Charlotte avait pâli jusqu’aux lèvres à cet énoncé froid et parfaitement clair.
— Ainsi, dit-elle, il nous faudra abdiquer ?
Elle n’en pensait pas un mot, et la réponse de Napoléon III l’atterra :
— Soit, dit-il, abdiquez. C’est la sagesse… Alors, elle se déchaîna. Prise d’une colère aveugle, elle jeta à la face de Napoléon tous ses griefs, le traita en valet indélicat, et hurla :
— Comment ai-je pu oublier qui je suis et qui vous êtes ? J’aurais dû me souvenir que le sang des Bourbons coule dans mes veines et ne pas déshonorer ma personne en m’humiliant devant un Bonaparte, en traitant avec un aventurier.
Napoléon III se leva alors, puis, après un bref salut, quitta l’hôtel, laissant Charlotte en proie à une terrible crise nerveuse que l’on eut bien du mal à maîtriser. La manie de la persécution s’emparait d’elle et, comme à Saint-Cloud, on lui avait offert des rafraîchissements, elle hurlait que l’on avait voulu l’empoisonner.
Quand elle fut un peu plus calme, sa suite jugea prudent de lui faire quitter Paris. On avait d’abord pensé qu’elle se dirigerait sur Bruxelles, mais le roi Léopold Ier était mort l’année précédente. Son fils aîné, frère de Charlotte, régnait. Hélas ! Léopold II, les yeux fixés sur l’Afrique, ne s’intéressait nullement à l’aventure mexicaine. Il était donc inutile, si paradoxal que ce fût, d’aller à Bruxelles. Ainsi du moins pensait Charlotte, qui d’abord alla passer quelques jours à Miramar, puis se dirigea sur Rome. C’est là qu’allait éclater le drame.
Reçue au Vatican par le pape Pie IX avec beaucoup de bonté et de pitié, elle le trouva aussi inflexiblement attaché à ses positions : il ne pouvait faire passer le bien de l’Église avant l’intérêt d’un couple, si désireux fût-il de demeurer sur un trône et, doucement, tenta de faire comprendre à Charlotte que la partie était perdue, que s’obstiner serait de la folie, comme d’ailleurs l’estimait aussi l’empereur François-Joseph, et que la sagesse était de revenir tranquillement à Miramar en attendant qu’un poste digne de lui fût offert à Maximilien.
Charlotte écouta sans protester, regagna calmement son hôtel mais, le lendemain matin, comme le pape prenait son petit déjeuner, il vit soudain l’impératrice du Mexique, blanche comme un linge, les yeux exorbités, faire irruption chez lui, se jeter à ses pieds en criant qu’elle avait peur, que l’on voulait l’empoisonner. Après quoi, elle se jeta sur le chocolat pontifical et l’avala en femme qui n’avait rien pris depuis la veille. La senora del Barrio, qui avait suivi sa malheureuse maîtresse, expliqua du mieux qu’elle put l’étrange état dans lequel se trouvait Charlotte.
Celle-ci, d’ailleurs, refusait de quitter le Vatican. Il fallut que le pape, très ennuyé, lui fît dresser un lit dans un salon près de la bibliothèque, et Charlotte fut, dans toute l’Histoire, la seule femme, avec la senora del Barrio, jamais autorisée à dormir dans les appartements pontificaux.
Le lendemain, après une vaine tentative de la confier à un couvent, où elle fit scandale en criant que la sœur cuisinière voulait l’empoisonner, on parvint à la ramener à son hôtel, mais elle se livra à de telles extravagances dans la rue, buvant aux fontaines et poussant des cris, que la suite de la malheureuse, affolée, prévint à la fois Bruxelles et Vienne.
Huit jours plus tard, Charlotte était revenue à Miramar, où un médecin viennois vint l’examiner. La folie était patente, et ne devait plus se démentir. Au bout de quelques mois, le comte de Flandres, son frère, vint chercher la malheureuse et la ramena à Laeken, dont elle était partie si joyeuse quelques années plus tôt, sans espoir cette fois d’en sortir jamais. Dix-huit mois de règne avaient fait de la joyeuse Carlotta une pauvre folle.
Pendant ce temps, au Mexique, Maximilien tentait vainement de se raccrocher à son trône chancelant. Les troupes françaises étaient presque toutes parties. La dernière, la Légion étrangère, qui en 1863, à Camerone, avait écrit avec son sang l’une des plus glorieuses pages de son histoire, quitta le pays, non sans y être demeurée, par loyalisme, plus longtemps que ses ordres ne le prévoyaient. Mais malgré les objurgations de Bazaine, Maximilien voulait demeurer.
C’est alors qu’il reçut une dépêche chiffrée lui apprenant que l’impératrice, atteinte d’une grave maladie, était soignée par le docteur Riedel de Vienne. Il fit aussitôt appeler son médecin, un Autrichien, le docteur Basch :
— Savez-vous, lui demanda-t-il à brûle-pourpoint, qui est le docteur Riedel ?
Le médecin, sans méfiance, répondit tranquillement :
— Sans doute, Sire. C’est le directeur de la maison d’aliénés.
