27 juillet 1857


Dans sa chambre du palais royal, Charlotte se contemplait dans son miroir. En cette mariée resplendissante sous les diamants de sa couronne et sous le voile de précieuses dentelles qui avait été celui de sa mère, la blonde Louise d’Orléans, la jeune fille ne retrouvait plus l’enfant désolée du printemps de l’an passé. Cette fois, elle était heureuse, elle voyait un avenir merveilleux, fait d’amour et de joie, s’ouvrir devant elle.

Au-dehors, dans le chaud soleil d’été, les cloches sonnaient à toute volée. Le grand carrosse doré attendait la future épousée pour la conduire sous les voûtes solennelles de Sainte-Gudule, pour la mener vers celui qui l’y attendait et dont l’amour chaque jour se montrait davantage. Au-dehors, tout un peuple en fête clamait déjà sa joie et son impatience…

— Je serai heureuse, se promit Charlotte à mi-voix. Je serai heureuse et il le sera aussi. Parce que je le veux.

En cadeau de noces, François-Joseph avait confié à son frère la vice-royauté de Vénétie et de Lombardie. À peine la cérémonie terminée, le jeune couple prit le chemin classique des voyages de noces : l’Italie. Ce fut dans le plus beau palais de Milan que le jeune couple s’installa pour une longue, une merveilleuse lune de miel, qui vit éclore chez Maximilien un profond amour pour sa jeune femme. Un amour tel qu’il força même la sympathie des Italiens, hostiles à l’occupant étranger. Charlotte italianisa son prénom, devint Carlotta et apprit des romances italiennes. Elle apprit aussi la joie d’être presque reine et de faire les honneurs d’un grand palais. Elle avait des dames d’honneur, toute une cour, elle avait Maxl. Rien ne manquait à son bonheur, sinon peut-être un petit enfant, qui se faisait désirer.

Le temps passa sur ce couple heureux que l’Histoire eût dû oublier. Mais l’Histoire oublie rarement ceux que le destin a marqués. Bientôt, l’horizon s’obscurcit ; aidés par Napoléon III, les Italiens secouaient le joug autrichien. Au lendemain de Solferino, Charlotte et Maximilien durent s’enfuir et aller se réfugier au château de Miramar, somptueuse demeure que Maximilien avait fait bâtir près de Trieste, alors en terre autrichienne, et qui dominait les flots bleus de l’Adriatique.

Dès lors, inactifs, réduits aux seules occupations d’un seigneur sur sa terre et d’une femme d’intérieur, Maximilien et Charlotte ne tardèrent pas à connaître l’ennui. N’étaient-ils donc faits que pour couler ainsi une vie sans gloire, sans relief, terne et plate, à l’écart des remous du monde et du fracas des grandes affaires ? Ils avaient goûté au pouvoir, étaient nés tous deux aux marches d’un trône… Ils ne pouvaient plus se satisfaire de ce qui eût été pour beaucoup le comble du bonheur : vivre à deux au soleil d’Italie dans un décor de rêve. Le temps passa encore, mais de plus en plus lourd. Maximilien jouait de l’orgue et cultivait les fleurs, Charlotte brodait et jouait de la harpe. Aucun enfant ne s’annonçait…

Les deux époux, isolés dans leur prison dorée, se demandaient ce qu’il allait advenir d’eux quand, un matin de printemps 1862, un homme élégant et prolixe se présenta à Miramar. Il venait de la part de l’empereur Napoléon III, se nommait Guttierez Estrada. C’était un Mexicain, et il avait d’étonnantes, de passionnantes choses à dire.

— Ah ! prince, ne daignerez-vous pas devenir le sauveur du Mexique ? Apportez-lui le secours de votre grande patrie dont mon pauvre pays ruiné faisait autrefois partie comme l’un des plus beaux joyaux de la couronne de Charles Quint.

Guttierez Estrada parlait bien. Le petit Mexicain laissait déborder cette flamme latine, cet enthousiasme réchauffé au soleil tropical et, assis dans leurs fauteuils, dans un salon de Miramar dont les fenêtres ouvraient sur les magnifiques jardins et sur l’étendue bleue de l’Adriatique, l’archiduc Maximilien et l’archiduchesse Charlotte l’écoutaient, stupéfaits et déjà ravis. Ce fut Charlotte qui traduisit leur sentiment à tous deux :

— Régner sur le Mexique ? Vous nous offrez de porter couronne dans votre pays ? Quelle chose incroyable.

— Je vous offre, reprit Estrada, de relever le puissant empire aztèque d’autrefois, de monter au trône de Montezuma. Le Mexique a besoin d’ordre. Seul un empereur de grande race, aux origines incontestables tranchant sur tant d’agitateurs brouillons sortis de rien, dépositaire de la religion du Christ que chassent les révolutionnaires anarchistes, peut réaliser ce miracle. Le Mexique, Madame, est le plus beau pays du monde.

Le Mexicain était lancé et Charlotte, captivée, l’écoutait, voyant déjà s’étendre devant elle un merveilleux panorama aux vives couleurs. En outre, son orgueil, fait de l’ambition des Cobourg et de la fierté des Bourbons, lui montrait dans une gloire dorée ce signe fascinant de la toute-puissance : une couronne d’impératrice.

En Maximilien aussi, avide de mener enfin une vie digne de lui, et de ses aspirations, l’espérance et la joie palpitaient mais, plus calme, il n’en montrait rien.

