- Hic !... Je viens de vous le dire : il... hic... il trépassait!
- Mais pourquoi chez vous ?
Le brave homme resservit son client et s’adjugea une nouvelle rasade :
- La... la baronne l’avait chassé... trop vieux !... Servait plus à rien ! C’est ma... ma défunte épouse qui... hic !... qui l’a trouvé assis avec son baluchon sur un... montoir à chevaux. L’était charitable ma Simone !... L’a ramené chez nous... et il y est mort ! Vous comprenez ?
Le faux vicomte pensa que, décidément, on mourait beaucoup dans le quartier et que la Fontenac ne connaissait qu’une façon d’éliminer ses vieux serviteurs, mais il garda sa réflexion pour lui. Son hôtelier avait l’ivresse intéressante mais il risquait de devenir incompréhensible s’il continuait à boire. Aussi, sous le prétexte de se resservir, il confisqua la bouteille.
- Et il vous a parlé de la fortune du baron ?
- Oh oui !... Mais pas de celle qu’on connaissait... d’une autre ! Où est la bouteille ?
- Elle est vide, fit Alban sans la lâcher. Mais n’allez pas en exhumer une seconde ! On a assez bu tous les deux... Vous parliez d’une fortune cachée ? Je ne vois pas...
- Des... pierres précieuses qu’il... aurait rapportées... de... là-bas... et qu’il voulait garder pour... lui tout seul ! Personne n’a jamais su où... où... il les gardait !
Le reste du discours se perdit dans un bredouillement ensommeillé et parfaitement indistinct, jusqu'à ce que maître Grelier s’étale sur la table en émettant un ronflement annonçant qu’il n’ouvrirait plus les yeux. Alban réfléchit un moment, bercé par cette musique nasale qui était le seul bruit que l’on entendit à cette heure tardive avec celui de la vaisselle qu’une servante achevait dans la souillarde reliant la cuisine à la cour. Il se leva et alla la voir :
- Votre maître est souffrant, l'informa-t-il. Montrez-moi où est sa chambre. Avec l’aide de mon valet on va l’y coucher...
La laveuse était une matrone entre deux âges, solidement bâtie, qui tourna vers le « client » une figure pleine, un rien bovine, où ne s'inscrivait aucune surprise. Elle s'essuya les mains à son tablier :
- Vous voulez dire qu'il est saoul ? Ça lui arrive souvent d’puis la mort d’sa pauv’femme ! Surtout quand la maison n’a point d’chalands[19] ! Y a qu’à l'laisser dormir sur son banc ! Demain y s'ra frais comme un gardon et l'aura tout oublié. C'qui est mieux pour lui. C’t’un si brave homme !
- Justement je ne veux pas le laisser ainsi ! Donnez-moi un coup de main et on va le mettre dans son lit !
- Ça s'ra comme vous voulez, M'sieur !
La chambre étant située au rez-de-chaussée, le trajet ne fut pas long. Alban déposa l'aubergiste sur son lit, proposa à la femme de l'aider à le déshabiller mais elle refusa. Il lui mit alors une pièce d’argent dans la main et se retira dans son propre logement où il retrouva Jacquemin qu’il avait envoyé faire un tour en ville après son souper. Ledit tour en ville consistant surtout à reconnaître les abords de l'hôtel de Fontenac dont le policier connaissait parfaitement l’emplacement.
Assis sur le rebord de la fenêtre, celui-ci croquait une pomme en contemplant le château royal dont l’imposante silhouette se découpait en force sur le bleu de la nuit. C’était un garçon de dix-neuf ans, brun comme une châtaigne de cheveux, de vêtements et presque de figure, qui possédait le rare talent de se fondre dans le décor où qu’il aille et de passer quasiment inaperçu. Il lui suffisait pour cela de baisser les paupières sur l’extrême vivacité de son regard.
L’entrée de son chef n’interrompit pas sa collation.
- Eh bien ? interrogea Alban en ôtant son justaucorps qu’il jeta sur le lit. As-tu trouvé quelque chose d’intéressant ?
Jacquemin acheva sa pomme et cracha les pépins dans la rue.
- C’est selon ! Je me demande si on n'est pas en train de perdre notre temps. L’hôtel de Fontenac est aussi hermétique et obscur qu’un tombeau. Ni lumière ni signe de vie.
- Tu n’as pas déniché un quidam à qui poser des questions ?
- Mon Dieu non, mais ou bien on s’y couche avec les poules ou bien il n’y a personne. Ils doivent avoir un château à la campagne quelque part ces gens-là ?
- Pas que je sache. Tous les nobles n’ont pas obligatoirement un domaine champêtre...
- Pourtant Fontenac ce n’est pas un nom de par ici !
- Tu as raison. L’origine est en Gascogne. J’ignore s’il en existe encore là-bas mais, d’après M. de La Reynie avec qui j’en parlais l’autre jour, ils descendraient d’un cadet de famille « monté » à Paris en quinze cent et des poussières à l’appel du duc d’Epernon qui voulait constituer pour le roi Henri III continuellement menacé par la Sainte Ligue du duc de Guise une garde personnelle que l’on a appelé les « Quarante-Cinq » commandée par M. de Loignac. Ces gentilshommes étant pauvres, ils n’avaient rien à perdre et tout à gagner. Ce sont eux qui ont exécuté le duc de Guise !
