- Et alors ? C’est une vieille putain, lâcha brutalement la princesse, et ce sont les plus habiles parce qu’il leur faut compenser la fraîcheur déclinante de leurs appâts par d'autres talents !
- Et c'est cela que l'on a introduit chez moi ?
- Mme de Montespan est bien surintendante de la Maison de la Reine ! La Maintenon est une couleuvre qu'il vous faut avaler sans broncher, ma belle ! En avez-vous parlé avec votre époux ?
- Je n'ai pas encore osé par crainte de lui déplaire en ayant l'air de critiquer le Roi que par ailleurs j'aime bien !
Cette fois Madame partit d'un rire homérique :
- Eh bien osez, sacrebleu ! Vous aurez la surprise d'apprendre que le Dauphin déteste la vieille guenipe autant que moi ! Vous en retirerez au moins quelque réconfort ! A deux on supporte mieux les épreuves !
- Et puis peut-être pourra-t-il en toucher un mot à son père ? ajouta Marie-Christine soudain pleine d'espoir.
- N'allez surtout pas lui demander cela ! Vous semblez vivre en parfaite harmonie lui et vous ?
- Oh oui ! Monseigneur est le meilleur des époux ! Je l'aime infiniment et il me le rend au centuple !
- Alors ne faites rien qui puisse troubler cette harmonie! Goûtez votre bonheur et ne vous souciez pas des turpitudes des autres ! Un jour vous serez reine de France ! Vous pourrez choisir votre entourage à votre convenance !
- Ainsi ferai-je et je vous remercie de vos bons conseils! C'est égal... comment la Reine fait-elle pour permettre que Mme de Montespan dirige sa Maison ?
- La Reine est une sainte, ma chère ! Mais ne vous y trompez pas, elle est loin d’être sotte. Quand la Montespan a été nommée, elle m'a dit : « Allons, il semble que ce soit mon destin d’être servie par toutes les maîtresses de mon mari ! », faisant ainsi allusion à la surintendante précédente, la comtesse de Soissons, qui a pris la fuite il y a peu pour n’avoir pas à répondre d’une accusation d’empoisonnement ! Je vous laisse juge !
La Cour se disposait à quitter Versailles pour prendre ses quartiers d’hiver à Saint-Germain mais auparavant le Roi avait décidé de convier toutes les dames et demoiselles à une promenade à travers les jardins. Le point d’orgue en serait une collation que l’on prendrait dans l’un de ces bosquets qui en étaient l’un des charmes. Les hommes étaient exclus mais Sa Majesté tenait essentiellement à ce que tant l’élément féminin de la Cour soit présent pour ce dernier jour. Une manière comme une autre de s'entourer de « fleurs humaines » au moment où l’automne allait les raréfier dans les parterres.
- Sacrebleu ! Notre Roi aurait-il dans l’idée de se faire sultan ? Ronchonna Madame qui brûlait d’envie de rejoindre son cher Saint-Cloud pour en profiter encore un peu avant de rentrer au Palais-Royal et qui avait espéré partir dans la matinée.
Lydie de Theobon se mit à rire :
- Sans avoir l’intention de me montrer irrespectueuse, il me semble qu’il y a déjà un moment que cette idée-là lui est venue. Une reine ne lui suffit pas : il en faut toujours deux ou trois.
- Voulez-vous bien vous taire ! s’indigna la princesse.
- Je ferai remarquer à Madame que c'est elle qui a commencé ! Si elle le souhaite nous pouvons compter. La Reine : une ?...
- On se tait !... Et qu'est-ce que je vais mettre ?
- Madame devrait s’en soucier de temps en temps car le choix n’est pas immense : le grand habit, la « petite tenue » ou le costume de chasse ?
- Et ma robe en velours violet, qu’en avez-vous fait ? Des coussins pour mes chiens ?
- Ce serait un sacrilège... mais nous en avons aussi une en moire bleue, une autre en velours feuille-morte...
- D’où les sortez-vous ? fit Madame abasourdie.
- C’est Monsieur qui en a passé commande d’après les mesures de Votre Altesse Royale. Il estime, non sans raison, que Madame ne s’habille pas toujours comme il sied à une grande princesse.
- Et c’est maintenant que vous en parlez juste au moment où nous allons quitter Versailles ?
- Oh, ici Madame portait le costume de chasse dans la journée et le grand habit le soir. Et puis nous ne devions pas séjourner si longtemps ! Monsieur visait Saint-Cloud et Paris. Là, pour cette fête où seules les dames sont admises, il faut faire un effort !
- Eh bien, montrez-moi la « feuille-morte ». C’est très poétique. Cela convient à la saison !
Ladite robe réservait une agréable surprise : durant l'agitation perpétuelle du séjour Madame avait un peu maigri et il fallut reprendre deux ou trois coutures. En outre, la couleur lui plaisait et elle se déclara finalement ravie.