— La proposition, fit-il gravement, ne manque pas d’un certain attrait, mais il me faut des garanties, et aussi une pièce exprimant les desiderata d’une majorité représentative de la nation mexicaine, car jamais un Habsbourg n’a usurpé un trône.

Guttierez Estrada ne cacha pas sa satisfaction. Il nota bien vite les paroles de l’archiduc dans son petit carnet, puis déclara :

— Ces conditions ne soulèveront aucune difficulté, Monseigneur, et je pense revenir bientôt vous apporter ce que vous demandez si légitimement.

Comment en était-on arrivé là ? Par quel chemin un Mexicain était-il venu trouver à Trieste un archiduc autrichien pour lui offrir la couronne de son pays ? C’était en fait une histoire compliquée et un peu folle.

Libéré depuis cinquante ans de la tutelle espagnole, le Mexique éprouvait les plus grandes difficultés à se gouverner : deux partis, représentés par deux hommes, se disputaient le pouvoir : le parti conservateur, qui avait son siège à Mexico et dont la tête était Miramon, et le parti libéral de Veracruz, que menait l’Indien Benito Juarez. On s’entretuait quasi quotidiennement et les pronunciamentos succédaient aux pronunciamentos (deux cent quarante en trente-cinq ans). Mais s’il était libéré de l’Espagne, le Mexique devait à l’Europe des sommes énormes que son anarchie ne lui permettait guère de payer et, parmi ses créanciers, le banquier suisse Jecker se montrait le plus intraitable.

Pour tenter de sauver d’insauvables créances, la France, l’Espagne et l’Angleterre étaient intervenues militairement. Mais Napoléon III, et surtout l’impératrice Eugénie, entrevoyant au Mexique un moyen de battre en brèche l’influence américaine et, peut-être, d’assurer à la France une intéressante zone d’influence, poussés d’ailleurs par les nombreux réfugiés mexicains qu’avait chassés Juarez, envoyèrent un corps expéditionnaire de 20 000 hommes, tandis que l’Espagne et l’Angleterre se retiraient. Les Français prirent Mexico, en accord d’ailleurs avec le président Miramon, et proclamèrent l’Empire, aux acclamations du parti conservateur et au grand soulagement des prêtres dont Juarez avait fermé les couvents et saisi les biens. L’archevêque de Mexico n’était-il pas venu à Saint-Cloud implorer l’empereur des Français de rendre le Christ au Mexique ? Prière que l’Espagnole et pieuse Eugénie n’avait pu entendre sans y mêler la sienne.

L’Empire proclamé, restait à trouver un empereur. C’est alors que l’on avait songé à Maximilien, qui n’avait rien à faire et que Napoléon III connaissait et appréciait. Ce couple impérial, beau et séduisant, soulèverait l’enthousiasme.

Au cours de longs mois, tandis que Charlotte trépignait d’impatience, des courriers s’établirent entre Miramar et Paris. Avec aussi Vienne et Bruxelles. Finalement, Maximilien s’engagea à payer les dettes du Mexique en quelques années, tandis que Napoléon III s’engageait à établir l’empereur sur son trône grâce aux 20 000 hommes qu’il avait là-bas, et à laisser la Légion étrangère six années durant pour affermir le trône. De son côté, François-Joseph leva par volontariat un régiment hongrois, et à Bruxelles, Léopold Ier en faisait autant. Napoléon III, en outre, fournirait encore de l’argent.

Enfin, les tractations prirent fin et le 10 avril 1864, dans la grande salle du trône de Miramar, Maximilien et Charlotte furent proclamés empereur et impératrice du Mexique. L’émotion fut si forte pour le nouvel empereur que le soir même, pris de fièvre, il dut se coucher.






Visites d’adieu

Le samedi 5 mars 1864, la foule se massait aux environs de la gare du Nord autour d’une file de voitures qu’environnait un escadron de dragons de l’impératrice et que surveillait un épais bataillon de policiers, en civil aussi bien qu’en uniforme. Il était un peu moins de seize heures et l’on attendait le train de Bruxelles, qui amenait pour une visite protocolaire le futur couple impérial mexicain : l’archiduc Maximilien et l’archiduchesse Charlotte.

Les travaux de construction de la gare n’étaient pas encore tout à fait terminés mais, sur le quai recouvert d’un long tapis rouge, un officier en grand uniforme, une dame en crinoline attendaient le train princier. L’officier était l’amiral Jurien de la Gravière, aide de camp de l’empereur Napoléon III, et la dame, la comtesse de la Pœze, dame du Palais. Tous deux constituaient le comité de réception chargé d’accueillir les hôtes illustres et de les conduire aux Tuileries. Le choix de ces deux personnes n’était pas dû au hasard. L’amiral de la Gravière avait commandé trois ans plus tôt les forces françaises envoyées au Mexique. Quant à Madame de la Pœze, fille du marquis de la Rochelambert, elle appartenait à l’une des vieilles familles de l’Ancien Régime et ne pouvait qu’être agréable à une archiduchesse d’Autriche, fille du roi des Belges Léopold Ier, et petite-fille de Louis-Philippe Ier, roi des Français. C’était une jeune femme très mince, très petite, et d’allure si aérienne que les bonnes langues de la cour impériale l’avaient surnommée « le Rideau flottant ».