– Versailles ! Ne m'en parlez pas ! C'est une trop grosse machine à remuer. C'est surfait. Il faut être en petit comité pour s'amuser...
Des deux navires attendus, le Sans-Peur arriva le premier. Il eut la bonne idée d'aller s'embosser dans les criques rougeâtres de l'île Royale, et Vaneireick, seul avec son second, vint visiter le comte de Peyrac à Tidmagouche, et apporter les marchandises qu'il avait été chargé d'acquérir.
On n'eut pas à subir les trognes patibulaires de son équipage et si Aristide Beaumarchand rencontra son frère de la côte de pénible mémoire, Hyacinthe Boulanger, afin de trafiquer des résidus de mélasse pour la fabrication de son « coco-merlo », cela ne dérangea personne.
Le choix de Vaneireick quant aux présents à offrir aux dames et aux personnages influents de Québec était des meilleurs. Les couvents se réjouiraient de recevoir en don des tableaux religieux de belle facture. Il y avait des ornements d'église et des objets du culte d'or et de vermeil, et dans le domaine profane des bibelots, des bijoux, un petit ange en or et émail d'un artiste italien réputé du XVème siècle, une coupe en or massif, également d'origine italienne, représentant un coquillage et dont le pied était formé d'une tortue d'or ciselé, incrustée d'écaille et qui portait sur sa carapace un lézard de jade vert.
Joffrey de Peyrac mit de côté cette petite merveille en disant : « Pour Mme de Castel-Morgeat. »
Le plus précieux était représenté par deux « Agnus Dei », sortes de petits reliquaires d'or contenant une pastille de cire. Les conditions dans lesquelles étaient fabriquées ces pastilles au cours de la messe pascale du Pape à Rome en faisaient des amulettes très recherchées parce que fort rares et passant pour apporter la protection toute spéciale des saints et de la Vierge Marie. Vaneireick les avait obtenues d'un évêque espagnol, on ne savait pas si c'était en échange d'un service rendu ou sous la menace, mais elles étaient absolument authentiques et sans aucune falsification possible.
Peyrac en réserva un pour Mgr Laval et l'autre – on s'étonna un peu – pour cette femme qui tenait un estancot dans la Basse-Ville, et qui avait de ce fait un certain pouvoir souterrain sur la population mâle de la cité : Janine Gonfarel.
Il y avait également profusion d'étoffes de toutes sortes : velours et soieries, robes et colifichets, qu'Angélique répertoria et rangea avec l'aide des Filles du roi.
Celles-ci seraient naturellement du voyage. Et l'on espérait qu'en suivant leur destin prévu, celui d'épouser quelque bon célibataire canadien, elles oublieraient la terrible aventure à laquelle elles avaient été mêlées. Delphine les avait prises en charge avec autorité et compétence. Elle s'entretenait souvent avec Angélique. Les événements qu'elle avait vécus l'avaient profondément marquée. Elle demanda à Angélique si celle-ci voudrait la prendre comme demoiselle de compagnie lorsqu'elle serait à Québec.
Angélique avait déjà accepté Yolande comme chambrière. Elle pensait que ces projets étaient prématurés et que Delphine se remettrait et serait contente d'être présentée à Québec à de jeunes officiers, selon les conventions de son engagement. Elle lui dit de continuer de s'occuper de ses compagnes jusqu'à leur arrivée dans la capitale de la Nouvelle-France.
– Aussi bien, nous ignorons l'accueil qui nous y sera fait. Vous serez peut-être obligée de vous dissocier de nous.
Il fallait aussi régler le sort du pauvre Job Simon, l'ex-capitaine de La Licorne naufragée, qui errait comme un corps sans âme, avec le mousse rescapé à sa suite.
Le comte de Peyrac lui proposa le commandement d'un morutier qui appartenait à la flotte de Gouldsboro et qui croiserait désormais dans les parages de Tidmagouche, assurant plus ou moins la colonisation du lieu par un trafic de poissons séchés, d'accueil et de ravitaillement d'eau douce et de vivres frais pour les navires arrivant d'Europe et qui feraient là leur première escale après la traversée de l'Océan.
Un portage établi par l'isthme de Chignecto maintiendrait les liens avec la Baie Française et Gouldsboro.
Angélique avait été intriguée de voir reparaître sain et sauf le vieux capitaine à la tache de vin. Dans le guêpier où ils se trouvaient tous au moment où il avait décidé de fuir avec son mousse, elle n'avait pas envisagé un seul instant que le pauvre homme pût échapper aux assassins qui hantaient les bois. Il lui confia sa ruse.
– Je ne suis pas parti par la forêt. Je savais qu'« ils » m'y rattraperaient vite. Je suis allé me fourrer dans un trou de rocher, une grotte que j'avais repérée. On est resté là, cachés avec le gamin, les quelques jours qu'il a fallu encore à M. de Peyrac pour arriver.
– Mais comment vous nourrissiez-vous ?
– Un des Bretons, un gars que j'avais repéré et qui est de l'île de Sein, comme moi, nous apportait chaque jour à manger. On était peinards...
