La duchesse apparaissait d'une beauté surprenante avec son jeune et blanc visage, extatique et comme illuminé d'une passion sacrée. Angélique eût été incapable de dire combien de secondes s'écoulèrent, mais peut-être n'y eut-il qu'un instant très bref. Et peut-être même, en vérité, n'y eut-il aucun moment de silence.
La « bienfaitrice » se tourna vers le comte de Peyrac, en disant de sa voix un peu mondaine.
– Êtes-vous satisfait, magister ? Puis-je déposer fa toge ?
– Certes, madame. Vous avez répondu avec plus que de la capacité à ces questions ardues. Nous vous en remercions tous.
Elle le fixait toujours. Puis elle eut une moue souriante.
– Et mon présent ? fit-elle, comme se décidant. N'avez-vous pas dit que vous offririez un présent à quiconque pourrait expliquer la raison des marées et leur amplitude dans la Baie Française ?
– C'est juste, fit-il, mais...
– Vous n'aviez pas prévu que ce serait une femme qui vous donnerait la réponse ? émit-elle en éclatant de rire.
– Certes, convint-il en souriant, et si je songeais à quelques tresses de tabac pour la pipe de ces messieurs...
– Vous n'avez rien prévu pour moi... une femme.
Elle riait toujours, mais d'un rire plus doux, plus bas et comme indulgent.
– Qu'importe ! Je ne suis pas difficile. J'ai tout perdu dans ce naufrage... La moindre chose me fera plaisir. Mais j'ai droit à ma récompense... N'est-ce pas ?...
Il détourna les yeux comme s'il eût redouté d'affronter le regard à la fois hardi et candide d'Ambroisine de Maudribourg. Il parut sur le point de retirer de son doigt une de ses bagues pour l'offrir à la duchesse, puis, se ravisant, il chercha dans l'aumônière de cuir qu'il portait à son ceinturon et y prit une pépite d'or brut de la grosseur d'une noix.
– Qu'est-ce cela ? s'exclama-t-elle.
– Une des plus belles pépites trouvées en notre mine de Wapassou.
– Quelle chose extraordinaire ! Je n'en ai jamais vu.
Elle tendit la main. Mais il retint son geste.
– Vous n'avez pas répondu à ma question concernant le retard d'horaire du phénomène d'attraction par rapport au moment où la lune est à son zénith ?
– Oh ! Une autre fois, je vous en prie, protesta-t-elle avec une coquetterie de petite fille.
Il lui remit la pépite avec un sourire, et elle l'éleva au bout de ses doigts déliés, la faisant miroiter dans le soleil couchant.
Et à nouveau la peur envahissait Angélique, une angoisse qui ne pouvait s'exprimer par aucun cri, par aucun mouvement, aucune réaction de sa part, devant
laquelle la prudence exigeait qu'elle demeurât immobile et impassible, sous peine de voir s'ouvrir plus large encore et terrifiant sous ses pas le précipice entrevu.
Chapitre 16
Et brusquement le silence fut rompu par des cris, une bousculade puis il y eut des éclats de rire.
Le glouton Wolverines dévalant la pente comme un boulet noir creusait son sillage dans la foule ; renversant tous ceux qui se trouvaient sur son passage, avant de s'immobiliser devant Angélique, sa superbe queue en panache dressée, sa petite face de rongeur au ras du sol, tandis qu'il dardait sur elle ses yeux immenses où se reflétaient des lueurs rouges du ciel.
La duchesse de Maudribourg avait reculé avec un cri. Elle avait de la peine à ne pas trembler.
– Qu'est-ce que ce monstre ? s'écria-t-elle, terrifiée. Angélique, je vous en prie, sauvez-moi.
– Ce n'est qu'un glouton. Il n'est pas dangereux. Il est apprivoisé.
Angélique s'agenouillait pour caresser la bête. Elle était très heureuse tout à coup de l'apparition de Wolverines. Elle éprouvait une sorte de soulagement.
– Il cherche Cantor. Il est comme fou depuis que celui-ci est parti.
– Votre fils aurait mieux fait de l'emmener, cria Mme Manigault qui s'était retrouvée assise sur son ample séant, heureusement sans dommage.
– Mais il l'a cherché, expliqua Martial Berne. Nous l'avons cherché tous les deux au moment du départ. Mais Wolverines était allé folâtrer dans la forêt avec l'ours. Cantor a dû s'embarquer sans l'avoir trouvé.
– Il est très ami avec l'ours, fit remarquer la petite Anglaise Rose-Ann.
– Ah ! Voici l'ours, dit quelqu'un.
Élie Kempton entrait dans le cercle, suivi de son énorme compagnon.
– Je vous amène Mr Willoagby, déclara-t-il avec solennité au comte de Peyrac. Je l'ai mis au courant de ce que vous attendiez de lui et il ne voit pas d'objections à vous accompagner au fond de la Baie Française, encore qu'il se plaise beaucoup à Gouldsboro et qu'il n'aime pas tellement naviguer. Mais c'est une question de prestige pour l'Angleterre et il le comprend.
– Je remercie ce loyal sujet du roi d'Angleterre, dit Peyrac qui adressa à l'ours quelques mots en anglais.
