— Si tu te sens mieux, dit-il doucement, veux-tu me dire ce qui t’est arrivé… ou bien préfères-tu dormir un peu avant ?
Elle lui offrit un sourire encore tremblant.
— Non… je vais te dire ! Mon Dieu… je dois avoir l’air d’une folle !… mais j’ai vécu une si terrible journée ! Pardonnez-moi, Madame, ajouta-t-elle en tournant sa tête vers Mlle Marjon. J’ai dû vous bousculer… mais je ne savais plus ce que je faisais. J’étais… désemparée !
— C’était l’évidence même, ma pauvre enfant ! dit Mlle Marjon avec un bon sourire, et personne ne songe à vous en vouloir. À présent, il faut vous détendre. Vous êtes en sûreté ici. Je vais vous laisser tous les deux et redescendre chez moi. Voulez-vous qu’on lui prépare une chambre ? demanda-t-elle à Gilles. En ce cas je reviendrai la chercher tout à l’heure.
Mais ce fut Judith qui se chargea de la réponse. Son regard sombre s’emplit d’angoisse tandis qu’elle se cramponnait aux mains du jeune homme en protestant :
— Non… non, je vous en prie ! Je ne veux pas aller ailleurs qu’ici ! Je ne veux pas me séparer de lui !
Pour la calmer, Gilles se pencha sur elle et l’embrassa doucement sur la joue.
— N’aie pas peur, je suis là ! (Puis, se tournant vers la vieille demoiselle :) Pour cette nuit, elle dormira dans ce lit, chère Mademoiselle. Le canapé du salon sera très suffisant pour moi.
— Comme vous voudrez. Mais si vous avez besoin de quoi que ce soit, appelez-moi !
Laissant les deux jeunes gens tête à tête, elle quitta la pièce sur la pointe des pieds et ce fut seulement la porte refermée qu’elle se permit un sourire plein de malice.
— Pas folle, cette petite, marmotta-t-elle. À son âge moi aussi j’aurais préféré le lit d’un beau garçon à celui d’une vieille bique ! Et je crois bien que ce diable de chevalier est encore plus séduisant que le feu roi Louis !…
Avant de descendre, elle écouta un instant à la porte et n’entendit rien… pour l’excellente raison que, demeurés enfin seuls, les deux jeunes gens n’avaient pu résister plus longtemps à l’élan de leur amour : ils s’embrassaient passionnément.
Ce fut seulement quand ils se séparèrent que Judith, bien calée dans les bras de Gilles, consentit enfin à lui faire le récit de ce qui s’était passé et qui tenait en peu de mots : le matin même, à sept heures, le Procureur Chesnon, accompagné de l’Inspecteur de police de Brugnières et d’une troupe armée, avait fait irruption dans l’hôtel de Cagliostro. Surpris encore au lit, Cagliostro et sa femme avaient été arrêtés mais, tandis qu’un premier piquet emmenait aussitôt le médecin, lui laissant tout juste le temps de s’habiller, Sérafina, par égard pour son sexe, reçut permission non seulement de faire sa toilette, de rassembler quelques effets qui pourraient lui servir en prison mais encore de réunir ses valeurs dans un portefeuille, ses bijoux dans une cassette, sur lesquels le procureur, débordant d’une galanterie visiblement émoustillée par la beauté de cette femme, apposa un large cachet de cire. Après quoi, il l’engagea à fermer à clef les portes de son appartement privé et à mettre la clef dans sa poche au lieu de la remettre à sa femme de chambre comme elle en avait eu l’idée tout d’abord. Les domestiques restés dans les autres parties de l’hôtel reçurent l’ordre de calfeutrer les fenêtres et de s’en aller tandis que deux argousins veilleraient à la porte cochère jusqu’à nouvel ordre.
— Ainsi, fit Gilles songeur, Cagliostro est arrêté ? Sous quelle inculpation, le sais-tu ?
— Le procureur l’a dit. Cette La Motte, cette affreuse femme qui voulait être mon amie, l’a dénoncé comme complice du cardinal de Rohan dans le vol du collier ! Quelle infamie ! Il faut que cette femme soit le Diable en personne ! Pauvre comte Alexandre !… Il est si bon, si…
— Mais au fait, et toi, où étais-tu ? coupa Gilles que ce début de panégyrique n’enchantait qu’à demi. Du côté où étaient les domestiques ?
— Non. Ma chambre n’était séparée de celle du comte et de la comtesse que par un petit couloir obscur pris dans l’épaisseur d’un mur. On n’en pouvait sortir que par leur chambre. Le Maître voulait que je sois toujours sous sa garde…
— Sous sa surveillance serait plus juste, non ? Qu’était-il pour toi, au juste ?
— Un père ! fit Judith sévèrement. Il m’aimait beaucoup, il avait peur pour moi d’une foule de dangers.
— Mais enfin, la comtesse t’a tout de même fait sortir avant de fermer à clef ?
La jeune fille hocha la tête négativement.
— Devant lui, elle me montrait toujours beaucoup d’amitié, d’affection même… mais je savais bien qu’elle me détestait ! Elle a dû être enchantée de me jouer un mauvais tour… à moins qu’elle ne m’ait oubliée, tout simplement. J’avoue qu’il y avait tout de même un peu de quoi !
— Mais toi, pourquoi n’es-tu pas sortie puisque tu entendais tout ? Pourquoi ne t’es-tu pas montrée ? Tu pouvais te faire passer pour l’une des chambrières et partir tranquillement avec les domestiques.
