- Evidemment, je l’ai regretté ! Cette malheureuse s’est avisée de tomber amoureuse. Elle était bête à pleurer et les présents dont il l’a comblée lui ont fait perdre la tête. Elle s’est crue reine... Que dis-je, reine ? Déesse ! Vous êtes loin d’être sotte. Et il y a cette ressemblance... j’ai remarqué que les rares fois où l’on vous a vue dans le sillage de la Reine, le Roi vous a regardée...
- C’est possible, mais peut-être parce que je lui rappelle un mauvais souvenir : celui d’une femme délaissée par lui et qui est allée chercher refuge au Carmel.
L'orgueilleuse Montespan lança :
- Elle n'était pas de taille contre moi et, si vous le voulez, la Maintenon ne sera pas de taille contre vous !... Bon! Voilà que vous vous effarez de nouveau ! J’admets que je vous prends à l’improviste mais réfléchissez...
- C’est tout réfléchi, Madame la surintendante ! Je n’aime pas le Roi et n’ai aucune vocation à devenir favorite. En admettant que vous voyiez juste.
Athénaïs se mit à rire :
- Mais ni La Vallière ni moi-même n'y avions songé quand nous avions votre âge. Elle aimait Louis mais, timide et effacée, elle souhaitait l’aimer dans le silence et le mystère. Non à son de trompes et sur la place publique comme il a plu à notre Sire ! Quant à moi, j'étais fille d'honneur de Madame Henriette d'Angleterre, la première Madame, et j'étais follement amoureuse de... mon époux ! Aimez-vous quelqu'un?... Vous ne me le direz pas mais je suis certaine que c'est oui. C'est pourquoi je vous répète : réfléchissez ! Si vous laissez le champ libre chez la Reine à la Maintenon, elle vous fera chasser et vous aurez de fortes chances de rejoindre La Vallière dans son couvent...
- Mais j'aime la Reine ! Gémit Charlotte près des larmes. En admettant que vos vues soient justes, jamais je ne voudrai lui causer la moindre peine ! Vous venez de la voir. Elle est heureuse pour la première fois depuis des années...
La favorite haussa ses belles épaules :
- Je tenais semblable langage à dix-huit ans. A cette différence que je ne risquais pas d’être rejetée dans les ténèbres extérieures...
Les ténèbres extérieures, Charlotte avait bien eu l’impression d'y pénétrer le jour où quittant Madame, Theobon et Cécile, elle avait pris seule le chemin de Saint-Germain. Elle allait entrer dans un monde où elle ne connaissait personne, où elle n’avait pas d’amies. Certes, le château, elle le connaissait depuis l’enfance. Elle aimait ses briques roses et ses chaînages en pierre blanche de Chantilly mais, comme si un génie malin se mêlait de sa déroute, elle vit, atterrée, arrivant en voiture dans la cour d’honneur, qu’on y faisait presque autant de travaux qu’à Versailles et qu’il y avait des échafaudages un peu partout. A croire que le Roi était possédé du démon de la construction !... Son Versailles encore inachevé il faisait bâtir à Marly et voilà que Saint-Germain à son tour se retrouvait sous les gravats et la poussière. Aussi songeait-elle avec une mélancolie grandissante aux charmes et à la lumière éclatante de Saint-Cloud et, l’hiver approchant, au confort douillet du Palais-Royal, au rire communicatif de Madame et aux bons moments passés dans les chambres des filles ou dans le parc. Par bonheur elle n’avait jamais approché la Bastille mais, en posant le pied sur les pavés de la cour, elle pensa que ça devait y ressembler ! Des murs, encore des murs! Quatre étages plus une terrasse, un donjon dans un coin et une admirable chapelle élevée quatre siècles plus tôt par le roi Saint Louis mais défigurée par les travaux ajoutaient à la tristesse du décor qui ressemblait un peu à un puits.
La Reine habitait au second l’un des plus vastes parmi les soixante-sept appartements du château. Il était contigu à celui du Roi et sis juste au-dessus de celui de Mme de Montespan. Les six pièces d’enfilade étaient indéniablement somptueuses : marbres diversement colorés, bronzes dorés, tapis des Echelles du Levant, brocarts et meubles d’essences rares, rien n'y manquait et l'ensemble était magnifique.
En outre, les fenêtres donnaient au sud sur les parterres de Le Nôtre, le Château Neuf, ses jeux d'eau et ses terrasses descendant jusqu’à la Seine, une bien jolie vue, ce qui n'empêchait pas l'atmosphère d'y être souvent irrespirable à cause de l'odeur complexe où dominaient l'encens et le chocolat. L'un reflétant l'extrême piété de la Reine et l'autre sa principale gourmandise. Elle buvait chaque jour sept ou huit tasses de ce liquide épais et très sucré qui lui gâtait les dents et lui valait parfois des digestions difficiles, mais c'était elle qui l'avait mis à la mode et elle en raffolait. Pour sa part, la nouvelle lectrice n'appréciait qu'à moitié.
