Le prince et la comtesse semblaient d’excellente humeur. Leurs rires et les plaisanteries qu’ils échangeaient apportèrent un agréable contraste à l’ambiance guindée et la détendirent un peu mais attirèrent une remarque du Roi
— Vous me semblez bien joyeux, ce soir, mon frère ? fit-il en plissant légèrement ses yeux myopes.
— Je suis toujours joyeux, Sire, lorsque j’ai le bonheur de passer la soirée en votre compagnie et en celle de la Reine qui me paraît ce soir plus éclatante que jamais !
— Bien aimable aussi, marmotta le Roi entre ses dents. Cela cache quelque chose…
La douce Mme Élisabeth qui était assise auprès de Louis XVI, tapa doucement sur sa main avec le bout de son éventail.
— Pourquoi ne serait-ce pas vrai ? Je suis toujours plus heureuse, moi, quand je suis près de vous !…
— Oh ! vous, ma sœur, vous êtes un ange. Et puis vous m’aimez bien. Je n’en dirai pas autant de tout le monde, ajouta-t-il avec un regard noir à l’adresse du comte de Vaudreuil, un créole phtisique et brutal mais séduisant, qu’il soupçonnait d’être l’auteur de la mauvaise plaisanterie de l’après-midi.
Occupé à examiner les cartons de la Reine auprès de laquelle il était assis et dont il était d’ailleurs l’un des amis les plus chers, Vaudreuil ne parut pas s’en apercevoir.
— Ça, jouons ! fit le Roi avec impatience tandis que le comte d’Artois, vêtu de blanc de la tête aux pieds et le nez au vent, effectuait à son tour une entrée tapageuse. Et que les gens incapables d’arriver à l’heure prennent au moins la peine de se faire oublier !
Mais, sans se soucier outre mesure de la mauvaise humeur fraternelle, Artois s’en alla baiser la main de sa belle-sœur et la complimenter sur l’élégance de sa robe de soie bleu Nattier, finement rayée d’argent, dernier chef-d’œuvre sorti le matin même des ateliers de l’importante Rose Bertin, son « ministre » de l’Élégance.
— Asseyez-vous près de moi, mon frère, et prenez des cartes sinon nous allons tous nous faire gronder, lui dit-elle en riant.
Tandis que le jeu commençait aux sons atténués d’une ariette de Gluck que les violons de la Chambre du Roi jouaient dans le salon voisin, Tournemine s’efforça de ne pas regarder trop fixement le comte de Provence qui, assis vis-à-vis de son frère, lui faisait face. Mais force lui était bien de constater que le regard du prince, filtrant sous une paupière lourde, pesait assez souvent et avec insistance sur lui. Et comme Mme de Balbi se tenait debout derrière Provence, il n’échappait au regard de l’un que pour trouver celui de l’autre, insolent et moqueur tout à la fois.
La chaleur devenait pénible. Les divers parfums dont femmes et hommes étaient inondés alourdissaient singulièrement l’atmosphère.
— J’ai soif ! dit tout à coup Louis XVI qui était en train de se faire plumer par son frère et n’en était pas plus souriant pour cela.
Le duc de Coigny, Premier Gentilhomme de la Chambre, se précipita, armé d’un plateau et d’un verre de champagne, et l’offrit au souverain mais, sans le regarder, celui-ci refusa.
— Ma foi, non ! Cela ne me vaut rien. Monsieur de Tournemine ajouta-t-il en se tournant à demi vers le jeune officier, voyez donc à me faire apporter de l’eau de Vichy !
— Vous, mon frère… de l’eau ? s’écria Provence surpris.
— Ma foi, oui ! Lassone, mon médecin, exige que j’en boive beaucoup. Il prétend que cette eau est tout à fait capable de me débarrasser de ces somnolences qui me prennent après les repas… et dont je me trouve si mal. Je conçois votre surprise mais j’imagine qu’en bon frère, vous m’encouragerez dans cette voie car ma santé, n’est-ce pas, vous est chère ?
— Vous n’en doutez pas, j’espère ?
— En aucune façon. Quarante-neuf ! Ah, cette fois c’est pour moi ! Votre chance tournerait-elle, mon frère ?… L’eau de Vichy peut-être…
Tandis que le Roi escarmouchait ainsi avec Monsieur, Gilles était parti comme une flèche vers le Salon de l’Abondance où l’on avait coutume de dresser les buffets. Mais si vite qu’il fût allé, il n’en fut pas moins rejoint à mi-chemin par Anne de Balbi.
— Puisque vous êtes en veine de commission, chevalier, apportez-moi donc un sorbet…
— Tout à l’heure, Madame, lorsque le Roi sera servi !
— Toujours aussi galant à ce que je vois ! Nous avons à parler, mon bel ami. Vous me devez, il me semble, quelques explications…
— Je n’en ai pas conscience, Madame… et le Roi attend !
— Au diable le Roi ! siffla-t-elle entre ses dents serrées. Je veux te voir, tu entends ?… Et cette nuit même ! Je t’attendrai jusqu’à l’aube… où tu sais !…
Sans répondre, il lui tourna le dos, alla jusqu’aux buffets, se fit remettre l’eau demandée et revint sur ses pas. Mais elle l’attendait à l’entrée du salon de Vénus et, alarmé par le battement accéléré de son éventail nerveusement manié, il n’osa pas l’écarter.
