— Non, Bérenger, tout va bien... ou presque bien. Mais vous, d'où venez-vous donc ?
— De chez moi où ma mère vous dit mille choses affectueuses et prie pour vous... et aussi de Carlat !
— De Carlat ? Mais ces hommes ? fit-elle en désignant les soldats qui, derrière les portes refermées, se regroupaient et mettaient lourdement pied à terre.
— En viennent aussi. C'est tout ce que messire Aymon du Pouget, le gouverneur, peut vous envoyer en fait de secours. Il en est tout à fait navré, mais la comtesse Eléonore vient de partir pour Tours où s'apprêtent déjà, à ce que l'on dit, les fêtes du mariage de Monseigneur le Dauphin avec Madame Marguerite d'Ecosse, et le sire du Pouget ne peut, sans dégarnir dangereusement sa forteresse, détacher plus d'hommes à votre service. Encore a-t-il préféré qu'ils ne portent ni tabard, ni couleurs, afin que les chiens puants qui vous attaquent ne puissent deviner que Carlat est moins bien gardé.
Celui des arrivants qui paraissait le chef de la troupe s'approcha et vint mettre genou en terre devant Catherine pour l'assurer que lui et ses hommes étaient tout prêts à mourir pour elle, mais Catherine ne trouva, pour le remercier, qu'un pâle sourire.
La déception était aussi un peu trop forte : vingt hommes, vingt hommes quand elle en espérait au moins deux cents ! Jamais, avec des effectifs si réduits, elle ne parviendrait à desserrer la tenaille de fer qui menaçait d'étouffer sa ville.
L'anxiété et le désarroi transparaissaient si bien sur son visage que Barrai, craignant l'effet sur la population qui accourait déjà aux nouvelles, se hâta d'intervenir.
— Il faut conduire ces hommes au château, Dame Catherine, les faire reposer et les réconforter car ils se sont bien battus. Et que dirons-nous de ce paladin inattendu ? s'écria-t-il en assenant sur le dos du page une claque qui le fit tousser.
Puis, plus bas :
— ...Il vaut mieux que la nouvelle ne se répande pas trop vite.
Pour le moment, seuls doivent être avertis le conseil... et l'abbé.
Celui-ci arrivait d'ailleurs, pataugeant joyeusement dans les flaques d'eau et sans souci de la pluie qui mouillait ses beaux ornements de fête.
Mis discrètement au courant de la situation, il entra dans le jeu sans sourciller et proclama bien haut la joie que lui causait le retour inopiné du page. Puis, il pressa tout le monde vers le château, se bornant à annoncer qu'après la messe, le Conseil se réunirait exceptionnellement dans la salle capitulaire du monastère.
La pluie, d'ailleurs, redoubla si violemment à cet instant que chacun tira de son côté pour se mettre au sec et pour commenter cette arrivée inattendue qui paraissait, à tous, le meilleur présage des bonnes intentions du ciel.
Tandis que Nicolas Barrai s'occupait de loger le renfort, Catherine ramena Bérenger au château et le confia à Sara.
Conduit aux étuves, le héros du jour fut déshabillé, trempé, ébouillanté, étrillé, séché et répandu sur une large dalle de pierre pour y être vigoureusement malaxé par Sara en personne, à grand renfort d'huile aromatique1.
Assise sur un escabeau à quelques pas, les mains nouées sur ses genoux et le front barré d'une ride soucieuse, Catherine écoutait le récit des aventures du page, récit fortement pimenté de gémissements de douleur que la poigne vigoureuse de Sara arrachait à sa victime.
Bérenger remontait lentement « de la pêche » à travers bois, quand les appels du tocsin l'avaient averti qu'il se passait à Montsalvy quelque chose d'insolite. Il était loin encore et le crépuscule était très avancé. En approchant de la ville alors que la nuit était totale, il avait vu des silhouettes de soldats se glisser vers la porte d'Entraygues déjà close. Il avait alors contourné la ville, vu le camp d'Apchier et assisté aux menaces du seigneur pillard.
— Pour ne pas vous faire courir un risque, j'ai préféré ne pas chercher à rentrer. Je me suis caché dans les ruines du Puy de l'Arbre.
1. Dans les châteaux du Moyen Age, les femmes de la maison étaient toujours chargées de laver aux étuves le seigneur, son fils et ses principaux officiers. C'était faire honneur à un hôte que de le confier aux soins des dames.
De là, je pouvais observer ce qui se passait chez l'ennemi... et, pour mon malheur, j'ai vu mettre à mort le moine. J'en ai éprouvé telle frayeur, dame Catherine, que je me suis sauvé, le plus loin que j'ai pu.
Je crois bien, ajouta-t-il en grimaçant un sourire piteux, que je ne serai jamais brave. Mes frères auraient honte de moi s'ils pouvaient me voir.
— S'ils vous avaient vu tout à l'heure, Bérenger, affirma Catherine gravement, ils n'auraient pu qu'être fiers de vous, au contraire. Vous vous battiez comme un preux.
— Alors, coupa Sara, cessez de geindre, preux chevalier. A-t-on jamais vu un paladin au cuir si sensible !
— Vous ne me massez pas, Sara, vous me battez comme plâtre.
Où en étais-je ? Ah oui, je me suis sauvé... Tout le jour je me suis caché dans le ravin, bien au-delà de la Sainte-Font, pour y attendre la nuit. L'idée m'était venue, en effet, de gagner l'entrée du souterrain et d'essayer de rentrer ainsi au château.
