Ce fut donc avec un aimable sourire que le prince reçut le salut de la nouvelle fille d'honneur que lui présentait la maréchale de Clérambault. Il déclara même :
- Soyez la bienvenue Mademoiselle de Fontenac. Comme à son habitude Madame a fait preuve du plus grand goût en vous choisissant et...
Il s’arrêta soudain, fit un pas en avant pour mieux la considérer et leva haut ses noirs sourcils tandis que son œil s’arrondissait :
- Comme c’est étrange ! Émit-il. Avez-vous de la parenté en Val de Loire ? J’entends de la parenté proche ?
- Non, Monseigneur. La famille de mon père est issue du Périgord, celle de ma mère de Paris.
- Etonnant ! Tout à fait étonnant ! conclut-il en se tournant vers son épouse à laquelle il offrit la main pour la mener à table.
Tandis que le couple s’éloignait d’elle, Charlotte entendit encore :
- Vous avez l’intention de la mener à Saint-Germain lorsque nous nous y rendrons ?
- Naturellement ! Vous y voyez quelque empêchement?
- Oui et non ! Quel âge a-t-elle ?
- Quinze ans selon sa tante. Pourquoi ?
- Elle ressemble à quelqu'un... Pour le moment cela peut aller parce que l’enfance est encore présente mais d’ici deux ou trois ans je crains que ce ne soit plus évident...
Charlotte n’en entendit pas davantage. L’étrange couple prenait place en compagnie de ses intimes. Les filles d’honneur, à l’instar de la majeure partie de la cour des princes, se contentaient d’assister : on souperait ensuite.
N’ayant rien d’autre à faire que de regarder, Charlotte fixa son attention sur une ravissante jeune fille d’environ dix-sept ans, assise auprès de Monsieur qui lui parlait souvent et dont, par moments, la main venait se poser sur la sienne avec une visible affection. Elle était brune, pâle, fragile et infiniment gracieuse avec de jolis yeux sombres mais qui ne reflétaient pas la gaieté. La curieuse n’y résista pas.
- La jeune fille près de Monsieur ? Chuchota-t-elle en se penchant légèrement vers sa voisine qui était Mlle des Adrets.
- C'est Mademoiselle, la fille aînée de Monsieur et de sa première épouse à qui elle ressemble beaucoup. Elle a aussi une sœur cadette.
- Elle paraît si triste...
- Non sans raison : on va lui faire épouser le roi d’Espagne mais elle en aime un autre.
- Qui ?
- Chut ! La musique va s’arrêter.
Les violons, en effet, achevaient un morceau mais ne s’accordèrent qu’une brève respiration avant d’en entamer un autre. Charlotte étouffa un soupir. Elle avait faim comme il était normal à son âge et les odeurs appétissantes qu’elle était bien obligée de respirer ajoutaient une sensation de vide parfaitement désagréable. Si encore il n’y avait pas ces gens qui bâfraient devant elle !
Madame, pour sa part, dévorait. Ce n’était pas difficile de deviner qu’à ce train elle deviendrait rapidement obèse. Elle faisait passer ce qu’elle ingurgitait au moyen de copieuses rasades de bière. Choses que Charlotte considérait d’un œil où la surprise et l’émerveillement devant la beauté du décor laissaient place à une sensation moins agréable. Non seulement elle était affamée, mais elle avait sommeil. La nuit quasi blanche de sa fuite, d’ailleurs amplement récupérée ensuite dans son lit douillet de Prunoy, constituait une exception dans son existence bien réglée de couventine et elle espérait que le repas n’allait pas durer trop longtemps.
Quand les convives quittèrent enfin la place au son des infatigables violons, les portes d'un splendide salon où des tables étaient disposées s’ouvrirent devant eux : cette soirée était consacrée au jeu alors que d’autres pouvaient se continuer par la comédie, un concert, voire un bal, à moins que Monsieur et ses gentilshommes ne partent se distraire ailleurs. Charlotte remarqua que Mme de Clérambault emmenait la jeune princesse et ne put retenir un soupir que Lydie de Theobon saisit au passage :
- Venez, dit-elle avec un sourire compatissant. Nous allons nous restaurer chez nous et vous pourrez vous coucher. Vous êtes fatiguée ?
- Oh oui ! J’ai peine à me tenir sur mes jambes.
- Manque d’habitude, mais cela viendra. Et puis vous êtes très jeune encore et vous avez eu votre compte d’émotions.
Charlotte la suivit avec reconnaissance. Elle était tellement lasse qu’elle en avait même oublié sa faim mais n’en fit pas moins honneur, une fois assise, au petit souper que lui apporta Marie. D’habitude les filles prenaient ce repas ensemble dans leur cabinet mais celui-ci étant occupé par le lit dressé pour la nouvelle venue, chacune fut servie chez elle et Charlotte, après avoir fait un sort au potage, aux tranches de venaison, aux compotes et aux craquelins, se laissa déshabiller puis se glissa dans le lit que la jeune femme de chambre avait pris soin de bassiner avec un énorme soupir de soulagement :
- Dieu que c’est divin ! Exhala-t-elle. Merci Marie !
- Je suis là pour m’occuper de vous ! Faites de beaux rêves, Mademoiselle. Je vais couvrir le feu pour qu’il reprenne demain matin !
