Car, entre-temps, François-Joseph s’était marié, et pas du tout suivant le choix de sa mère.

De retour à Vienne, Maxl trouva que la vie de famille manquait de plus en plus de charme. L’empereur croulait sous le travail et les soucis de l’Empire, l’archiduchesse Sophie passait son temps à tenter d’éduquer Sissi selon ses idées et martyrisait la jeune femme, les autres frères se faisaient tout petits. De plus, l’ambassadeur von Linden avait quitté Vienne pour Berlin avec toute sa famille. Plus rien n’avait d’intérêt.

Pour comble de bonheur, l’archiduchesse Sophie annonça un matin à son fils, et cela de ce ton sans réplique qui lui était cher, qu’il était désormais fiancé à la princesse Catherine de Bragance et qu’il avait tout intérêt à essayer de s’habituer à cette idée.

Cette fois, Maxl s’insurgea.

— Je ne l’aime pas, je ne la connais même pas. Je n’en veux pas…

— Tu n’as pas à vouloir ou à ne pas vouloir. La demande est faite et nous n’allons pas risquer une guerre avec le Portugal pour des raisons aussi stupides que les tiennes.

Furieux, navré car il ne pouvait oublier son grand amour, Maxl s’en alla conter ses malheurs à Sissi. Une profonde amitié l’unissait à sa petite belle-sœur. Tous deux avaient la même passion du cheval et faisaient ensemble de longs temps de galop qui entretenaient la colère latente au cœur de Sophie : Sissi attendait un enfant et se conduisait comme une folle.

— Tant que tu n’es pas marié, lui dit Sissi en manière de consolation, il ne faut pas désespérer. On ne sait jamais ce qui peut se passer.

La jeune impératrice ne croyait pas si bien dire. Comme l’on menait grand train les préparatifs du mariage, une nouvelle inattendue arriva à la Hofburg : la princesse de Bragance était morte subitement et l’on dut remiser les vêtements de fête pour prendre ceux de deuil. Maxl, bien entendu, prit la mine que la circonstance imposait mais poussa intérieurement un profond soupir de soulagement. On allait le laisser tranquille. Et il reprit de plus belle ses chevauchées avec Sissi.

Trouvant alors qu’il commençait à sentir un peu trop l’écurie, l’archiduchesse convoqua Bombelles une fois de plus. Avait-il une idée ?

Des idées, quand il s’agissait de protocole, Bombelles en avait toujours. Pourquoi ne pas renvoyer Maxl par les chemins ? Mais, cette fois, il pourrait parcourir les cours d’Europe afin de se former un jugement sur les différentes formes de gouvernement… et de jeter un coup d’oeil en passant sur les princesses à marier.

Une fois de plus, l’archiduchesse exulta, déclara que sans Bombelles elle ne savait vraiment pas comment elle se tirerait de ses soucis. Bombelles remercia, salua, puis rentra chez lui et se coucha. Il ne tarda pas à mourir, épuisé sans doute par tant d’idées brillantes. Et Maxl, une fois de plus, fit ses bagages.


Désireux d’éviter le danger le plus possible, ou tout au moins de le reculer, l’archiduc commença son voyage par l’Espagne. Là, pas de princesses à marier, rien à craindre. La reine Isabelle II attendait son premier enfant et l’accueillit cordialement. Il visita l’Escurial, Séville et Grenade, vit des courses de taureaux et se déclara enchanté. Puis il passa en France, où il arriva le 17 mai 1856.

Cette visite-là ne présentait pas plus de dangers que la première. Il y avait à peine trois ans que Napoléon III avait épousé la belle comtesse de Teba, Eugénie de Montijo, et le prince autrichien put se mêler sans contrainte à l’agréable vie parisienne sans craindre de voir l’ombre redoutable d’une princesse se profiler à l’horizon.

En Angleterre, pas davantage de pièges à redouter. La reine Victoria, mariée depuis seize ans au prince Albert de Saxe-Cobourg, avait bien des filles, mais l’aînée était déjà promise et les autres beaucoup trop jeunes. En outre, l’archiduc ne pouvait épouser qu’une princesse catholique. Maximilien alla aux courses, visita des écoles militaires, joua au cricket et au volant sur les pelouses de Windsor décrivant, ainsi qu’il en avait pris l’habitude depuis le début de ses voyages, toutes ses impressions dans les nombreuses lettres qu’il adressait à sa famille.

Mais il n’est si bonne compagnie qui ne se quitte et, délaissant l’Angleterre, l’archiduc traversa la mer et passa en Belgique…

Depuis la révolution de 1830, qui avait séparé les Pays-Bas catholiques des Pays-Bas protestants, créant la Belgique, distincte de la Hollande, le nouveau pays avait un roi à lui. Il s’agissait du roi Léopold Ier, de la maison de Saxe-Cobourg à laquelle appartenait aussi le prince Albert, mari de Victoria. C’était un homme austère, intègre et industrieux, qui menait son pays de main de maître. Veuf une première fois d’une princesse anglaise, il avait ensuite épousé la princesse Louise d’Orléans, fille aînée du roi Louis-Philippe et avait eu la douleur de la perdre en 1850. Mais il avait des enfants, et surtout une fille de seize ans, une brune et fort jolie princesse. Fort sentimentale aussi et que la visite de l’archiduc autrichien mit en émoi.