En revanche sa position présentait certains avantages : une petite chambre voisine de celle de la Reine afin de la secourir en cas d'insomnies, un traitement régulier que versait chaque mois le trésorier de Sa Majesté et une garde-robe beaucoup mieux montée. A son arrivée, la dame d'atour, la duchesse de Béthune, s'était avisée de la quasi-indigence du contenu de ses bagages. Après avoir émis une opinion bien sentie sur le dédain de Madame pour la toilette, elle avait nanti Charlotte de vêtements, linges et souliers dignes d’une suivante royale, mais en précisant qu’il lui incomberait, à l’avenir, de remplacer ce qui s'userait.
Côté entourage, évidemment, c'était moins agréable que chez les Orléans. Les dames - toutes de haute naissance et de grande piété ! - regardaient avec une certaine méfiance cette fille qui avait osé s'échapper du couvent et qui avait été renvoyée de Madrid. Aussi Charlotte n'avait-elle rencontré de sympathie qu'auprès de la principale femme de chambre, la marquise de Visé, une Espagnole nommée Maria Abarca, la seule ayant échappé au nettoyage par le vide qui avait réexpédié de l'autre côté des Pyrénées le service espagnol de Marie-Thérèse quand la politique avec Madrid s'était tendue. Même la chère Molina qui avait servi la petite infante avait dû partir en dépit des supplications de la Reine. Maria de Visé était une femme d'environ trente-cinq ans, vive et gaie. Elle avait pris la jeune lectrice en sympathie et ne l'avait pas caché. Ce qui avait beaucoup réconforté Charlotte avec le fait que la Reine elle-même lui montrait de l'amitié et réclamait souvent sa présence. Surtout le jeudi ! Ce jour-là c'était le jardin secret, la face cachée de la souveraine que bien peu connaissaient : quand elle était à Saint-Germain, la Reine, vêtue simplement et couverte d'une mante à capuchon, faisait charger des paniers remplis de nourriture et de médicaments dans une voiture sans marque distinctive et s'en allait à l'hôpital-hospice aider les Dames de la Charité à soigner les malades.
La première fois qu'elle l’avait emmenée, Charlotte n’en avait pas cru ses yeux. Dans sa robe de laine bleue protégée par un vaste tablier de chanvre, ses cheveux enveloppés d’un bonnet, Marie-Thérèse se dépensait sans compter, allant d’un lit généralement occupé par deux personnes à un simple matelas, assistant l’un pour manger sa soupe, épongeant le front fiévreux d’un autre, toujours douce, toujours souriante, sans jamais montrer le moindre dégoût même devant les spectacles les plus répugnants. L’hiver était rude et l’hôpital surpeuplé. De toutes parts s’élevaient des plaintes, des gémissements, des quintes de toux, des râles. La maladie et la misère se partageaient tous ces corps étendus d’où s’élevait une odeur pénible qu’essayait de combattre celle des immenses braseros posés de loin en loin pour lutter contre le froid. Les robes des religieuses passaient comme des fantômes au milieu de cette humanité pitoyable. Celles de quelques femmes charitables s’y mêlaient, mais aucune n’était aussi efficace que la Reine. Une scène en particulier frappa Charlotte, qui, encore maladroite bien sûr, essayait de la seconder de son mieux : une violente quinte de toux s’était élevée dans un coin de la salle. Il y avait là, sur un matelas, un vieil homme que l’on venait d’admettre et qui, entre les répits de sa toux, jurait comme un païen en réclamant à boire. Il était sale à faire peur et, sous les plaques de crasse, sa peau présentait une sinistre teinte grise qui s’enflammait dramatiquement aux pommettes. On lui avait donné de l’eau à boire mais il l’avait renversée en braillant qu’un vétéran de Rocroi ne buvait pas de cette saleté. Comme la toux reprenait, Marie-Thérèse se pencha sur lui. Elle tenait un gobelet de vin d’Espagne qu’elle approcha des lèvres du vieux !
- Buvez un peu mon ami ! Cela vous soulagera !
Simultanément, elle faisait signe à Charlotte de l’aider à soulever le buste du malade pour qu’il pût se désaltérer plus commodément. Il trempa ses lèvres puis fit la grimace :
- Pouah ! Ça vient d’chez ces faillis chiens d’Espagnols! Faudrait voir à me trouver autre chose, ma fille ! J’suis un vieux soldat...
- De Rocroi, je sais mais vous devriez...
Un nouvel accès lui coupa la parole et, brusquement, le malade vomit sur la main de Marie-Thérèse. Ce que voyant, une religieuse accourut, horrifiée :
- Doux Jésus, Votre Majesté ne devrait pas faire ces choses ! La voilà toute souillée...
- C’est sans importance, ma sœur. Il faudrait essayer de mettre plus au propre ce pauvre homme. Allez me chercher ce qu’il faut ! Nous le changerons ensemble !
Elle se relevait en reposant sur son grabat le vieux qui avait cessé de tousser et qui la regardait avec stupeur :
- C’est y pas Dieu possible que vous êtes... la Reine ?
Elle lui sourit gentiment :
- Ici je ne suis plus la Reine mais vous, vous êtes toujours un soldat du Roi et cela vous donne droit à tous mes soins.
- Hé ben, hé ben ! C’est pas pour dire mais j’aurais eu d’la chance puisque si j'en réchappe, j’pourrai dire qu'j’ai été soigné" par la reine de France.
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