– Arrière, imbéciles ! hurla Montadour, vous voulez tous vous faire descendre, un à un ?
Les soldats reculèrent comme des loups affamés. À bonne distance, Montadour fit ranger ses hommes à mousquets. Une salve crépita. Les carreaux se brisèrent, se dispersèrent sur le dallage en mille éclats multicolores. La Violette, qui ne s'était pas baissé à temps, tomba. L'abbé de Lesdiguière ramassa l'arme qui s'était échappée des mains du valet et reprit son poste auprès de la fenêtre, maintenant délabrée. À travers le treillis de plomb tordu, on pouvait voir les faces grimaçantes des dragons qui se rapprochaient. Cependant, les officiers devaient conférer entre eux pour chercher une autre tactique moins dangereuse que celle de défoncer la porte, tactique qui leur avait déjà coûté cinq hommes.
Angélique, se traînant sur les genoux, alla jusqu'à La Violette et le tira par les épaules dans un angle du vestibule. Il était blessé à la poitrine, et sur sa livrée aux couleurs des Plessis-Bellière bleu et jonquille, le sang commençait à mettre une large tache rouge.
La jeune femme se précipita aux cuisines pour y trouver de l'eau-de-vie et de la charpie. Le tableau de dame Aurélie, la femme du cuisinier, installée près de l'âtre devant un chaudron dont elle surveillait, avec attention, le contenu, la saisit :
– Que fais-tu là ? Tu fais la soupe ?
– Mais, madame la Marquise, je fais bouillir de l'huile pour leur y jeter sur la tête, comme au bon vieux temps.
Hélas ! le château du Plessis n'était guère bâti pour soutenir un assaut comme ses ancêtres du Moyen Age.
Dame Aurélie, brusquement tendit l'oreille :
– Ils sont derrière les volets ! Je les entends gratter, les maudits.
En effet, les soldats avaient contourné la maison et s'attaquaient aux lourds panneaux de bois des cuisines. Peu après, les premiers coups de hache retentirent. L'un des domestiques grimpa sur l'évier pour voir si, par l'imposte, on pouvait les atteindre. Mais c'était difficile.
– Montez au premier étage, recommanda Angélique aux trois garçons qui avaient des pistolets, et tirez des fenêtres qui sont au-dessus.
– Moi je n'ai que mon arbalète, fit le vieil Antoine, mais croyez-moi, madame la Marquise, c'est solide à l'ouvrage. Je m'en vais les transformer en pelotes à épingles, moi, ces narquois.
Angélique revint avec un linge, vers La Violette. À travers le vestibule s'étiraient des nappes de fumée dense qui piquait les yeux. En s'agenouillant, elle vit tout de suite que ses efforts seraient vains. Le valet se mourait.
– Mâ-âme la Marquise, balbutia La Violette, d'une voix pleine de sang, je voulais vous dire... Le plus –eau souvenir de ma vie, c'est de vous avoir tenue dans mes bras.
– Qu'est-ce que tu dis, pauvre garçon ?... « Il délire », pensa-t-elle.
– Si, si, quand M. le Maréchal m'avait envoyé pour vous enlever4. L'a bien fallu que je vous tienne dans mes bras, l'a même fallu que je vous serre un peu le cou pour en venir à bout... Après je vous portais, et je vous regardais... et c'est pourquoi c'est le plus beau souvenir de ma vie parce qu'une femme... aussi belle... que vous...
Sa voix baissait. Il acheva, dans un souffle, qui donnait à ses mots la valeur d'un secret :
– ...Y en a pas.
Il respirait encore imperceptiblement. Elle prit sa main :
– Je te pardonne ce que tu as fait cette nuit-là. Veux-tu que j'appelle l'abbé de Lesdiguière pour qu'il te donne une bénédiction ?
L'homme sursauta, eut une dernière défense :
– Non, non, je veux mourir dans ma religion, moi.
– C'est vrai, il est protestant, j'oubliais.
Elle caressa le front rugueux.
– Pauvre homme ! Pauvre humanité tourmentée. Eh bien, va, va maintenant... Que Dieu t'accueille.
La Violette était mort. Il y avait une petite servante blessée qui gémissait dans un coin. Le visage de Malbrant-coup-d'épée était noir de poudre. Les petits valets portaient des munitions entre les deux étages.
« Il faut faire quelque chose. Arrêter cela », pensa Angélique.
Elle monta au premier. Résolument, elle ouvrit l'une des fenêtres :
– Capitaine Montadour !
Sa voix claire vibra dans la nuit saturée de fumées âcres.
Le capitaine des dragons fit reculer son cheval afin de mieux l'apercevoir. Il la reconnut avec un mélange de peur et de triomphe. Elle était là ! Prise au piège ! Il tenait sa vengeance.
– Capitaine, de quel droit osez-vous assaillir une demeure catholique. J'en appellerai au Roi.
– Votre demeure catholique est un nid de huguenots ! Rendez-nous la louve hérétique et sa portée et nous vous laisserons en paix vous et vos fils.
– Qu'avez-vous besoin de vous occuper de femmes et d'enfants ? Vous avez mieux à faire à poursuivre les bandes de la Morinière.