— Non. C’était impossible. Si je m’étais montrée, j’étais perdue…
Elle se serra plus étroitement contre le jeune homme, posa son front contre son cou et, tout à coup, il sentit qu’elle tremblait.
— Mais… tu as encore peur, tu meurs de peur ! murmura-t-il navré en couvrant de baisers le petit visage où les larmes s’étaient mises à couler de nouveau. Et tu pleures !… Mon Dieu, qu’est-ce que je peux faire ?…
— Rien, rien, mon amour ! mais il faut que tu saches : du couloir de ma chambre non seulement je pouvais entendre mais je pouvais entrevoir les gens qui étaient avec la comtesse. Il y avait là un homme… un exempt de police qui ne me connaissait que trop et dont la vue m’a fait défaillir un moment !
— Un exempt de police ? Comment peux-tu connaître ces gens-là ? Qui était-ce ?
— C’était mon frère !
— Ton…
— Oui. C’était Morvan…
Un instant, ils gardèrent le silence cependant que se levait, au fond de la mémoire de Gilles, avec une âcre bouffée de haine, la silhouette brutale du plus jeune des Saint-Mélaine. Ainsi, l’homme qu’il s’était donné à tâche de retrouver et d’envoyer en enfer rejoindre Tudal son aîné était à Paris ? Il l’avait peut-être côtoyé dans la foule sans le reconnaître…
Sentant que Judith tremblait encore, il caressa doucement sa tête puis, obligeant sa voix à demeurer parfaitement calme :
— Eh bien, disons que c’est une bonne nouvelle ! Puisqu’il appartient à la Police je n’aurai guère de peine à le retrouver.
— Que veux-tu faire ?
— Rien de plus simple : le tuer ! Tant qu’il vivra, tu ne connaîtras pas la paix et je ne veux plus te voir ces yeux de biche épouvantée. Je t’aime, Judith. Tu es toute ma vie et je veux être toute la tienne ! Il n’y a pas de place entre nous pour un misérable comme Morvan… Oublie-le un instant en attendant de l’oublier tout à fait et raconte-moi la fin de ton histoire. Comment as-tu réussi à sortir de ta souricière ?
— Par le toit !… Il y a au-dessus de la chambre du comte des soupentes, un grenier que l’on peut atteindre par un petit escalier intérieur. Je suis sortie par là et par les gouttières… comme un chat mais un chat qui mourait de peur ! J’ai réussi à gagner le toit de la maison voisine non sans peine. Heureusement que nous sommes en été car il y avait une lucarne ouverte. Je suis passée dans un grenier très encombré et très sale. C’est là que je me suis blessée à la main avec le loquet de la porte. Mais j’ai trouvé l’escalier et j’ai pu enfin arriver dans la rue. Là, tournant le dos au boulevard, j’ai couru, couru jusqu’à ce que je trouve un fiacre qui accepte de me conduire jusqu’à Versailles. Encore m’a-t-il laissée à la grille de la ville car il était pressé de rentrer à Boulogne où il remise. J’ai dû chercher seule cette maudite rue de Noailles et j’ai cru un moment que je n’y arriverais pas, tant j’étais lasse et apeurée. À chaque instant il me semblait que j’allais voir reparaître Morvan…
— Tu ne le reverras plus ! Je ferai ce qu’il faut pour cela. Mais ton fiacre, comment as-tu pu le payer ? Tu avais de l’argent ?
Pour la première fois depuis qu’elle était arrivée, il vit une lueur joyeuse briller dans ses grands yeux. Même elle se mit à rire.
— Eh oui !… Je suis riche, figure-toi ! enfin… assez riche ! Regarde !
Et, se penchant en avant, elle retroussa le bas de sa robe, l’un de ses jupons brodés et découvrit, cousue à celui de forte toile qui donnait l’ampleur à sa jupe, une grande poche de toile dont elle tira une grosse liasse de billets et un petit sac d’or qu’elle jeta sur le lit.
— Qu’est-ce que tout cela ?
— Le contenu du portefeuille de Sérafina. Ce n’est pas solide du tout un cachet de cire rouge, même très gros ! Et cela lui apprendra à m’oublier, volontairement ou non ! Je lui ai laissé ses diamants, c’est déjà bien.
— Eh bien, et ton cher comte Alexandre ? Je croyais que tu l’aimais tant. Cet argent est à lui…
— S’il avait été là il aurait été le premier à me le donner. L’or ne signifie rien du tout pour lui, tu sais ? Il en fabrique !
— Il en fabrique ! fit Gilles éberlué.
— Mais oui. Dans la cave de la maison où il a installé des fourneaux, des cornues, des tas de choses bizarres. Je l’ai vu faire une fois. Oh ! c’était tellement impressionnant ! Voilà pourquoi j’ai pris cet argent sans remords. Oh, Gilles ! je t’ai entendu dire à Cagliostro que tu étais prêt à tout abandonner pour moi, ta carrière, le Roi, Versailles, à m’emmener en Amérique mais, lorsque j’en ai parlé au Maître, il a souri en disant que tu étais sûrement sincère mais que tu étais loin d’avoir assez d’argent. Maintenant nous en avons, quand partons-nous ?
— Bientôt ! J’espérais même que nous pourrions profiter du départ de Benjamin Franklin mais lorsque je suis allé chez lui, il venait de partir pour Brest. Il était trop tard.
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