La pièce était sinistre. Située sous le sol du donjon, dont elle tenait toute la superficie, elle ouvrait par deux couloirs sur les prisons du château. Des prisons qui, jusqu'à présent, n'avaient servi à rien d'autre qu'à entreposer les saloirs et les futailles car, taillées dans le roc, elles constituaient d'excellents celliers.
Catherine ne les avait pas fait construire par plaisir ; mais aucun château digne de ce nom ne pouvait se dispenser de posséder des locaux de justice.
Au centre de la salle, sous la clef de voûte fleuronnée à laquelle pendait un anneau de fer, une large trappe était ouverte, dévoilant les premiers barreaux d'une échelle qui plongeait dans l'obscurité. Cette échelle menait à une autre salle, de même superficie que la première et qui était censée être une oubliette. Mais, en fait, elle servait de point de départ au fameux souterrain. Celui-ci, établi dans un antique boyau creusé par un ruisseau souterrain disparu, s'enfonçait loin sous le plateau. Encore était-il défendu par de puissantes grilles de fer que l'on ne pouvait forcer sans donner l'alarme aux soldats qui, de jour comme de nuit, veillaient dans la salle basse, au cas où l'ennemi aurait réussi à découvrir l'entrée secrète.
Cette nuit-là, cependant, la châtelaine et son page étaient seuls, au milieu d'un profond silence. Le crépitement des braises la troublait de temps en temps, et aussi la respiration de Bérenger qui, par instants, s'oppressait.
Il y avait près d'une heure maintenant que, guidés par Josse, qui s'était attribué le dangereux rôle du messager, quelques-uns des hommes de la ville s'étaient enfoncés dans les ténèbres souterraines.
Nicolas Barrai les menait et, pour la circonstance, on les avait armés autant qu'il était possible de le faire sans les rendre trop bruyants.
Outre Nicolas et deux de ses hommes, l'expédition se composait des deux fils Malvezin, Jacques et Martial, de Guillaume Bastide, le talmelier qui avait la force d'un taureau, et du gigantesque Antoine Couderc, le maréchal-ferrant. Tous avaient des haches et des dagues.
Seul l'Antoine ne portait que la lourde masse qui lui servait à battre le fer. ! affirmait-il. Et, croyez-moi, j'en découdrai bien quelques-uns. Ce sera déjà une consolation pour nos morts !
Car, cette fois, l'assaut, que Bérault d'Apchier avait lancé contre la ville dès le lever du jour avait été meurtrier. Rendus enragés par des jours et des jours d'inaction sous la pluie, les routiers s'étaient jetés aux échelles avec une fureur telle qu'on avait eu grand-peine à les contenir. Un moment même la barbacane de la porte d'Aurillac avait bien failli être emportée, mais le vieux Donat de Galauba, voyant le danger, s'était rué au secours de la défense avec une poignée de garçons de ferme dont, depuis le début du siège, il avait essayé de faire des soldats. Galvanisés par son exemple, les jeunes gars avaient accompli des prodiges, mais trois d'entre eux étaient tombés sur le chemin de ronde et Donat lui-même, la gorge traversée d'un carreau d'arbalète, avait terminé là, dans le feu de la bataille, une vie d'honneur et de fidélité tout entière consacrée aux armes de la maison de Montsalvy. A cette heure, il reposait dans sa vieille armure, couché au milieu de la grande salle du château sur la bannière de Montsalvy qu'il avait toujours si vaillamment défendue.
Catherine, elle-même, avait placé sa grande épée sous ses deux mains jointes et déposé à ses pieds, sur un coussin de velours, les gantelets et les éperons d'or.
Elle l'avait fait pieusement et avec une sorte de tendresse. Elle avait pleuré aussi sur ce vieux serviteur dont elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était mort pour elle. Mais sa colère et sa haine s'étaient accrues de ses larmes et de ses regrets. C'était avec une volonté plus farouche que jamais qu'elle avait donné le signal du départ de l'expédition.
— Il me faut des prisonniers, avait-elle répété à Nicolas. Au moins un, si c'est le bon !
Maintenant, elle attendait, luttant de son mieux pour dominer sa fièvre et sa faiblesse. Malgré les compresses de Sara, et le baume dont elle l'avait enduite, son épaule la brûlait et gênait les mouvements de son bras.
— Que c'est long ! Mon Dieu que c'est long ! mur- mura-t-elle entre ses dents. Pourvu que les choses n'aient pas mal tourné !
Le page, qui osait à peine respirer de crainte de troubler les pensées sombres de sa maîtresse, prit son courage à deux mains :
— Voulez-vous que j'aille voir, Dame Catherine ?
Je pourrais descendre à l'entrée du souterrain et écouter si je les entends venir ?
Elle s'efforça de lui sourire, sachant bien ce qu'avait pu coûter cette proposition à sa prudence naturelle.
— C'est inutile. Il fait trop noir dans ce trou et vous vous rompriez le cou sans profit pour personne.
— Je pourrais prendre l'une des deux torches qui nous éclairent...
— Non, Bérenger, restez tranquille. Votre place est près de moi.
