— Je crains que cette visite ne tourmente beaucoup la Reine car elle m’est apparue très contrariée. Veillez, je vous prie, à la ménager.
— Je suis comme vous-même un fidèle serviteur de Sa Majesté, Madame, et comme vous je ne souhaite que son bonheur, fit Gilles avec une froideur un peu agacée. (Cette femme était un véritable chien de garde et il devinait qu’elle eût donné beaucoup pour la joie de le faire jeter par la fenêtre sous l’inculpation d’un crime de lèse-tranquillité.) La Reine m’attend-elle ou non ?
— Elle est là ! soupira enfin la femme de chambre en se dirigeant vers une double porte close. Elle joue au billard avec Madame la comtesse d’Ossun mais je vais tout de même vous annoncer.
Marie-Antoinette se trouvait, en effet, dans l’agréable petite pièce que l’on appelait le « Cabinet du Fleuriste » parce qu’elle donnait sur des parterres de fleurs et où elle avait installé son billard. Elle y jouait alors avec sa dame d’atours lorsque Gilles fut introduit auprès d’elle et achevait un coup qui semblait particulièrement difficile car sa bouche se serrait et son front se plissait désagréablement…
— Vous avez demandé à me voir, Monsieur, dit-elle froidement, sans quitter des yeux le bout de la queue d’ivoire incrusté d’or. Me voici. Parlez ! Qu’avez-vous à me dire ?
Le salut du jeune homme fut la perfection même car la Reine aussi bien que la femme, tout à fait charmante dans une simple robe de percale blanche ornée d’un fichu de gaze et d’une belle rose, pouvaient chacune y trouver son compte.
— Je remercie la Reine de l’honneur qu’elle veut bien me faire… mais j’avais également osé la prier de vouloir bien me recevoir seule !
Marie-Antoinette jeta la longue canne sur le billard rouge d’un geste mécontent et se redressa, toisant sévèrement l’officier.
— Je vous ai toujours vu avec faveur, Monsieur de Tournemine mais, en tant qu’officier des Gardes, vous devriez savoir que je m’efforce de tenir hors des limites de mon cher Trianon les affaires de l’État. Elles m’ennuient ici et assombrissent la lumière !
— Il ne s’agit pas des affaires de l’État, Madame, mais bien de celles de Votre Majesté. C’est pourquoi j’ai osé me présenter ici.
— Ah ! vraiment ? Et d’abord qu’est-ce que ce papier que vous m’avez fait remettre ? D’où vient-il ?
Avec un coup d’œil à la belle jeune femme, habillée exactement comme la Reine, qui s’était retirée dans le fond de la pièce, auprès d’un vase chargé d’un grand bouquet de roses, Gilles répondit à voix contenue :
— Du Bosquet de Vénus, Votre Majesté, où je l’ai trouvé hier, un peu après minuit…
— Ah !
Il y eut un bref silence au cours duquel Tournemine admira la maîtrise d’elle-même de la Reine. Si la phrase l’avait touchée elle n’en montra rien ou si peu : un léger étonnement, une imperceptible inquiétude dans ses yeux bleus un peu saillants et ce fut tout. Mais, avec un sourire charmant, elle se tourna vers Madame d’Ossun :
— Laissez-nous, je vous prie, ma chère Geneviève. Je crois qu’il me faut, en effet, confesser seule ce jeune homme. Prenez le tonneau et faites-vous conduire au Hameau, je vous y rejoindrai tout à l’heure…
Puis, quand la forme blanche de la dame d’atours eut glissé de l’autre côté de la porte, elle se retourna vers son visiteur mais toute trace de sourire avait disparu de son visage.
— Eh bien, Monsieur, parlez maintenant ! Nous sommes seuls et nul ne peut nous entendre. Que savez-vous du Bosquet de Vénus et d’abord qu’y faisiez-vous ? Car c’est vous, m’avez-vous dit, qui avez trouvé ce billet ?
— C’est bien moi. Quant à ce que j’y faisais… je m’y promenais, Madame, fit-il avec une assurance qu’il était bien loin d’éprouver – mais aucune force humaine n’eût pu lui faire avouer la mission dont l’avait chargé le Roi car c’eût été semer une déplaisante zizanie dans le ménage royal. C’est un endroit frais par les grandes chaleurs, silencieux et apaisant pour qui sent son cœur mal à l’aise. Il est doux d’y rêver…
— Vraiment ? J’ignorais que l’on fût à ce point poète et sentimental chez Messieurs les Gardes du Corps ! Enfin, admettons. Mais maintenant parlez, Monsieur ! Qu’avez-vous à me dire ?
Sous la masse cendrée de ses cheveux haut relevés, le front de Marie-Antoinette se chargeait d’orage tandis que s’accentuait la lippe hautaine de sa « lèvre autrichienne ». Jouant alors le tout pour le tout, Gilles plia le genou mais garda l’échine droite :
— Daigne la Reine me pardonner mon audace et consentir à ne voir en moi que le plus humble, le plus fidèle et le plus dévoué de ses serviteurs. J’ai voué ma vie au service, au bonheur de mon roi et de ma reine et ce que je viens faire ici n’a pas d’autre objectif.
— Je n’en ai encore jamais douté, Monsieur, fit la Reine avec impatience mais d’une voix un peu moins rude. Après ?
