Et dès le lendemain, Maximilien fit part au roi Léopold de son intention de poursuivre son voyage.
— Je dois encore visiter nos cousins de Hollande et du Hanovre, dit-il, assez gêné sous le regard sévère du roi. Ils m’attendent et je ne peux les décevoir.
Léopold Ier hocha la tête et s’obligea à garder le maintien impassible qui lui était habituel. Mais intérieurement, il avait bonne envie de corriger cet étourdi qui lui avait fait faire de grosses dépenses et qui n’avait même pas paru s’apercevoir de la présence de Charlotte. Pourtant, à Vienne, l’archiduchesse Sophie lui avait laissé entendre qu’elle avait sur la jeune fille des vues assez précises. Et ce benêt s’en allait…
Tremblant de rage contenue, le roi répondit :
— Soit. Voyez la Hollande et le Hanovre ! Un sage Habsbourg doit tout voir…
Cela laissait encore une porte de sortie, une perche tendue au jeune archiduc. Il pouvait encore dire que, sitôt ces visites protocolaires terminées, reviendra. Mais non… Maximilien ne dit rien. Il prit gravement congé du père et de la fille, ainsi que de toute la famille, puis monta en voiture et s’éloigna sans se retourner.
C’en était trop pour Charlotte. Avec un gémissement de désespoir, la jeune fille s’abattit dans les bras de son père et se mit à sangloter éperdument.
— C’est fini mon père, c’est fini… Il s’en va. Je ne lui ai pas plu… Et moi, je l’aime, oh, vous ne savez pas que je l’aime !
Doucement, le roi caressa les doux cheveux, jetant par-dessus la tête brune un regard de rancune vers la calèche franchissait là-bas les grilles de Laeken.
— Il faut être raisonnable, Charlotte. Moi aussi, j’avais espéré… Mais tous ces Habsbourg sont instables, changeants. On ne peut savoir ce qu’ils pensent vraiment.
— Oh moi je le sais, fit la jeune fille en pleurant de plus belle. Il ne m’aime pas. Et c’est cela qui est terrible.
Le roi n’ajouta rien. Il n’avait d’ailleurs rien à dire. Quels mots pouvaient être susceptibles de calmer un tel chagrin ?
Pendant ce temps, Maximilien poursuivait sa route vers le nord avec la sensation d’avoir échappé à un grand danger. Cette petite Charlotte avait réellement un charme profond et promettait d’être une fort jolie femme. Et que ce regard plein d’amour avait donc de grâce !… Mais épouser, quand on aime ailleurs, une femme aussi follement éprise, est-ce que ce ne servit pas se mettre au cou la pire des chaînes ? Non, il avait agi sagement. Mieux valait partir, sans laisser .
En Hollande Maximilien fit un séjour de tout repos. Pas la moindre princesse à marier. Pas même d’enfants. Une bien agréable détente, qu’il fallut cependant interrompre pour gagner le Hanovre. Là, les princesses ne manquaient pas, et notre voyageur se promit de bien mesurer ses paroles, ses sourires, et même ses regards, afin de ne pas faire naître de fâcheux espoirs dans d’autres cœurs féminins. Décidément, il se sentait de moins en moins fait pour le mariage.
À Berlin cependant, il allait se passer quelque chose…
Au palais royal, le bal battait son plein. Sur le parquet luisant de l’immense salle, les couples tournoyaient au rythme de la valse, entraînant dans leurs tourbillons les uniformes chamarrés des hommes et les immenses crinolines, couvertes de dentelles, des femmes.
Debout sous le dais, auprès de son hôte, Maximilien regardait d’un œil distrait et ne parvenait pas à décider avec quelle princesse il allait se lancer dans la foule.
Auprès de lui, sous le dais, le roi Frédéric-Guillaume IV sommeillait. La dégénérescence mentale qui allait bientôt l’écarter complètement du gouvernement commençait à être fort visible. Pour le moment, le monarque dormait avec application, totalement sourd aux flonflons de l’orchestre.
Soudain, Maximilien tressaillit. Dans la foule il venait d’entrevoir, émergeant d’une robe de dentelles noires, de blanches épaules, un ravissant visage et des cheveux dorés sous un diadème de diamants. Son cœur se mit à battre plus vite. Cette femme… mais c’était celle qu’il regrettait tant, c’était Paula, Paula son unique amour.
Il descendit les marches en courant, s’arrêta à la lisière de la piste de danse. L’exquise apparition s’était évanouie dans le flot des danseurs, emportée aux bras d’un homme grand et mince, vêtu d’un frac constellé d’ordres et de rubans.
Un bref instant, il la revit, posa une main nerveuse sur le bras de son voisin, un diplomate, dont il ne regarda même pas le visage :
— Cette jeune femme, en robe noire, n’est-ce pas la comtesse Linden ? Tenez, voyez, là… près des glaces, avec ce diadème de diamants.
L’interpellé parut un peu surpris. La pâleur du prince était extrême :
— La comtesse Linden ? Je ne crois pas, Altesse… La dame dont vous parlez est la baronne von Bulow. Elle est d’ailleurs avec son mari.
— La baronne von Bulow ? Vous êtes certain ?
