– Nous voilà saufs ! fit-il. Bon, je l'emmène. Monsieur de Peyrac, nous nous retrouverons chez Skoudoun. Vous voyez que vous pouvez compter sur mon ours !... Il est supérieurement intelligent. Vous autres, serpents rouges, prenez mon bagage, et mes ballots de marchandises, intima-t-il aux Mic-Macs qui s'empressèrent de lui obéir, dérogeant à leurs principes, car ils étaient enchantés de s'embarquer en si distrayante compagnie. Venez avec moi, Mister Willoagby ! C'en est assez. Laissons donc tous ces papistes à leurs stupidités.
Pauvre Mr Willoagby ! Peut-être n'était-il pas entièrement dupe de la comédie, mais l'honneur était sauf.
Il suivit son maître docilement.
Lorsqu'il eut été hissé sur la barque et que celle-ci, chargée, en surplus du colporteur et du négrillon, des Indiens et des Acadiens et de quelques autres spécimens encore, se fut éloignée du rivage sous les saluts et les adieux cordiaux, le père de Vernon eut la permission de se relever.
Il était couvert de sable, d'égratignures et d'ecchymoses, et sa soutane était déchirée.
Angélique chercha des yeux quelqu'un pour lui porter à boire. Mais ce fut le jeune Martial Berne qui se présenta aussitôt avec un seau d'eau.
Le jésuite se bassina longuement le visage.
Cependant, tous les Anglais, loin de s'indigner, riaient à gorge déployée de l'histoire du pasteur.
– Décidément, quelle gaieté ! fit remarquer Ambroisine de Maudribourg, les yeux brillants.
– Oui, nous ne sommes pas à Québec tant s'en faut, renchérit le marquis de Villedavray. Jamais de ma vie je n'ai vu un jésuite faire ainsi le baladin ! Quand je raconterai cela à Mgr Laval...
– Je vous saurai gré, monsieur, de ne pas parler de cet... incident à Québec, le pria avec hauteur le religieux.
– Oui ?... Vous croyez donc que je m'en priverai ! s'esclaffa le petit marquis en le considérant avec jubilation et insolence. Une si bonne histoire ! Ce serait dommage... Soit ! Je me tairai. Mais, désormais, vous m'accorderez des indulgences pour mes péchés... Donnant, donnant. Pour une fois que je tiens un Jésuite à ma merci.
Chapitre 23
Angélique avait entendu son mari demander à Cantor lorsqu'il débarquait :
– Ramènes-tu Clovis ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Il a disparu.
Et elle avait hâte de le rejoindre, à l'écart de toute cette foire qui semblait se tenir par le hasard des arrivées et des départs, en permanence, sur la grève de Gouldsboro.
Enfin il était là, et elle refermait la porte de la chambre du fort avec une impression de soulagement.
Quelques heures encore volées au temps, à cette agitation qui voulait disperser leurs efforts, et leur besoin de confidences.
Angélique bénit la nuit clémente, toute chargée d'étoiles, toute bruissante du mouvement de la mer, qui les isolerait pour quelques heures brèves. Il vint à elle en riant.
– Vous étiez si charmante avec cet ours ce tantôt, mon amour. Il n'y a pas deux femmes comme vous au monde. Je mourais d'envie de vous prendre dans mes bras.
Elle s'avisait de sa gaieté. Toute cette cacophonie, ce brassage incessant de décisions à prendre, de détails à régler, ne semblait pas l'abattre.
– Il n'y a que vous, que vous au monde !
Et elle était saisie par la paix extraordinaire qui, tout à coup, descendait sur elle. « Il n'y a que lui, songea-t-elle aussi, en ressentant la force de sa présence. Tout ce qu'il touche. Tout devient alors marqué d'un sceau extraordinaire... Et cet homme-là m'aime... Je suis sa femme... »
Le bruit du petit chat jouant avec la balle de plomb, retrouvée sous un meuble, troublait seul le silence. On eût dit un farfadet, un petit génie tutélaire, veillant sur le bonheur des humains.
– Vous êtes anxieuse, reprit Peyrac, je l'ai vu quand vous êtes entrée. Pourquoi ?
– J'oublie pourquoi quand je suis là, dit Angélique en se blottissant contre son épaule. Je voudrais y rester toute ma vie et surtout... que vous ne partiez pas... Oh ! que vous ne partiez pas ! Je ne sais pourquoi, je ressens une si grande angoisse à cette pensée. Ne partez pas.
– Il le faut.
– Pourquoi ?
– M. de Villedavray BOUDE !... dit Joffrey en mimant l'effroi.
– Oh ! Qu'importe qu'il boude ! C'est l'occasion qu'il nous laisse en paix avec sa manie de verser un filet de vinaigre au hasard des conversations. Avez-vous remarqué : le marquis ne desserre plus les dents, mais, du coup, Alexandre parle. Je l'ai vu en conversation avec Cantor. Le marquis et son protégé doivent s'entendre pour bouder tour à tour...
Ils rirent, mais Angélique restait angoissée.
– Est-ce Cantor que vous attendiez pour*prendre la décision du départ ?
– En partie... oui.
– L'emmenez-vous ?
– Non, je vous laisse à sa garde... et à celle de celui-ci, ajouta-t-il en désignant le petit chat.
Elle alla ramasser la bestiole légère, aux yeux immenses.