Maximilien laissa tomber le fatal papier et serra les dents. Folle, Charlotte était folle… Quelle chose horrible, impensable !… Son premier mouvement fut d’accourir vers elle, et un bref instant il songea à l’abdication, mais il se ravisa. À quoi bon ? Retourner là-bas, retrouver une pauvre démente qui ne le reconnaîtrait peut-être pas ? Mieux valait lutter jusqu’au bout.
Juarez et ses troupes, chaque jour plus nombreuses, tenaient maintenant presque tout le pays. Napoléon III avait envoyé à Maximilien son aide de camp, le général de Castelnau, pour le supplier de partir quand il en était temps encore. Mais l’empereur ne voulait rien savoir. Il croyait encore, contre vents et marées, à l’amour de ses sujets. Il décida de lutter avec ses propres forces, alla s’enfermer dans la forteresse de Queretaro…
C’était une forte ville, qui aurait pu tenir longtemps mais un traître en ouvrit les portes. L’empereur fut pris, emprisonné avec deux de ses généraux Mieja et Miramon. Juarez le traduisit en jugement.
Quand cette nouvelle fut connue en Europe et aux États-Unis, ce fut une marée de protestations diplomatiques, émanant de toutes les chancelleries, qui convergea vers le chef rebelle. Nul ne pouvait admettre qu’il songeât à faire mourir le propre frère de l’empereur d’Autriche, un prince européen. Mais Juarez était indien. Pour lui, un ennemi était un ennemi. Maximilien et ses deux généraux furent condamnés à mort.
Le 19 juin 1867, l’empereur quitta sa prison, escorté des deux autres condamnés. Il était vêtu de noir, mais portait fièrement l’ordre de la Toison d’Or. En franchissant le seuil, il leva les yeux vers le merveilleux ciel turquoise :
— Quelle magnifique journée ! dit-il. Je ne pouvais en choisir une plus belle pour mourir.
Puis, comme le son d’une trompette parvenait jusqu’à lui, il se tourna vers le général Mieja :
— Est-ce le signal de l’exécution, Tomas ? Mieja hocha la tête, sourit courageusement :
— Je ne sais pas, Sire. C’est la première fois qu’on m’exécute.
Quand sept heures sonnèrent au clocher de la ville, la salve d’artillerie déchira l’air. Les trois hommes s’écroulèrent. Le dernier mot de l’empereur déchu avait été :
— Pauvre Charlotte…
Jusqu’au 16 janvier 1927, jusqu’à quatre-vingt-seize ans, la malheureuse Charlotte devait traîner son martyre. La nuit qui l’avait prise ne devait plus jamais la quitter. Inlassablement, jour après jour, elle écrivait et récrivait la même lettre, un cri d’amour pour celui qui n’était plus. Pourtant, une nuit, dans le plus grand secret, l’impératrice, que l’on disait stérile, mit au monde un enfant, un petit garçon, que l’on se hâta d’escamoter et sur lequel, désormais, veilla de loin la sollicitude de la cour belge. Mais ceci est une autre histoire…
DEUX VICTIMES
DE MAYERLING
L’épouse de Rodolphe,
Stéphanie de Belgique
On était le 10 mai 1881. Pourtant, le jour qui se levait sur Vienne était brumeux, chargé de nuages qui annonçaient la pluie. L’heure était si matinale qu’au palais de Schönbrunn, seuls les serviteurs étaient éveillés, les serviteurs et les gardes.
Pourtant, dans une grande chambre du premier étage, une jeune fille regardait se lever ce jour si triste qui devait être, normalement, le plus beau de sa vie. Pieds nus, ses cheveux blonds soigneusement nattés pendant sur sa longue chemise de nuit, elle se tenait dissimulée dans les plis des grands rideaux de velours afin de contempler le parc sans être vue.
C’était, en vérité, une très jeune fille. Elle avait seize ans et des yeux bleus inquiets encore, tout pleins de candeur, d’admiration aussi car, en dépit de la pluie, elle aimait déjà ce parc si magnifiquement fleuri. Elle aimait aussi ce palais, mais il avait tant de dorures, tant de meubles imposants, tant de lourdes tentures que la jeune fille n’était pas tout à fuit certaine de ne pas regretter déjà son cher palais de Laeken et l’atmosphère familiale qui y était de mise. Pourtant, ce palais, sa mère y avait vécu enfant, jeune fille, avant de devenir reine des Belges, car cette jeune fille s’appelait Stéphanie et elle allait, ce même jour, épouser l’héritier d’Autriche, l’archiduc Rodolphe, l’un des princes les plus séduisants d’Europe.
Jusque-là, le mariage lui était apparu comme une belle aventure. Une aventure qui avait commencé un an plus tôt par l’irruption d’une gouvernante dans la salle de classe de Laeken où Stéphanie faisait ses devoirs.
On l’avait emmenée sans une explication, remise aux femmes de chambre qui l’avaient dépouillée, en quelques secondes, de ses vêtements de petite fille pour la revêtir d’une robe comme on ne lui en avait encore jamais donné. On l’avait coiffée en jeune fille et, pour la première fois aussi, on lui avait donné des bijoux. Puis, ainsi parée, on l’avait conduite dans le salon, où ses parents l’attendaient auprès d’un grand jeune homme blond aux traits fins et aux yeux attirants, qui portait une jolie moustache et un uniforme blanc de colonel autrichien.
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