- Exécuté ? J’ai entendu dire qu’on l’avait « assassiné ».
- Le terme est impropre quand un roi frappe un sujet rebelle ! Envoyer le duc à l’échafaud eût déchaîné une révolution. Henri III, qui n’avait pas d’enfants et refusait de laisser le royaume aux Guise, savait que ceux-ci n’auraient de cesse de le tuer et c’est la sœur du mort qui a armé le moine Jacques Clément. C’est lui qui a « assassiné » le Roi, mais, avant d’expirer, celui-ci a eu le temps de léguer la France à son beau-frère, le grand Béarnais qui allait devenir Henri IV. Et sur ce cours d’histoire, nous n’avons plus rien d’autre à faire que d’aller dormir... Demain il fera jour !
CHAPITRE IX
LA PROMENADE DES DAMES
Le jeune Jacquemin - Jacquemin Lesourd pour lui donner un nom qui convenait mal à ses longues oreilles ! - n’aimait pas rester sur ce qu'il considérait comme un échec. Et le lendemain, dès le jour levé, il filait vers l’hôtel de Fontenac avant même que son « maître », fidèle à son personnage, n’eût procédé à sa toilette. C’était vendredi, jour de marché, et les rues de la ville, un rien endormie, la veille, résonnaient sous les sabots des paysans, maraîchers, volaillers et marchands qui allaient s’installer sous la halle.
A sa surprise, il trouva la porte cochère ouverte en grand sur une cour où s’activaient des ouvriers. Il était évident qu'une aile de l’hôtel avait subi un incendie depuis peu et qu’on déblayait.
Un garçon occupé à charrier des gravats dans une brouette l’interpella :
- T’as rien d’autre à faire qu'à regarder les autres travailler ? lança-t-il hargneux.
- Si, mais je me suis toujours intéressé au bâtiment et à la belle ouvrage qu’on y fait souvent, répondit-il sans se démonter. On dirait qu’il y a eu un malheur ici ?
- Ça c’est bien vrai ! Heureusement...
L’homme n’eut pas le temps d’en dire davantage.
Depuis le perron, une voix autoritaire se faisait entendre :
- Le travail presse et il y a mieux à faire que clabauder avec des étrangers ! Et toi, l’homme, qu'est-ce que tu viens chercher ?
Appuyé sur une canne, élégamment vêtu de velours grenat agrémenté de manchettes de dentelle, un seigneur les apostrophait. Jeune et très brun, il était relativement beau mais son visage aigu, ses dents blanches et pointues lui donnaient l’air d’un loup, quant à ses yeux, enfoncés sous l’orbite, il était difficile d’en distinguer la couleur. Sombre de toute façon ! « La Pivardière à tous les coups ! » pensa Jacquemin s’en référant à la description qu’en avait fait Delalande. Il ne se démonta pas, salua au contraire comme il sied à un valet de bonne maison :
- Rien, Monsieur, répondit-il sans se démonter. Je venais seulement voir si Mme la baronne de Fontenac accepterait de recevoir mon maître.
- Qui est ton maître ?
- M. le vicomte de Vauxbrun. Nous arrivons d’Abbeville et M. le vicomte, qui se rend à Paris, souhaitait saluer Mme la baronne...
- Il la connaît ?
- Non mais feu son père...
- Des provinciaux ! fit l’autre d'un ton sec... Mme la baronne n'est pas ici. Il faut être idiot pour imaginer qu’elle pourrait s’accommoder de vivre dans la poussière et les plâtres.
- Ce sont ses appartements qui ont brûlé ?
- J’aimerais savoir en quoi ça te regarde.
- C’est pour pouvoir rendre compte à mon maître.
- Et où est-il ?
- A l’auberge du Bon Roy Henri. Mais peut-être Mme la baronne est-elle à Paris, auquel cas...
- Elle n'est pas à Paris et quoi qu'il en soit n’est pas en état de recevoir des visites. Le feu l’a grandement éprouvée. En conséquence, tu remercieras ton maître et le salueras de sa part.
Il n'y avait rien à ajouter. Jacquemin comprit que l'on avait hâte de se débarrasser de lui et qu'on ne souhaitait pas voir un quelconque vicomte de Vauxbrun s’inscrire dans le paysage. Il prit congé et sortit de la cour. L’ouvrier et sa brouette étaient à présent près d’un tombereau qui venait d’arriver. Jacquemin s'arrangea pour le rejoindre en passant derrière l'attelage de manière à être hors de vue du perron.
- Qu'est-ce qui a brûlé dans la maison ? Quelle partie ?
Le maçon fronça le sourcil pour envoyer promener l'importun mais une pièce d'argent brillait au bout de ses doigts.
- J'sais point trop ! Ils appellent ça la... la librairie...
- Tout a brûlé ?
- Non. Y a encore plein d'papiers et aussi des livres. C't'à cause d'une bougie qu'est tombée. Mais enfin y a du pain sur la planche !
- Merci ! Bon courage !
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