— Le souterrain ? fit Catherine. Vous le connaissez donc ?
Bérenger lui offrit un sourire mi-timide, mi-contrit, tandis que Sara le roulait dans une grande pièce de toile fine pour enlever le trop-plein d'huile.
— Il y en a un, presque semblable, chez nous. Je n'ai pas eu beaucoup de mal à le trouver en descendant aux caves du donjon. Et quelquefois les hommes de garde m'ont aidé à m'en servir quand je quittais le château...
— ...pour aller pêcher de nuit ! compléta Sara impitoyable.
Messire Bérenger, vous nous avez crus bien simples si vous vous êtes imaginé que vos escapades passaient inaperçues...
— Laisse, Sara ! coupa Catherine. Ce n'est pas le moment de lui chercher noise pour cela. Continuez, Bérenger : pourquoi alors n'êtes-vous pas rentré ?
Quand je m'en suis approché, il faisait nuit noire et il était tard... bien plus de dix heures. L'endroit semblait désert mais, néanmoins, par prudence, je n'avançais que par petits bonds, prenant bien soin de rester constamment à l'abri des fourrés. Et bien m'en a pris, car, alors que je n'étais plus qu'à quelques toises, j'ai entendu des hommes qui parlaient. L'un d'eux se plaignait de la longueur de l'attente. Un autre, alors, a répondu-: « Patience ! Ce ne sera plus long maintenant. J'ai été prévenu qu'ils enverraient, cette nuit, un nouveau messager par le souterrain. »
Les deux femmes qui l'écoutaient eurent ensemble la même exclamation :
— Prévenu ? Mais par qui ?...
— Je n'en ai pas su davantage. Une troisième voix, fort rude, a imposé silence aux deux premières et tout est redevenu calme. Alors, je me suis fait aussi petit que je pouvais et, moi aussi, j'ai attendu.
Mais j'avais beau retenir ma respiration, mon cœur cognait si fort contre mes côtes qu'il me semblait que tout le pays pouvait l'entendre.
En même temps, je cherchais désespérément un moyen d'avertir l'homme qui allait sortir du souterrain. Je ne l'ai pas cherché longtemps : tout a été terriblement vite ! Quelque chose a surgi de l'éboulis qui cache la sortie du boyau. J'ai vu s'agiter les broussailles et une ombre plus dense s'en détacher, grandir, avancer avec précaution d'un ou deux pas. Mais le malheureux n'a pas pu en faire un troisième : avec un cri de victoire les hommes qui étaient cachés ont bondi sur lui, l'ont maîtrisé, emporté...
— Tué?
— Non. Ligoté seulement et bâillonné. Quelques instants plus tard, je les ai vus partir, riant et plaisantant. Ils emportaient sur leurs épaules un long paquet ficelé qui était votre messager. Mais, quand ils sont passés près du rocher où j'étais tapi, j'ai pu reconnaître celui qui les guidait. C'était...
— Ce Gervais, bien sûr ! s'écria Sara. L'engeance qui nous a amené cette peste en cottes de mailles. Il est le seul, chez les Apchier, à pouvoir connaître l'existence du souterrain.
Le seul ? Je commence à me le demander, fit Catherine avec un sourire amer. Le nombre de gens qui connaissent notre souterrain est proprement effarant, si l'on songe qu'il était censé demeurer secret : depuis Gauberte qui en parlait à voix plus que haute et intelligible à la fontaine, jusqu'à ce misérable Gervais dont je me repens de plus en plus d'avoir ménagé la vie. Il y a des clémences qui sont presque des crimes. Mais continuez : qu'avez-vous fait ensuite, Bérenger ?
— J'ai couru d'abord jusque chez nous pour avoir le conseil de ma mère et peut-être son aide. Elle est femme sage, avisée, et elle vous aime. Apprendre votre situation l'a mise en fureur en même temps qu'au désespoir, car mes frères n'ont laissé, à Roquemaurel, que cinq hommes d'armes presque hors d'usage et les chambrières. Tout le reste a pris le chemin de Paris avec eux pour chercher la gloire. La gloire ! Je vous demande un peu. Certains n'en reviendront pas et, parmi ceux qui reviendront, il y aura des borgnes, des bancals, des manchots et des culs-de-jatte, d'autres qui auront perdu...
— Bérenger ! coupa la châtelaine, je connais depuis longtemps vos idées sur la guerre, mais ce qui m'intéresse pour le moment c'est la suite de votre aventure. Nous aurons tout le temps, après, de philosopher.
Le page, dont Sara venait d'introduire les longues jambes maigres, aux genoux trop gros, dans des chausses collantes mi-partie verte et noire, devint rouge vif et glissa jusqu'à la jeune femme un regard penaud.
— Excusez-moi, Dame, j'oubliais votre hâte de savoir. Alors, ma mère m'a dit : "C'est à Carlat sans doute que Dame Catherine et l'abbé Bernard envoyaient leur messager. Comme il n'y parviendra jamais, il vous faut, Bérenger, essayer de le remplacer. Et tâchez, pour une fois, de faire honneur à votre nom, que diable !" Là-dessus, elle m'a donné un chanteau de pain, du lard, une gourde de vin, plus l'un des deux chevaux de labour qui lui restaient et sa bénédiction. Le cheval, lui, a reçu double ration d'avoine et une claque sur la croupe pour l'engager à trotter plus vite, et nous sommes partis...
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