risquez ni de l'ôter, ni de lui échapper, fit une voix froide. Comment trouvez-vous votre nouveau palais ?

Catherine se leva d'un bond malgré les douleurs de son corps meurtri. La chaîne retomba le long de ses jambes. Avec stupeur, elle reconnut Garin debout devant elle.

— Vous ? C'est vous qui m'avez enlevée, amenée ici ? Mais où sommes-nous ?

— Vous n'avez nul besoin de le savoir. Qu'il vous suffise d'apprendre que, dans ce lieu, personne ne viendra vous délivrer, ni n'entendra vos cris s'il vous prend fantaisie de crier. Ce donjon est haut, solide et convenablement isolé...

Tandis qu'il parlait, le regard de Catherine faisait le tour de la vaste pièce ronde qui devait tenir toute la superficie du donjon. Une étroite fenêtre en ogive, encore réduite par deux barreaux en croix, l'éclairait seule. Il n'y avait aucun mobilier, excepté un escabeau posé auprès d'une grande cheminée dans laquelle l'un des hommes en veste de mouton était occupé à allumer un maigre feu. Rien que la litière de paille sur laquelle Catherine s'était retrouvée ! De sa prison, car c'en était bien une, Catherine passa à l'examen de sa propre personne. Elle était vêtue d'une chemise de toile, d'une robe de bure brune grossière, d'une paire de bas de laine et de sabots de bois !

— Qu'est-ce que tout cela veut dire ? demanda-t-elle avec une intense surprise. Pourquoi m'avez- vous conduite ici ?