– Et de quels dangers doivent-ils me garder ces deux-là ?
La pensée, soudain, l'effleurait, de Colin. En l'abandonnant seule à Gouldsboro, dont Colin était désormais le gouverneur, Joffrey de Peyrac relevait-il encore une gageure ?
Mais non. Tout à coup c'était comme si chacun d'eux. Elle, Lui, Colin, avait pris sa place exacte. Il n'y avait plus de question à se poser à ce sujet, ni pour elle, ni pour lui, ni même pour Colin. Levant les yeux sur le visage de son mari, Angélique ne pouvait lire aucune arrière-pensée. Et elle-même songeait : quel homme peut exister pour moi en dehors de lui ?
Et c'était une chose si certaine, si simple à concevoir, comme une vérité inchangeable, qu'elle sentait que pour lui aussi la frontière avait été franchie des inquiétudes et des doutes corrosifs et malsains.
Et Colin, le juste, le fort, Colin, le franc, le droit, le savait aussi.
S'il demeurait à Gouldsboro, ayant accepté des charges qui convenaient à ses talents, c'est qu'il avait trouvé sa place personnelle, un équilibre, où la sérénité du sacrifice consenti fortifiait son goût de vivre et d'agir.
Au contraire, sa présence ici étayant celle de Peyrac faisait lever dans le cœur d'Angélique une chaude sensation de réconfort. Elle dit à mi-voix :
– C'est une bonne chose, n'est-ce pas, que Colin soit ici ?
– Oui. S'il ne tenait pas la place en main, je ne m'éloignerais pas.
Ces mots emplirent le cœur d'Angélique d'une joie qui rayonna malgré elle sur son visage.
En la regardant il ébaucha un sourire.
– Tout est encore trop instable dans notre situation, continua-t-il, et trop d'ennemis nous guettent, précisément à cette heure même. Or, Paturel est attentif. Il a un flair sûr, une poigne de fer et personne ne peut le circonvenir facilement. Je l'ai mis au fait de tout ce qui pourrait nous nuire. Il a... le sens de ce que nous sommes ici, de ce que nous pouvons obtenir de ces terres, de ces hommes. Il ne lâchera rien, ne laissera rien aller à vau-l'eau, s'accrochera. Enfin... il tient tout ce monde solidement. Il a vraiment reçu du ciel un don, un pouvoir sur l'humain.
– Comme vous-même.
– Moi, c'est autre chose, dit Peyrac, songeur. Moi, je les fascine, lui les convainc. Je peux les distraire et les attirer en les distrayant ou les récompensant, mais je reste lointain. Lui est proche, il est de la même glaise. C'est prodigieux ! Oui, merci à Dieu, Colin est là, et je peux vaquer à d'autres affaires.
Elle devina qu'il ne pensait pas seulement à l'expédition destinée à délivrer les fonctionnaires québécois. Son but en quittant Gouldsboro était surtout de pister et de débusquer les mystérieux ennemis, qui, à plusieurs reprises, les avaient déjà fait trébucher dans leurs pièges.
– Qu'est-il arrivé à Clovis ?
– J'avais chargé Cantor de le ramener de la mine entre Kennebec et Penobscot où je l'avais laissé. Je voulais l'interroger à propos de ce malentendu qu'il y a eu à Houssnock, lorsque vous vous êtes mise en route pour le village anglais, croyant le faire sur mon ordre. Cantor vous avait porté l'annonce, mais lui-même la tenait, m'a-t-il dit, de Maupertuis. Impossible d'enquêter près de celui-ci puisque les Canadiens l'ont enlevé. Cependant Cantor croyait se souvenir que Maupertuis avait fait allusion à Clovis comme lui ayant transmis mes consignes. Par Clovis, je suis certain que j'aurais pu avoir des renseignements plus précis sur ceux qui se plaisent à embrouiller notre écheveau. Or, voici que Clovis a disparu.
– Serait-ce encore de leur fait ?
– Je pressens que oui !...
– Qui peuvent-« ils » être ?
– L'avenir nous éclairera. Un avenir proche, je le souhaite, je les traquerai sans répit. On a aperçu la flamme de leurs navires dans les îles de la Baie. Peut-être ont-ils un lien avec la compagnie qui a vendu les terres de Gouldsboro à Colin.
Elle essayait de se souvenir de quelque chose que Lopez, un homme de Colin, lui avait dit. C'était comme une piste dont elle ne parvenait pas à saisir le fil.
– Et le père de Vernon ? Quel peut être son rôle dans tout cela ?
– Votre Jésuite, marin et lutteur de foire ?... Il me semble qu'il nous est favorable dans la mesure où vous l'avez entortillé dans vos filets.
– Que dites-vous ? Lui, c'est un marbre, un monument de froideur. Si vous saviez avec quelle impassibilité il me regardait me noyer à la pointe Monégan.
– N'empêche qu'il a plongé.
– C'est vrai.
Angélique caressa rêveusement le petit chat.
– J'avoue que j'ai de l'amitié pour lui. J'ai toujours eu du goût pour les ecclésiastiques, avoua-t-elle en riant. Que Dieu me pardonne ! Je crois trouver facilement avec eux un terrain d'entente, je ne sais lequel exactement.
"Angélique et la démone Part 1" отзывы
Отзывы читателей о книге "Angélique et la démone Part 1". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Angélique et la démone Part 1" друзьям в соцсетях.