En mai 1856, Maximilien, ignorant que sa venue soulevait une tempête au fond d’un cœur de jeune fille, faisait son entrée à Bruxelles et intéressait si fort Charlotte qu’elle ne cessa plus guère d’en parler.

— Comme il est grand ! et comme il est beau !… Ces yeux bleus, si doux, cet air romantique… et quelle barbe ravissante !

Ce jour-là, Mademoiselle de Steenhault, sa suivante, leva les yeux de sa broderie et sourit gentiment à la jeune fille :

— Extraordinaire surtout, cette barbe. J’avoue que je n’en avais encore jamais vu de pareillement taillée. L’archiduc a une mode bien à lui.

De fait, Maximilien avait longuement cherché avant de se décider pour la coupe de barbe qui était la sienne. Pour être sûr de ne pas tomber dans le commun, il avait imaginé de tracer une raie sur son menton et de partager la barbe en deux touffes égales qui se retroussaient coquettement vers les joues. Et comme cette barbe était d’un joli blond doré, l’ensemble formait un chef-d’œuvre auquel n’avait pas résisté le cœur sensible de la petite princesse belge, surtout quand on considérait le magnifique uniforme de la marine impériale qui servait de cadre au personnage.

— Votre Altesse n’ignore pas le but réel du voyage du prince. L’archiduchesse sa mère souhaite vivement lui voir prendre femme au plus vite. Il fait le tour des princesses d’Europe… et jusqu’ici n’a rien trouvé.

Charlotte devint toute rose de confusion, ce qui la rendit encore plus jolie. C’était réellement une charmante jeune fille. Elle était brune avec d’étranges yeux noir et vert, pointillés d’or, un teint de camélia, des traits fins et doux et la taille la plus fine qui se pût voir. Sans regarder sa compagne, elle se mit à tortiller les franges de sa ceinture.

— Pensez-vous… ma bonne, que j’aie quelque chance de lui plaire ?

Pour le coup Mademoiselle de Steenhault se mit à rire de bon cœur :

— Qu’il vous regarde une fois, une seule, et je réponds que son cœur ne pourra demeurer insensible, mon ange, dit-elle tendrement. Je suis sûre que vous êtes l’une des plus jolies princesses d’Europe.

Charlotte hocha la tête en soupirant :

— On dit l’impératrice Élisabeth si belle qu’aucune autre femme ne peut lui être comparée.

— Sans doute, mais l’impératrice est l’impératrice, et je ne crois pas qu’elle soit encore à marier. Et vous pouvez soutenir bien des comparaisons.

Un peu rassérénée, Charlotte s’en alla choisir sa robe pour le bal du soir. Son père s’était montré extrêmement généreux et lui avait offert plusieurs toilettes en vue de la visite de l’archiduc. Charlotte avait une grave question à débattre : la préférerait-il en vert pâle ou en blanc ?

Malheureusement pour elle, Maximilien ne la regarda pas. Il était de plus en plus pris par son nouveau métier de touriste impérial et quand il regardait une femme, c’était pour aussitôt la comparer mentalement à l’exquise comtesse von Linden… et la malheureuse s’effaçait aussitôt.

Il n’en était pas moins enchanté de son séjour et envoyait chez lui force lettres dans lesquelles il s’étendait longuement sur les aspects du pays et de la cour.

« La culture des fleurs dans ce pays est la plus belle que j’aie jamais vue. La cour est bien organisée. Dans toutes les villes, de superbes voitures m’attendaient. Par contre, l’ameublement des palais n’est pas beau. La banlieue de Laeken se glorifie de posséder une belle résidence, mais le palais royal de Bruxelles n’a même pas un escalier en pierre. Tout ici me semble construit en bois… »

Autre sujet de lettre : sa cousine, l’archiduchesse Henriette, qui était maintenant duchesse de Brabant et avait renoncé, comme elle le faisait jeune fille à Vienne, à dételer les poneys des laitiers pour les enfourcher. Elle se consolait en engloutissant d’énormes quantités de nourriture qui lui faisaient une silhouette aussi large que haute.

Si Maximilien avait pensé divertir les siens avec ces menus potins et ses descriptions, il se trompait. L’archiduchesse Sophie jugea qu’il se moquait d’elle, trempa sa plume dans son encre la plus acide et troussa pour son fils une de ces lettres dont elle avait le secret.

« Après tout, écrivait l’archiduchesse, Henriette est casée et n’offre plus d’intérêt. Mais lui, Maximilien, s’était-il donné la peine de regarder la fille de Léopold ? Ou bien avait-il l’intention de devenir un mémorialiste de profession ? »

Ainsi malmené, l’archiduc ouvrit les yeux et regarda Charlotte. Il vit qu’elle était, en effet, charmante et aussi qu’elle le contemplait avec des yeux extasiés. L’amour se lisait ouvertement sur ce visage ingénu et tendre et, un court instant, le jeune homme se sentit ému. Mais la crainte de s’engager fut la plus forte. Il ne pouvait se résoudre à se lier, à tout jamais, à une autre qu’à Paula von Linden. Elle seule méritait le don de toute sa vie.