Et les choses commencèrent d’aller mal.
Plein de bonne volonté, Maximilien souhaitait sincèrement s’attacher à son peuple et s’efforçait de vivre à sa manière. Il était fasciné surtout par les Indiens, ces êtres doux, silencieux, dont il s’efforçait en vain de saisir l’âme. Et, pour les séduire, il instaura une nouvelle politique qui eut le don de lui aliéner aussitôt la plus grande partie de ses partisans.
En effet, au lieu de s’appuyer sur le parti conservateur qui l’avait choisi et sur l’Église qui l’avait béni, Maximilien se tourna vers les libéraux et refusa de rendre à l’Église et sa prépondérance passée et ses biens confisqués par les hommes de Juarez. C’était une lourde faute car, très pieux pour la plupart, les Mexicains ne comprirent rien à cette attitude.
Autre faute : Charlotte se fit un ennemi de Bazaine, devenu maréchal de France tout dernièrement et qui était le seul avec ses troupes, à représenter une barrière solide contre les soldats du rebelle.
Elle ne pouvait souffrir cet homme, de modeste naissance et dont l’orgueil lui était odieux. Entre eux, les querelles étaient fréquentes.
— Pourquoi ne pas le renvoyer en France et demander à Napoléon un autre général ? s’écria un jour Charlotte exaspérée. Je ne peux plus le souffrir…
Maximilien quitta son bureau et vint entourer de ses bras les épaules de sa femme. Elle était plus jolie que jamais ces derniers temps. Le climat lui convenait. Mais pourquoi était-elle toujours si nerveuse ? Sans doute, cette maternité qui ne venait pas et semblait lui être à jamais interdite agissait-elle sur les nerfs fragiles de Carlotta.
— Je ne peux faire cela, mon cœur. Bazaine, même s’il est déplaisant, n’en est pas moins fort populaire, surtout depuis son mariage avec une fille du pays. De plus, ses soldats l’adorent et nous ne pouvons nous permettre de nous passer du corps expéditionnaire.
— Pourquoi ne pas faire ce qu’il te conseille, et former une armée locale ?
— Je le voudrais bien, mais je ne le peux pas. Les hommes d’ici montrent une certaine répugnance, dont je ne doute pas de venir à bout avec le temps. Mais pour le moment, il faut garder Bazaine, sinon il pourrait nous arriver malheur.
Passionnément, Charlotte se pendit au cou de son mari.
— Tant que nous serons unis, Maxl, rien ne pourra nous arriver. Notre amour nous protégera contre le mauvais sort, j’en suis certaine.
Cette belle confiance fit sourire l’empereur, mais sa tranquillité d’esprit était trop entamée pour jamais être rétablie. Il y avait l’argent qui commençait à manquer… et cela, il évitait d’en parler.
La situation, en effet, se désagrégeait rapidement. Non seulement, Maximilien était bien incapable de rembourser les dettes du Mexique, mais il réclamait sans cesse de l’argent à Napoléon III. Celui-ci commençait à trouver que cette histoire lui coûtait très cher et tournait fort mal. Le parlement et le peuple français étaient de plus en plus hostiles à l’aventure : on parlait de millions dépensés par centaines, de vies humaines inutilement sacrifiées. En outre, les États-Unis, débarrassés de la guerre de Sécession par la victoire du Nord, commençaient à s’intéresser au Mexique et, fort mécontents, de l’implantation française, se mettaient à aider Juarez en sous-main, cependant qu’une imposante offensive diplomatique était déclenchée vers Napoléon lit.
Celui-ci dont s’envenimaient les relations avec la Prusse, envisageait déjà le rappel de ses troupes, dont il pourrait bien avoir besoin avant longtemps.
Excédé de tant de tracas, Maximilien s’en alla passer quelque temps dans sa résidence d’été de Cuernavaca, à 85 kilomètres de Mexico, un petit paradis au bord d’un étang où poussaient à foison les bougainvillées rouges, les jacarandas mauves et les tama-rindos rose orangé. Le malheur voulut qu’il s’y éprit d’une belle Indienne, la femme de son chef-jardinier… que celle-ci fut peu farouche… et que Carlotta fut très vite au courant…
— Voilà donc pour qui tu as trahi la foi que tu m’avais jurée ? s’écria Charlotte. Une Indienne, une misérable Indienne… Tu ne nieras pas, j’ai là une lettre de toi. Des mots d’amour… des mots d’amour comme tu ne m’en as jamais écrit.
Il était impossible de nier et Maximilien ne parvenait pas à comprendre comment son billet doux était tombé entre les mains de sa femme. Il voulut tenter de la calmer : cette voix aiguë qu’elle avait depuis quelque temps lui crispait les nerfs.
— Chérie, fit-il doucement, nous ne nous sommes jamais quittés, je n’avais pas à t’écrire. Tu ne devrais pas te formaliser d’une fantaisie… une folie qui ne compte pas et que je regrette déjà.
Mais Charlotte ne voulut rien entendre.
— Si tu m’aimais comme je t’aime, tu n’aurais jamais regardé une autre femme. Mais tu as regardé celle-là. Notre amour est mort, Maximilien, mort à jamais… et maintenant, le mauvais sort pourra s’abattre sur nous.
Tout en parlant, elle avait fait avec agitation plusieurs tours dans la pièce puis, virant sur elle-même, se dirigeait vers la porte.
— Où vas-tu ? cria l’empereur.