— Viendras-tu ? chuchota-t-elle.
— Votre vouvray ne me plaît pas !
— Il n’y en aura pas. Mais je te conseille cependant de venir. J’ai réussi à obtenir que l’on ne… visite plus ton jardin la nuit. Cela mérite peut-être un remerciement. Alors ? Tu viendras ?
— Dans ce cas… Peut-être !
Saluant courtoisement, il passa devant elle et alla offrir au Roi le verre qu’il avait demandé.
Lorsque dix heures sonnèrent à l’admirable pendule à automate de Morand qui était l’ornement principal du salon, le Roi ramassa l’or empilé devant lui, le mit dans sa poche, se leva et alla offrir la main à la Reine tandis que tous les joueurs se hâtaient de se lever.
— Allons souper, dit Louis XVI dont la bonne humeur, jamais bien longtemps absente d’ailleurs, semblait revenue. Venez-vous, Madame ? Mais la Reine, sans prendre la main offerte, plongea dans sa révérence.
— Non, Sire, avec votre permission. Il fait une chaleur insupportable et je n’ai pas faim. Je préférerais descendre sur la terrasse avec mes dames pour respirer un peu.
Elle enveloppait son époux de son sourire lumineux qui était un miracle de charme et, fidèle à son habitude, il n’y résista pas.
— Eh bien allez… mais ne vous attardez pas trop au jardin. Les nuits d’été réservent parfois des surprises passé minuit et vous pourriez prendre froid. Quant à nous, messieurs, qui sommes de nature moins éthérée, nous irons souper !
Le cortège des souverains, encadré par les Gardes du Corps, se partagea en deux groupes et, tandis que la Reine, appuyée sur le bras de la duchesse de Polignac, son intime amie, regagnait son appartement pour y changer de toilette, le Roi se dirigeait vers la salle à manger voisine de sa bibliothèque pour y accomplir l’un des rites les plus importants de sa vie : souper. Mais, avant de passer à table, il entra un instant dans la bibliothèque faisant signe à Tournemine de le suivre.
— Venez, Monsieur, j’ai un mot à vous dire.
Et, tandis que les courtisans s’interrogeaient sur cette nouvelle marque de faveur, Gilles en face de son souverain attendait respectueusement, debout au milieu de la grande pièce blanche.
— Vous m’avez dit ici même, chevalier, que je pouvais tout demander à votre dévouement ? dit Louis XVI après un instant de silence.
— Tout, Sire ! Rien ne me rendrait plus heureux que de donner ma vie pour le Roi… et le Roi le sait !
— Cela n’ira pas jusque-là pour ce soir. Je voudrais de vous un service… très personnel ! Ne le prenez pas en mauvaise part, n’allez pas imaginer que je désire de vous que vous vous livriez à l’espionnage… mais je désirerais que vous descendiez sur la terrasse et que vous y observiez discrètement la Reine. Non… encore une fois ne vous méprenez pas ! ajouta-t-il vivement. Je ne soupçonne votre souveraine d’aucun méfait. Seulement je désire m’assurer qu’elle ne se laissera pas entraîner par ses amis à retourner cette nuit à Trianon pour y jouer au pharaon dans la tranquillité de sa maison… et loin de mes regards. Elle… ne sait pas bien résister à ses amis, voyez-vous !
— Et au cas où sa Majesté retournerait effectivement à Trianon ?
— Vous reviendrez me le dire et je vous autorise à demander que l’on me réveille. Sinon, si la Reine rentre dans sa chambre après sa promenade, eh bien, mon ami, vous ferez comme tout le monde : vous irez vous coucher vous aussi et nous ne parlerons plus de tout cela. C’est bien compris ?
— C’est compris, Sire. Le Roi sera obéi à la lettre.
— Je vous remercie. Allez, Monsieur !
Tandis que le Roi repassait dans la salle à manger, le jeune homme sortit par l’autre porte, traversa le Cabinet Doré et rejoignit l’escalier grâce auquel il rejoignit rapidement le Parterre Nord et la Terrasse.
Il eut tout d’abord quelque peine à retrouver la Reine car il y avait foule. Par les soirs d’été, quand la ville, construite dans un bas-fond humide, se faisait étouffante, ses habitants, pour peu qu’ils fussent proprement vêtus, avaient le loisir de venir prendre le frais sur la terrasse et d’y côtoyer, le plus démocratiquement du monde, les gens du château, ceux de la Cour, voire la famille royale en personne. On s’y promenait à petits pas en écoutant la musique des Gardes Suisses ou celle des Gardes Françaises qui s’y faisaient entendre alternativement. Parfois, les dimanches et jours de fête, en regardant les jeux d’eau des bassins.
Ce soir-là, c’était au tour des Gardes Françaises de déchaîner l’harmonie et les accents entraînants de Marlbrough s’en va-t-en guerre ! voltigeaient allégrement sur les conversations et les rires de la foule en vêtements clairs recréant au pied du palais une autre fête, plus spontanée et plus sincère que les fastes royaux qui venaient de s’achever.
N’apercevant pas Marie-Antoinette, Tournemine s’adressa à l’un des pages qui déambulaient entre les groupes, toujours à la recherche d’une grosse bêtise à faire ou d’un bon tour à jouer, car la promenade vespérale des Versaillais était pour eux un terrain de manœuvres privilégié.
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