Elle fit comme elle avait dit puis quitta la pièce sur la pointe des pieds. Une précaution inutile : après s’être pelotonnée sous ses couvertures à la manière des chats, la nouvelle fille d’honneur de Madame dormait déjà à poings fermés...
Un premier sommeil profond, apaisant comme une plongée dans une eau tiède parfumée mais qui se fit léger au bout de trois heures pour la ramener en surface et lui permettre d’entendre grincer la porte... La chambre où une veilleuse était allumée n’était pas complètement obscure et, dressée sur son séant, elle put voir entrer sans autre précaution une jeune fille armée d’une chandelle et qui s’arrêta net en découvrant le lit et son occupante :
- Oh ! Mais que faites-vous là ?
- Que fait-on dans un lit ? Je dormais...
- C’est ce qui m’étonne. Il n’y a pas de lit à l’accoutumée !
- Je sais. On l’a dressé pour moi. Je suis la nouvelle fille d’honneur de Madame, Charlotte de Fontenac.
- Ah bon !
L’événement sembla plonger l’arrivante dans un étonnement muet... Elle restait plantée là, son bougeoir à la main et sans autre réaction, se contentant de dévisager Charlotte avec d’immenses yeux clairs, d’un gris bleuté, qui s’harmonisaient à la perfection avec ses magnifiques cheveux d’un or rouge que la flamme faisait briller. L’inconnue était d’ailleurs d’une beauté exceptionnelle. Grande et élancée, elle avait un teint éblouissant, un petit visage rond à fossettes, une bouche ravissante, fraîche, pulpeuse et d’un joli corail clair, des traits d’une finesse remarquable et des dents de perle ainsi qu’il était convenu alors de qualifier leur blancheur. Constatant qu’elle restait immobile et ne semblait pas plus décidée à bouger qu’à se faire entendre davantage, Charlotte demanda :
- Puis-je quelque chose pour vous ?
L’apparition tressaillit :
- Je... oui... non ! La voiture qui me ramenait de Clagny a eu un accident, ce qui m’a empêchée de rentrer plus tôt. Je pensais trouver ici de quoi manger !
- Et vous ne trouvez que moi qui ne suis pas comestible. Mais vous avez certainement une femme de chambre ?
- Je... oui, bien sûr !
- Alors appelez-la ! Elle devrait pouvoir vous dénicher un en-cas. Vous êtes Mademoiselle de Fontanges n'est-ce pas? ajouta Charlotte qui se souvenait des paroles de Theobon au sujet de la quatrième fille d’honneur : « Fort belle mais bête à pleurer... !» Il y avait quelque chance qu’elle eût en face d’elle l’original du portrait. Et, en effet, la demoiselle opinait de la tête et s’enquérait :
- Vous me connaissez ?
- Non... mais on m’a parlé de vous.
- Ah!
Nouveau silence. Charlotte se demanda si on allait finir la nuit ainsi : elle assise dans son lit et l’autre apparemment pétrifiée dans le double encadrement de la porte et de sa grande mante brune doublée de fourrure dont le capuchon était rabattu sur les épaules. Elle reprit l’offensive :
- Voulez-vous que je sonne pour que l’on vous reconduise chez vous ?
- Oh non ! C’est inutile ! Je vous souhaite une bonne nuit !
Et de repartir comme elle était venue. La porte se referma sur elle et sa bougie tandis que Charlotte se recouchait, remontait drap et couvertures par-dessus ses oreilles et se rendormait aussitôt...
Dès le lendemain, Charlotte put constater que le métier de fille d’honneur chez Madame n’avait rien d’astreignant et que ces demoiselles constituaient surtout un élément décoratif lorsque la princesse ou le couple recevait et aussi quand leur entourage était réuni aux soupers. La plupart du temps on s'ennuyait élégamment, une broderie ou un livre aux doigts, mais, heureusement on était au cœur de Paris et ses nombreuses boutiques offraient une possibilité de distractions sans compter les relations avec l’aristocratie du Marais et, par beau temps, la promenade de la Place-Royale. La Palatine, elle, se satisfaisait, lorsqu’elle ne chassait pas, à rester dans son cabinet pour y converser avec les portraits de ses parents allemands qu’elle y avait rassemblés et surtout à écrire, sur un riche papier épais à tranche dorée, d’innombrables lettres auxdits parents sans oublier ceux ou celles qui avaient su s’attirer son amitié. Même à la toilette que Madame voulait minutieuse - et à l’eau froide ! - elles ne jouaient qu’un rôle effacé : c’était l’ouvrage des femmes de chambre et de la dame d’atour, laquelle d’ailleurs ne croulait pas sous le contenu de la garde-robe dont on sait qu’elle ne débordait pas de vêtements et encore moins de falbalas. Evidemment, elle avait la charge des bijoux mais comme Madame, à l’exception de quelques belles perles, n’en portait pas souvent, elle se contentait de les passer en revue chaque jour afin de s'assurer qu’il n’en manquait pas. Il pouvait arriver que Monsieur, qui, lui, les adorait, se permît un emprunt mais il ne manquait pas de les restituer. Seule exception dans le quatuor juvénile, Mlle von Venningen, avec qui Madame parlait allemand, ne la quittait guère comme Mlle de Theobon qui avait son amitié et sa confiance.
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