Sur le seuil, elle se détourna, considéra son mari avec une grande dignité :
— Je retourne à Mexico et je te laisse à tes fleurs… à ton Indienne. Ne faut-il pas qu’au moins l’un de nous règne, si l’autre n’en est pas capable ?
Ces derniers mots blessèrent au vif Maximilien dans son orgueil d’homme. Furieux, il laissa Charlotte regagner sans lui la capitale et demeura encore prisonnier des jardins de Cuernavaca et des yeux de gazelle d’une jolie fille.
Entre les deux époux, la situation fut désormais tendue. Charlotte, déçue à la fois dans son amour et dans ses espoirs de maternité, s’aigrissait de plus en plus, se renfermait en elle-même.
Parce qu’à ce couple impérial, il fallait un héritier, ils avaient adopté, quand il fut admis que l’impératrice ne pourrait jamais concevoir, un petit garçon d’une très noble famille mexicaine, les Iturbide. Mais en regardant le petit Augustin jouer dans les jardins de Chapultepec, Charlotte sentait bien qu’il serait impuissant à remplir le vide affreux de son cœur. Un vide né du désespoir et qui l’envahissait peu à peu. De longues nuits se passaient sans sommeil, à demeurer immobile, les yeux grands ouverts sur la claire et somptueuse nuit mexicaine où passait si souvent le son lointain d’une guitare.
Mais au fond de sa douleur même, Charlotte trouvait du courage. Elle avait véritablement l’âme d’une princesse et s’était juré d’aider son mari tant qu’il lui resterait un peu de force. Libre à lui d’être infidèle. Elle, Charlotte, demeurerait inébranlablement fidèle au serment prononcé sous les voûtes de Sainte-Gudule et à son devoir d’impératrice.
Et comme Napoléon III rappelait ses troupes, qu’il refusait d’envoyer le moindre argent et que les relations avec Bazaine étaient désormais si tendues que le maréchal ne venait même plus au palais et s’occupait de faire embarquer ses hommes, Charlotte prit une héroïque décision. Laissant Maxl à ses amours et à ses fleurs, elle s’en irait en Europe, elle irait trouver Napoléon, François-Joseph et le Pape même, qui refusait toujours de signer un concordat avec le Mexique à cause des idées de Maximilien. Elle ramènerait de l’or, des hommes, le concordat. Elle sauverait le Mexique et le seul homme qu’elle eût jamais aimé. Après quoi, elle pourrait mourir si Dieu le voulait. Elle serait sans regrets.
Le 9 juillet 1866, Charlotte quittait Mexico, escortée de Maximilien, qui l’accompagna jusqu’à Ayoda, un village situé à deux kilomètres de la capitale. Là, les adieux furent pénibles. Les dernières rancœurs amassées après l’incident de Cuernavaca s’évanouirent pour ne laisser place qu’au chagrin de se quitter pour la première fois depuis dix ans. Charlotte pleura dans les bras de son mari, mais s’en arracha courageusement et monta en voiture avec la seule dame d’honneur qu’elle emmenait, la marquise Del Barrio (depuis longtemps, les dames autrichiennes avaient regagné l’Europe). Et tandis que la voiture s’éloignait sur la pénible route de Veracruz, Maximilien rentrait à Chapultepec et se mettait à écrire à sa mère, l’archiduchesse Sophie.
« Les mots ne peuvent exprimer ce qu’il m’en coûte de me séparer d’elle, mais il faut faire de grands sacrifices pour obtenir de grands résultats. Je prie Dieu de veiller sur elle et de nous réunir un jour… »
Le 10 août, après un voyage particulièrement pénible, au cours duquel la pauvre impératrice, déjà épuisée par la route mexicaine, avait été cruellement victime du mal de mer, elle arriva à Paris dans un assez triste état. De plus, aigrie jusqu’à l’âme, elle n’était guère en mesure de se montrer bonne diplomate. De fâcheuses circonstances firent le reste.
Le malheur voulut que la délégation chargée d’accueillir l’impératrice se trompât de gare, allât l’attendre à la gare d’Orléans (Austerlitz), alors qu’elle arrivait à Montparnasse. Elle en fut ulcérée, dut prendre des fiacres avec sa suite… et trouva visage de bois aux Tuileries. Le palais était fermé, l’empereur Napoléon III ayant interrompu sa cure à Vichy pour revenir à Saint-Cloud et faire face aux événements. Elle alla se loger au Grand Hôtel et, s’irritant, réclama orgueilleusement une entrevue avec Napoléon III.
Celui-ci étant souffrant, l’impératrice Eugénie se déplaça et vint visiter Charlotte à son hôtel pour tenter d’éviter à son époux une conversation nécessairement pénible. Mais l’impératrice du Mexique ne voulait rien entendre. Elle déclara que si l’on n’acceptait pas de bon gré de la recevoir, elle « ferait irruption ». Vaincue, Eugénie consentit à sa venue à Saint-Cloud.
L’entrevue fut pénible, mais Napoléon III resta ferme. Il ne pouvait faire autrement : il était pris entre le mécontentement des Français, les menaces des États-Unis et ses propres difficultés diplomatiques avec la Prusse. Il n’était plus possible pour lui de distraire ni un écu ni un homme en faveur du Mexique, quelque regret qu’il en eût. Il dut répéter ces mots cruels en rendant sa visite à Charlotte au Grand Hôtel.
"Tragédies impériales" отзывы
Отзывы читателей о книге "Tragédies impériales". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Tragédies impériales" друзьям в соцсетях.