De son côté Charlotte connaissait un problème analogue à cette différence près qu’elle ne pouvait s'attendre à aucune « surprise ». Ces temps derniers elle n'en avait pas souffert, étant restée à l'écart des festivités à cause de son pied prétendument blessé, mais cette fois il lui fallait se joindre aux dames de la maison. Madame elle-même avait pris la peine de le lui signifier :
- Le Roi veut voir toutes les dames et demoiselles sans exception. En outre, il déteste que l’on soit souffrante ou empêchée ! J’ai ouï-dire que Mme de La Vallière - comme Mme de Montespan d’ailleurs ! - était tenue de paraître à la Cour quelques heures seulement après avoir accouché !
- Mais je suis si peu de chose !
- Il a dit « toutes » et vous en faites partie !
Elle disparut sur cette mise en demeure.
Charlotte opta finalement pour la robe verte qu'elle devait à sa tante Claire - que l'on avait rallongée parce qu'elle avait grandi - et que Theobon compatissante agrémenta en lui prêtant une jupe et un « devant » de satin blanc.
- Vous êtes tout à fait mignonne, la rassura-t-elle. Et vous n'avez plus l'air d’un fantôme !
Cela dit elles rejoignirent la suite de Madame et de la petite Mademoiselle. On n’eut pas loin à aller, le rassemblement étant sur la terrasse où l’on se rangea sur deux rangs. Il faisait un temps délicieux sous un soleil qui avait perdu la brutalité de l'été et le ciel était d'un azur profond où voltigeaient ici et là quelques petits nuages blancs, ronds et dodus comme des chérubins. Débarrassée d'elle-même, Charlotte admira sincèrement le panorama magique des pièces d'eau, des bosquets rejoignant le Tapis vert et pour finir le Grand Canal dont l'eau bleue allait si loin qu’elle abolissait l'horizon. En outre, la foule brillante et diversement colorée des invitées offrait un ravissant coup d’œil. Celui en effet d’un parterre de fleurs sur lesquelles on aurait semé des diamants, des perles, des rubis, des saphirs et des émeraudes. Ou alors une volière d’oiseaux exotiques tant les papotages allaient bon train.
Le silence se fit soudain : le Roi arrivait tenant Madame la Dauphine par la main. Légèrement en retrait venaient la reine Marie-Thérèse, Madame et sa fille. Ce fut un festival de révérences.
- Mesdames, dit Louis XIV, je suis fort aise de vous voir toutes !
Puis, comme pour donner le signal du départ, il leva la haute canne enrubannée qu’il tenait dans son autre main. La troupe joyeuse traversa le Parterre d’eau, gagna le bassin de Latone, mère d’Apollon et de Diane, dont la grande vasque de pierre crachait l’eau par des grenouilles, tortues et lézards en bronze. On le contourna pour se diriger vers l’entrée d’un bosquet au centre duquel était une fontaine. Cinq tables y étaient disposées, fleuries et flanquées d’orangers en caisses, nappées de blanc à broderies d’or sur lesquelles on avait disposé tout ce qui pouvait tenter l’appétit et la gourmandise. Autour de ce rond-point où aboutissaient cinq allées s’érigeaient des statues dorées. L’ensemble fut accueilli par des applaudissements unanimes. La fête en vérité était une réussite et son air champêtre enchantait tout le monde. Chacune put se servir et s'asseoir où bon lui semblait cependant que des violons cachés jouaient en sourdine.
Pour la première fois depuis son arrivée à Versailles, Charlotte se sentait bien. Sans doute la magie de ces merveilleux jardins agissait-elle sur elle. Durant la promenade, elle avait marché entre ses amies, Cécile et Lydie, en bavardant à bâtons rompus. L’atmosphère était idyllique. Ces dames semblaient d’excellente humeur comme si l'absence des hommes les libérait d’un poids.
Des hommes, pourtant, il n'en manquait pas mais c'étaient les valets chargés du service. Etant vêtus d’un vert en accord parfait avec celui des arbres, ils se fondaient dans le décor et c’est à peine si on les remarquait.
L’un d’eux ayant offert à Charlotte un verre de limonade, elle leva machinalement la tête et faillit le lâcher en reconnaissant Delalande. D’un coup d’œil impérieux il lui imposa silence et passa à Lydie de Theobon qui n’avait aucune raison de faire attention à lui. Elle bavardait avec Cécile de Neuville. Ce qui laissa à Charlotte le temps de se reprendre.
Que faisait-il à Versailles ? C’était la seconde fois qu’elle voyait Alban sous la livrée d’un domestique, mais là, dans ce décor magnifique et au milieu de toutes ces femmes, elle en fut frappée et en éprouva même de la gêne. C’était stupide parce qu’elle n’ignorait pas les avatars imposés par le métier du jeune homme mais elle ne pouvait s'empêcher de mesurer la largeur du fossé qui les séparait. A la pensée qu'elle s’était laissée embrasser par lui, qu'elle lui avait dit qu'elle l'aimait, elle ressentit de la honte mêlée de douleur. Rien ne serait jamais possible entre un policier et une fille de la noblesse même désargentée comme elle l'était en ce moment. Grâce à Dieu, il ne devait pas l'avoir prise au sérieux... Mais en dépit de ces pensées déprimantes, elle chercha des yeux sa silhouette, élégante jusque sous cette vêture servile ! C'était à pleurer et la joie légère qui l'habitait tout à l'heure s'était envolée...
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