Celui-ci, en effet, avait prospéré à Gouldsboro, où il se gavait de myrtilles, de noisettes et de miel. Il paraissait deux fois plus gros que lorsqu'il avait débarqué. Il se mit à flairer dans toutes les directions comme s'il cherchait parmi les personnes présentes un visage de connaissance, puis, se dressant sur les pattes de derrière, il se dirigea en se dandinant et en grommelant vers Angélique.
Dressé, il la dominait d'une tête et c'était assez impressionnant.
La duchesse poussa un nouveau cri, étouffé, et faillit défaillir. Les plus proches se reculèrent précipitamment. Joffrey de Peyrac et Colin Paturel eurent, malgré eux, un mouvement en direction de l'animal. Mais de quelques mots en anglais Angélique obtenait de l'ours qu'il se remît sur ses quatre pattes. Et elle le caressa à son tour en lui prodiguant toutes sortes de paroles amicales.
– La Belle et la Bête, exulta le marquis de Villedavray. Vraiment, quel spectacle extraordinaire !...
Chapitre 17
– Oui, vraiment, commentait-il un peu plus tard encore, quel spectacle hors du commun ! Votre blondeur et votre grâce auprès de ce monstre velu ! Vous n'avez peur de rien, en vérité. Vous êtes bien semblable à la réputation qu'on vous a faite à Québec... Non, n'enlevez pas cela, ma bonne dame, intervint-il, retenant Mme Carrère qui commençait à rassembler les plats sur les tables, il y a encore un peu de ce crabe délicieux dans cette assiette. Passez-la-moi ! Humph ! C'est absolument divin !... Que disais-je ? Oui, chère Angélique, vous êtes bien semblable à ce portrait que taisaient de vous vos enthousiastes partisans de Québec. Quand je pense que ce grave d'Arreboust a fait scandale en prenant votre défense au retour de son voyage au Kennebec. Auparavant, nous ne nous entendions pas. Il me jugeait trop libertin. Mais son courage à votre égard m'a plu, et cela nous a rapprochés. Il est manifestement amoureux de vous. À Montréal, déjà sa femme se répand en prières pour le salut de son âme. Mais aussi pourquoi ne couche-t-elle pas avec lui ? Elle n'a que ce qu'elle mérite !
Angélique n'écoutait que d'une oreille. Les gens se dispersaient. On rangeait les écuelles, les gobelets et les brocs. Les garçons vigoureux se chargeaient de démonter les tréteaux. L'ombre lilas envahissait la plage et les appels de ceux qui commençaient à ne plus s'apercevoir montaient avec une sonorité particulière car le crépuscule était limpide et le vent s'apaisait.
Angélique cherchait des yeux son mari et ne le découvrait pas.
– À Québec, au moment de la grande faim, alors que l'on disait que vous étiez tous morts au fond des bois, le chevalier de Malte Loménie-Chambord a commandé une neuvaine pour vous. Cela a paru excessif. Moi, j'y suis allé. J'ai toujours aimé faire quelque chose pour les jolies femmes, même prier pour elles. Il y a eu une émeute à ce sujet. Janine Gonfarel menait les femmes contre vous. Elle agissait ainsi pour complaire aux Jésuites. C'est sa façon d'obtenir qu'ils la laissent en paix avec son bordel de la Basse-Ville. Il y a toutes sortes de personnes intéressantes à Québec, vous verrez. J'adore cette ville. Il s'y passe sans cesse des événements hors du commun. J'y étais déjà en 1662, lorsqu'une comète est passée, signe de guerre, et des canots en flammes portant tous ceux qui étaient morts martyrs aux Iroquois... Vous avez tué Pont-Briand, dit-on ?
– Moi ? Je n'ai tué personne...
– Enfin, il est mort à cause de vous. C'était un très bon ami à moi, mais aimant trop le beau sexe. Il se croyait irrésistible. Une proie facile pour ce Jésuite habile.
– De qui parlez-vous ? demanda Angélique d'une voix altérée.
Elle venait tout à coup d'apercevoir Joffrey. Il était debout auprès de la porte de l'Auberge du fort et s'entretenait avec la duchesse de Maudribourg. Celle-ci était assise sur l'un des bancs de bois encadrant la porte.
– Mais de Sébastien d'Orgeval, pardi, rétorquait Villedavray. Un grand bonhomme ! Je l'aime beaucoup. Au début nous avons commencé par nous heurter. Mais je ne crains pas les jésuites. Ce sont des êtres qui ont leur charme. Oui, mon carrosse l'a heurté dans la rue montante. Après il prétendait m'en raire interdire l'usage disant que les rues de Québec ne sont pas faites pour les carrosses. Il a raison. Mais j'ai fait venir ce carrosse à grands frais d'Europe et je dois l'utiliser...
Ambroisine de Maudribourg, les mains jointes sur les genoux, levait vers le comte de Peyrac son blanc visage. La silhouette du comte se détachait à contre-jour, longue, déliée, imposante, sur le fond embrasé de la Baie. De temps à autre des personnes entrant ou sortant de l'Auberge le masquaient aux yeux d'Angélique.
– Prenez cela, mon ami, dit Villedavray tendant son assiette vide à l'un des fils Carrère qui passait. Avez-vous encore quelques-unes de ces confiseries exquises, aux noix, je crois ?...
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