D'ailleurs, il me semble que j'entends des pas...
— En effet... mais ils viennent de l'étage supérieur, pas du souterrain.
Un instant plus tard, en effet, l'abbé Bernard, flanqué des deux frères Cairou, apparaissait au bas de l'escalier du donjon. En apercevant Catherine repliée sur elle- même dans les fourrures d'où n'émergeait que son visage tiré, il hocha la tête avec une exclamation où entraient à la fois de la pitié et du mécontentement.
— Je pensais bien vous trouver ici. Vraiment, mon amie, vous n'êtes pas raisonnable ! Que ne laissez-vous Josse et Nicolas mener cette affaire ? Ils sont grandement capables de s'en tirer à votre entière satisfaction. N'avez-vous pas confiance en eux ?
— Vous savez bien que si ! Mais ceci est une opération de justice et la justice est mienne. Elle est mon devoir... et mon droit.
— Elle est aussi le mien. Laissez-moi vous remplacer, Catherine.
La fièvre vous brûle et vous ne vous soutenez qu'à peine. Rentrez chez vous et laissez-moi faire : je vous promets que vous serez contente.
Mais, par pitié pour vous-même, écoutez-moi : vous avez une mine épouvantable.
La jeune femme était si lasse qu'elle allait peut-être se laisser convaincre, mais à cet instant précis un énorme vacarme éclata sous ses pieds, tandis que la tête casquée de Nicolas jaillissait du sol.
Nous avons réussi, Dame Catherine ! Annonça- t-il, haletant encore de l'effort du combat. Nous le tenons !
Aussitôt, Catherine fut debout. Elle était devenue encore plus pâle peut-être, mais une flamme nouvelle brillait dans ses yeux.
— Gervais ? souffla-t-elle. Vous l'avez pris ?
— On vous l'amène...
En effet, le trou central vomit, à la manière d'un volcan, une lave bouillonnante de ferraille et d'hommes qui essayaient de sortir tous à la fois et qui parlaient tous en même temps. La salle basse, si muette l'instant précédent, s'emplit de bruit et de fureur...
Poussé par la poigne brutale du forgeron, un homme dont les mains étaient liées derrière son dos vint s'abattre aux pieds de la châtelaine.
Sous la trace de sang, issue d'une blessure à la tête, qui le maculait, son visage était couleur de cendres. Il ne restait rien de la vanité fanfaronne de Gervais Malfrat à cette minute où il se retrouvait, seul et désarmé, au milieu de ce cercle humain où il pouvait sentir la haine brûler comme l'air trop chaud d'une fournaise.
C'était normalement un garçon de belle taille. Ses cheveux étaient presque roux, sa peau blanche tavelée de son et ses yeux hésitaient entre le jaune foncé et le brun. Solidement bâti, il était fier de ses muscles dont il aimait à faire étalage aux yeux des filles dans les assemblées et les fêtes locales. Mais la terreur qui l'habitait le recroquevillait au point de le réduire de moitié. Et il restait là, le nez dans la poussière, semblable à quelque chapon troussé pour la broche sans oser seulement lever les yeux sur ces gens qui le cernaient, par crainte de ce qu'il pourrait lire dans leurs regards.
Quand on l'avait jeté sur le sol, la figure de Martin Cairou s'était illuminée d'une joie sauvage. Il avait fait un mouvement pour se jeter sur le prisonnier, mais l'abbé Bernard l'avait empoigné par le bras et fermement retenu.
— Non, Martin ! Reste tranquille ! Ce n'est pas à toi que cet homme appartient : c'est à nous tous.
— C'est à Bertille qu'il appartient. Vie pour vie, seigneur abbé !
— Allons ! Ne me fais pas regretter de t'avoir laissé venir.
— Ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée, fit Catherine songeuse.
Un instant, elle considéra attentivement l'homme qui haletait à ses pieds puis, se tournant vers Nicolas qui, rouge d'orgueil, attendait visiblement des compliments.
— Vous n'avez fait qu'un prisonnier, sergent ? Cet homme était seul ?
— Vous voulez rire, Dame Catherine ? Ils étaient huit !
— Où sont les autres, alors ?
— Morts ! Nous ne sommes pas assez bien pourvus en vivres pour nourrir des vautours captifs !
— Je ne crois pas que celui-là aura le temps de nous coûter très cher, fit la jeune femme.
Ces mots, et surtout ce qu'ils sous-entendaient, redoublèrent la terreur de Gervais. Il se risqua à lever sur la châtelaine un regard vacillant.
— Grâce ! bredouilla-t-il. Ne me tuez pas !
Livide, la bouche molle, des rigoles de sueur coulant sur ses joues mal rasées, il bavait, déjà aux prises avec une répugnante agonie.
Catherine eut un frisson de dégoût.
— Quelle raison puis-je avoir de t'épargner ? Je t'ai déjà fait grâce une fois et c'était une fois de trop puisque tu nous as ramené cette bande de loups affamés !
"Piège pour Catherine" отзывы
Отзывы читателей о книге "Piège pour Catherine". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Piège pour Catherine" друзьям в соцсетях.