– Votre complice ! hurla Montadour. Croyez-vous que je n'ai pas vu clair ? Vous nous avez trahis, vous êtes vouée au diable, sorcière ! Et, pendant que je combattais pour notre religion, vous couriez les bois pour nous vendre à ces bandits. J'ai fait parler un de vos galants.
– J'en appellerai au Roi, cria Angélique aussi fort que lui et M. de Marillac aussi sera averti de votre comportement. Dans ces intrigues entre grands personnages, les serviteurs trop zélés sont toujours les premiers punis... rappelez-vous !
Montadour hésita une seconde. Il y avait du vrai dans ce qu'elle disait. Déjà, à se débattre parmi les embuscades, coupé de tous ordres, avec des hommes découragés ou hargneux, il pouvait se douter qu'il ne recevrait pas de compliments sur la façon dont avait tourné l'opération conversion du Poitou. Mais ses soldats avaient besoin de meurtres et de villages pour reprendre confiance. Et jamais il ne retrouverait une autre occasion de l'avoir, elle, cette femme dont la vue l'avait tourmenté depuis des mois et qui l'avait mené comme un vulgaire toutou, j i Montadour ! On verrait après ! Mais d'abord, –a faire hurler, l'humilier.
– Enfumez-moi cette tanière, gronda-t-il avec un grand geste.
Et, dressé sur ses étriers, il eut, vers Angélique, un éclat de rire véhément et grossier où elle put discerner sa haine et son désir.
Elle se recula. Elle n'obtiendrait rien en parlementant. Une odeur de fumée, différente de celle de la poudre, commençait à sourdre. La voie aiguë de Dame Aurélie hurlait en bas : « Ils ont mis le feu aux panneaux... » La tête mal éveillée de Barbe apparut dans l'entrebâillement d'une porte :
– Qu'est-ce que c'est que tout ce vacarme, madame ? On va me réveiller mon petit !
– Les dragons veulent nous faire un mauvais, parti. Vite, prends Charles-Henri, roule-le dans une couverture et descends jusqu'au cellier. Je vais voir si le chemin est libre...
Le souterrain ! C'était la dernière chance. On allait faire passer les enfants, les femmes, et il fallait prier Dieu que tous les dragons eussent quitté le petit bois où l'on déboucherait !
Elle vola jusqu'aux caves, mais déjà, comme elle se glissait entre les barriques, l'horrible certitude s'imposait à elle, parce qu'elle entendait des coups sourds et des bruits de voix du côté de la porte du souterrain. Ils avaient trouvé l'issue, sans doute indiquée par l'homme qu'on avait torturé et qui avait parlé.
Angélique demeura hébétée, sa veilleuse à la main, à regarder le panneau de bois à demi pourri qui, déjà, cédait sous les coups, comme sous la poussée d'une troupe monstrueuse.
Elle remonta, mit les verrous.
– Reste là, dit-elle à Lin Poiroux qu'elle aperçut avec son tournebroche, et larde-moi toutes les bêtes puantes qui sortiront par ce trou.
– Le feu ! Le feu ! criait Dame Aurélie en reculant.
Des fagots avaient été amoncelés contre le mur, les lourds volets de bois craquaient et la fumée s'infiltrait par toutes les issues. Les garçons descendirent du premier étage. Ils ne pouvaient plus voir les assaillants et, d'ailleurs, ils n'avaient plus de munitions.
Ils regardaient Angélique, et dans leur regard naissait, peu à peu, l'effroi.
– Not'dame ! Not'dame ! Que faut-il faire ?...
– Il faut aller chercher du secours, dit une voix.
– Quel secours ?... cria-t-elle.
Un chant s'éleva, poignant de tristesse :
Accueille-nous dans ton paradis, Seigneur
Nous t'avons servi tout ce long jour...
C'était les huguenots parmi ses serviteurs qui chantaient et, même, les enfants Rambourg, pressés contre leur mère, tandis que, curieusement, la peur qui convulsait leurs pauvres petits visages, s'effaçait pour faire place à une sereine espérance.
Les cheveux d'Angélique se hérissèrent.
– Non, non, non... répéta-t-elle.
Une fois de plus, elle remonta comme une folle, jusqu'en haut, jusqu'à la tourelle. Elle déboucha sur l'esplanade étroite, tournant ses regards de côté et d'autre et, ne voyant que la nuit épaisse, imprégnée de la même affreuse odeur de bûcher.
– Quel secours ? Quel secours ? cria-t-elle encore.
Elle ne savait même pas où se trouvaient les troupes de Samuel de la Morinière.
Il y eut, à l'intérieur du château, comme une sorte d'explosion. Elle crut qu'un mur s'écroulait mais ce n'était que le hurlement dément formé par toutes les bouches des malheureux assiégés lorsque les premiers dragons apparurent.
Angélique redescendit, se pencha sur la rampe. Le rez-de-chaussée était le théâtre d'un désordre affreux. Cris, cris... cris des valets qui se battaient désespérément, cris des femmes pourchassées, cris des enfants arrachés les uns aux autres par des mains brutales... Bramements des soldats que Dame Aurélie aspergeait à bout portant de son huile bouillante. Supplications de la baronne de Rambourg, à genoux, au milieu du salon, les mains jointes tendues.
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