— Ce que j’ai à dire à Votre Majesté c’est ceci : Madame de La Motte-Valois est une aventurière qui avilit le nom sacré que le hasard de la naissance lui a accordé, une créature indigne d’approcher même les basses-cours d’un palais royal… à plus forte raison les demeures de la Reine. Il vous faut la chasser, Madame, la chasser au plus tôt sinon je la crois capable de faire à Votre Majesté un mal affreux.
— Du mal, à moi ? Cette pauvre créature qui supporte si courageusement une grande misère, une misère d’autant plus tragique d’être vécue sous un nom aussi illustre que celui dont vous lui faites si injustement reproche ? Mais que vous a donc fait cette malheureuse, à laquelle, j’en conviens, je veux du bien, pour que vous osiez l’accuser si sévèrement ?
— À moi ? rien ! Mais à Votre Majesté, beaucoup car, je peux le jurer sur l’honneur à la Reine, Madame de la Motte est beaucoup moins dévouée à Votre Majesté qu’à une autre personne princière. La Reine permet-elle que je lui pose une question ? Une seule…
— Faites !
— Avant de partir pour la Suède, Monsieur de Fersen n’a-t-il rien dit à Votre Majesté touchant Madame de La Motte ?
— Monsieur de… Non, rien !
Brusquement la Reine porta ses deux mains à sa tête comme si elle était prise de vertiges. Sa voix s’altéra.
— Axel ! Mon Dieu… C’est vrai : vous êtes son ami…
Elle tournoya sur elle-même et alla tomber dans une bergère qui cria sous son poids. Avec épouvante, Gilles vit qu’elle était devenue blême et que les fines ailes de son nez se pinçaient. Aussitôt il fut sur pied.
— Votre Majesté est souffrante ?…
— Oui… Non ! Ce n’est rien ! Je vous en prie, chevalier, appelez Madame de Misery… ou Madame Campan… Quelqu’un.
La première femme de chambre et l’épouse du bibliothécaire n’étaient pas loin. Elles répondirent au premier appel du jeune homme et se précipitèrent vers leur maîtresse, non sans que la petite Mme Campan ne lui eût décoché au passage un coup d’œil meurtrier.
— Je vous avais dit de ménager la Reine, Monsieur !
Marie-Antoinette eut un pâle sourire.
— Ne… malmenez pas ce jeune homme, ma bonne Campan. Menez-moi plutôt dans ma chambre ; je ne me sens pas très bien… Attendez ici, chevalier… je vous ferai appe… Oh !… Vite !
Emportée plus encore que soutenue par ses femmes, elle s’enfuit littéralement de la petite pièce, laissant Gilles assez perplexe. La Reine était-elle vraiment malade ou bien avait-elle trouvé simplement un moyen commode de rompre un entretien désagréable ? Dans un moment, sans doute, l’une de ses chambrières, cette Madame Campan peut-être qui ne semblait pas le porter dans son cœur, viendrait lui dire que Sa Majesté était au regret mais qu’il lui fallait remettre à plus tard la suite d’un entretien, un plus tard qui se situerait sans doute aux environs des calendes grecques…
Il se reprocha vite ces mauvaises pensées car, lorsque Mme Campan reparut, ce ne fut pas pour l’éconduire mais bien, au contraire, pour l’inviter à la suivre et l’introduire dans la chambre même de sa maîtresse où celle-ci, enveloppée de châles légers, était étendue sur une méridienne.
Elle était moins pâle que tout à l’heure mais une odeur indéfinissable et un peu aigre, attestant que Sa Majesté venait d’avoir mal au cœur, traînait encore entre les soieries et les boiseries fleuries de la pièce malgré les fenêtres grandes ouvertes et l’eau de senteur qu’on y avait vaporisée.
— Votre Majesté se sent mieux ? chuchota Gilles, impressionné par les yeux cernés de Marie-Antoinette.
Elle lui sourit avec un rien de malice.
— Je vous demande excuses pour ce regrettable manque de décorum, chevalier. Du moins vous aura-t-il permis d’apprendre, premier de tous les Français, que votre reine donnera le jour dans quelques mois à un prince… ou à une princesse !
Le jeune homme s’inclina respectueusement et garda un instant le silence. La nouvelle était d’importance mais il ne pouvait s’empêcher de se demander si elle était aussi bonne qu’il y paraissait. Si par malheur la conception de cet enfant coïncidait avec le séjour de Fersen… Mais il était tout de même un peu difficile de demander à la Reine de quand datait sa grossesse. Et comme il était également difficile de rester muet plus longtemps, même pour un homme écrasé sous le poids d’une faveur insigne, il articula :
— C’est un grand honneur, Madame, et un grand bonheur d’être admis le premier à offrir à la Reine les vœux fervents que ses sujets vont former pour une heureuse naissance et j’en remercie du fond du cœur Votre Majesté !
Cette fois, Marie-Antoinette rit de bon cœur, bien loin de soupçonner les étranges pensées qui agitaient son visiteur.
— À merveille ! Vous ferez un excellent ambassadeur quand vous aurez plus de rides au front. Mais nous avons encore à parler. Tenez, prenez place ici, dit-elle en désignant un petit fauteuil placé auprès de sa chaise longue. Vous pouvez me laisser, Madame de Misery, ajouta-t-elle à l’adresse de sa femme de chambre occupée à ranger des flacons sur la toilette. Je me sens tout à fait bien maintenant.
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