Lui aussi se remettrait de son aventure invraisemblable, le pauvre capitaine, et la vue de la Licorne dorée, à la pointe d'ivoire, affrontant l'écume de la mer, le consolerait peu à peu.
Avant de regagner sa concession sur la Baie Française, la grande Marcelline vint trouver Angélique.
– M. de Villedavray voudrait que je lui confie Chérubin pour qu'il le fasse élever à Québec, expliqua-t-elle. Jusqu'ici j'ai refusé. Il est encore bien petit et un enfant, ça n'est tout de même pas un jouet à montrer dans les salons. Mais maintenant que vous allez aussi là-bas et que Yolande vous accompagne, c'est différent. Si le petit est avec sa sœur et sous votre protection, je serai plus tranquille et, pour cette année au moins, je peux faire ce plaisir à M. le gouverneur. Mais à condition que ce soit vous qui décidiez de tout pour le petit...
Puis la voile du Rochelais pointa à l'horizon et ce fut un moment de grande liesse.
Tout le monde était sur la plage lorsque la chaloupe amena les passagers parmi lesquels on distinguait la coiffe blanche d'Elvire Malaprade et la petite silhouette d'Honorine engoncée dans son capuchon.
Angélique entra dans l'eau pour s'en saisir la première et la serrer sur son cœur. Elle ne se lassait pas de l'embrasser, de la contempler, de la trouver changée et grandie et plus belle que jamais.
La vie reprenait des dimensions paisibles, familières, aux couleurs du bonheur.
Octave Malaprade et son épouse, la gentille protestante rochelaise Elvire, avaient tenu à accompagner eux-mêmes Honorine jusqu'au terme de son voyage. Ils apportaient toutes sortes de nouvelles détaillées sur la vie de Wapassou, et retourneraient ensuite hiverner à Gouldsboro où ils avaient laissé leurs deux garçons Thomas et Barthélémy. Octobre s'avançait et il devenait hasardeux d'entreprendre sans nécessité un retour vers le Haut-Kennebec.
On avait tant parlé à Tidmagouche d'Honorine de Peyrac que même ceux et celles qui ne la connaissaient pas, en particulier les Filles du roi, étaient enchantés de son arrivée. Elle passa de bras en bras, et l'on admirait sa bonne mine et sa chevelure de cuivre sur ses épaules. Cantor accourut, Wolverines sur les talons.
– Ah ! Voilà la petite rouquine ! s'écria-t-il, comment vous portez-vous, damoiselle ?...
Il l'attrapa par les deux mains et se mit à danser le gigue avec elle en scandant.
– Nous irons à Québec ! Nous irons à Québec !...
Lorsque le brouhaha de l'arrivée se fut un peu calmé et qu'Honorine eut repris son souffle, elle alla se planter devant Angélique et lui annonça avec solennité :
– Le petit chat est là aussi ! Je l'ai apporté pour toi. Il voulait te revoir.
*****
Ainsi tout finissait bien.
Le petit chat était là, ce petit chat de navire pitoyable et hardi, qui avait surgi devant Angélique alors qu'en un soir qui paraissait maintenant lointain elle veillait pour la première fois la duchesse de Maudribourg. Le petit chat, esprit mutin, innocent, s'incarnant pour se mêler à la vie des humains et y jouer on ne savait quel rôle d'avertissement et de protection.
Il était là sur la table, dans le salon du château arrière du Gouldsboro, et Honorine et Chérubin de chaque côté de la table le regardaient tandis qu'il se livrait consciencieusement à sa toilette. Il avait grandi lui aussi, le petit chat. Il avait une belle queue fournie, un long cou, une tête fine. Il avait gardé sa grâce et ses sentiments exclusifs pour Angélique.
La houle berçait le Gouldsboro, beau navire, remontant toutes voiles tendues vers le nord, à travers les îles du golfe Saint-Sauveur.
Au passage, on avait fait halte à Shédiac où Villedavray voulait reprendre ses bagages et particulièrement son poêle hollandais. Caisses et ballots attendaient intacts et épargnés par miracle, mais, naturellement, Alexandre n'était plus là depuis belle lurette.
– Pleurez pas, dit au gouverneur de l'Acadie le grand Defour qui les quittait là, on vous le renverra votre blondin... un jour... Quand il sera fatigué de sauter les rapides. Que voulez-vous : il faut que jeunesse se passe !
La flotte que le comte de Peyrac amenait sous Québec se composait de cinq bâtiments. Le Gouldsboro, les deux navires razziés aux pirates d'Ambroisine et dont le comte d'Urville et Barssempuy assuraient chacun le commandement, puis deux petits yachts hollandais, dont Le Rochelais que Cantor avait repris en main, tandis que Vanneau dirigeait le second.
À bord du Gouldsboro se trouvaient à titre d'hôtes Carlon, son géographe et Villedavray.
– À titre d'hôtes ou... d'otages, interrogeait parfois l'intendant Carlon, mi-figue mi-raisin.
Le marquis haussait les épaules et jouissait de la vie. Tout s'arrangerait ! Il lorgnait de loin « son » navire, et méditait sur les enjolivements et le nom à lui donner.
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