— Tout à fait, Altesse. Ils sont mariés depuis peu. Mais j’y pense… je crois bien me souvenir en effet que le nom de jeune fille de la baronne était von Linden. Son père était un collègue du mien et nous servions ensemble…
Il pouvait continuer ainsi durant des heures, Maximilien ne l’écoutait plus. Les yeux agrandis, tout près des larmes, il regardait la gracieuse silhouette de la jeune femme que, maintenant, il voyait parfaitement. Soudain, par-dessus l’épaule du mari, il rencontra son regard, vit ce regard s’agrandir tandis que la bouche fraîche se contractait. Paula fit un geste, comme pour tendre une main vers lui mais elle se reprit, baissa les yeux qu’une lourde tristesse envahissait. Le mouvement de la valse l’engloutit à nouveau dans la masse des danseurs.
Alors, lentement, Maximilien revint vers le trône, remonta les marches. Le roi dormait toujours, mais le maître des cérémonies se pencha respectueusement vers le prince :
— Avec laquelle des jeunes princesses votre Altesse impériale souhaite-t-elle danser ?
Maximilien hocha la tête.
— Ce jour, dit-il, est l’anniversaire d’une perte particulièrement douloureuse, je ne saurais danser. Excusez-moi !…
Il s’éloigna peu après, laissant le malheureux maître des cérémonies se creuser désespérément la tête pour découvrir ce que pouvait être cet anniversaire si pénible pour les Habsbourg.
Le lendemain même, Maxl quittait Berlin et, désormais incapable de poursuivre ce voyage dont il était las, il reprit aussitôt le chemin de Vienne. Il y arriva un soir, sous une pluie battante, et quand la voiture qui le ramenait au vieux palais impérial passa devant certaine fleuriste du Ring, l’archiduc tourna la tête et ferma les yeux. Une larme se perdit dans la soyeuse barbe blonde qu’avait si fort admirée Charlotte. Une larme que l’obscurité cacha pudiquement.
Ce retour ne fut pas, tant s’en faut, salué par des cris d’allégresse de la part de sa mère :
— Je ne sais plus que faire de lui, dit-elle un soir alors que la famille était réunie. Il est revenu de ce voyage plus triste et plus sombre que je ne l’ai jamais vu. Il demeure des journées entières enfermé dans son appartement, sans en sortir, sans voir personne.
L’empereur ne répondit pas. Debout auprès d’une fenêtre, dans la petite tenue d’officier général qu’il affectionnait, il tambourinait contre une vitre en regardant, au-dehors, la pluie noyer la cour. Ce fut l’impératrice qui répondit à sa belle-mère :
— Il a revu la comtesse von Linden à Berlin, dit-elle doucement. Cela lui a fait beaucoup de mal.
L’archiduchesse s’assit d’un coup et fixa sa belle-fille d’un air horrifié :
— Grand Dieu, Sissi, que dis-tu là ? Il l’a revue… mais c’est abominable.
Sissi haussa les épaules.
— Oh ! non… même pas. Elle est mariée et vous n’avez plus rien à craindre. Mais Maxl a très mal. Je crois qu’il faut le laisser tranquille pour le moment. Sa peine s’endormira d’elle-même.
François-Joseph se détourna, vint lentement se placer entre sa mère et sa femme :
— Sissi a raison, mère. Laissons-le se remettre et voyons comment les choses tourneront.
— Le laisser tranquille, le laisser tranquille… comme tu y vas. Le temps passe, Franz… et ton frère ne rajeunit pas.
— Vingt-quatre ans, mère, ce n’est pas un bien grand âge. Laissons-lui six mois ou un an de réflexion.
— C’est bon, soupira Sophie, comme tu voudras. Après tout, je suis lasse de me donner tant de mal pour lui. Laissons-le donc à ses rêves. Mais les miens sont en fort mauvais état.
Enfermé chez lui, Maximilien ruminait sa peine et sa déconvenue. Il lui avait toujours semblé que celle qu’il aimait tant devait, réfugiée en quelque endroit mystérieux d’Europe, couler ses jours à l’attendre comme il le faisait lui-même. Les liens tissés entre eux ne devraient-ils pas être plus forts que tout ? Et voilà qu’il la découvrait infidèle, mariée à un autre, perdue à tout jamais pour lui…
Peu à peu, l’image blonde s’estompa. Une autre prit sa place : celle d’une jeune fille brune en robe de dentelles blanches, une jeune fille aux yeux étranges, d’un vert extraordinaire, moirés de noir et d’or… et dans ces yeux, il y avait des larmes. Celle-là l’aimait. Celle-là, malgré son chagrin, avait su garder sa dignité de princesse. Celle-là méritait le bonheur…
On ne peut tourner toute sa vie en rond autour d’un appartement, fût-il princier. Quand vint Noël, Maximilien s’en alla trouver sa mère et lui demanda la permission d’épouser la princesse Charlotte de Belgique.
Sophie faillit s’évanouir de joie et de saisissement. Mais c’était une femme de tête qui ne la perdait pas facilement. Elle savait, d’autre part, qu’il faut battre le fer quand il est chaud.
Le lendemain de cette annonce tant désirée, un messager extraordinaire quittait Vienne pour Bruxelles. Le comte Arquinto portait une lettre impériale qui demandait la main de la princesse Charlotte pour l’archiduc Maximilien.
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