- Dont l’arbitraire pour votre jeune cousine et le besoin pour vous-même ?...
La Reynie, dont les épais sourcils étaient remontés presque à toucher sa perruque brune, entra dans le débat :
- Avec votre permission et sachant l’issue de l’entretien, je vous laisse entre vous. Il faut que j’aille à l’Arsenal mettre la Chambre ardente au repos et toi, Alban, tu me retrouveras au Châtelet vers cinq heures. Mademoiselle, jusqu’à vous revoir ! Nous aurons encore à parler tous les deux... Ah, j’allais oublier ! Accompagne-moi à ma voiture !
Il prit le bras d’Alban et, quand on fut dans la cour :
- Si tu avais besoin d’argent n’hésite pas à m’en demander. Elle peut être très précieuse cette Léonie. Si tu la faisais passer pour une cousine de province ? Ce qu’elle était chez Fontenac.
Delalande se mit à rire :
- Ne vous tourmentez pas. J’ai bien l’intention de la garder. Quant à l'argent, soyez en repos, l’oncle Sosthène - Dieu ait son âme - était beaucoup plus riche qu’on ne le croyait dans la famille !
Tout étant ainsi réglé, Alban rejoignit celle qui devenait sa pensionnaire pour lui faire part des dernières dispositions. A sa surprise, Mlle Léonie montra plus d’émotion qu’il n’en attendait d’un caractère visiblement bien trempé.
- Vous êtes très généreux mais je ne peux pas accepter, fit-elle en reniflant une larme.
- Et pourquoi s’il vous plaît ?
- Parce que je ne veux pas vous être à charge. Hier, quand je suis arrivée, je ne savais pas où aller et je redoutais les auberges mais j’ai un petit pécule que je dois à la générosité discrète - sa femme n’en a rien su ! - de mon cousin Fontenac. Cela me permettra d’entrer dans un couvent convenable.
- Encore le couvent ? C’est une manie ?... Alors si vous êtes si largement pourvue pourquoi avez-vous fait à pied le trajet depuis Saint-Germain ?
- J’ai dit que j’avais quelque argent, je n’ai pas dit que je roulais sur l’or. Il me reste, je l’espère, quelques années à vivre, je dois me montrer extrêmement économe.
- Eh bien, justement, vous réglerez l’économie de cette maison. Je n’y passe guère de temps étant souvent par les chemins. Mon ménage est fait environ trois fois la semaine par une brave femme du voisinage que je vous présenterai tout à l'heure... si toutefois vous acceptez de me faire l’honneur de passer pour une cousine venue de... de...
- ... De Tréguier ! C’est là d’où je viens... et vous me semblez un cousin des plus honorables, ajouta-t-elle en faisant une petite révérence accompagnée d’un sourire qui lui coupa la figure en deux.
- Je vois que nous nous entendrons. En général je prends mes repas dans une auberge ou une autre selon mes déplacements... et je me déplace beaucoup !... Quelque chose qui ne va pas ?
En effet, elle le fixait depuis un instant d’un œil sévère.
- Si, si ! Je pensais seulement qu’au cas où vous vous déplaceriez moins, je possède de menus talents de cuisinière. Cuisine bretonne évidemment, mais en cette matière je n’ai pas d'exclusives...
- Seriez-vous en train de m’offrir une sorte de foyer, ma cousine ?
- C’est exactement cela, mon cousin. Du moins quand il vous plaira d’y faire halte car je ne veux pas vous envahir !
La glace définitivement rompue, ils se regardèrent en riant, scellant ainsi un accord spontané comme on en rencontre rarement. Une demi-heure plus tard, Justine Pivert, la concierge du prince de Monaco, était présentée à Mlle des Courtils de Chavignol à laquelle, impressionnée par le nom, elle offrit le plus beau salut que permettait un tour de taille imposant. Alban les laissa ensemble et elles inaugurèrent leur collaboration en s’en allant de concert au marché Saint-Paul, l’un des lieux favoris de Justine où elle pouvait donner libre cours à un talent oratoire certain servi par une voix de tambour-major. Aussi nul n'ignora plus, en quelques minutes, sa satisfaction de voir une personne aussi distinguée que Mlle Léonie mettre ordre et donner une apparence de respectabilité à l'univers chaotique d’un jeune homme aussi bien de sa personne que M. Alban.
- Les auberges, toujours les auberges, sans compter les tavernes et les gargotes, ce n’est pas une vie pour quelqu’un comme lui !
- Il ne faut pas médire des auberges. Certaines jouissent d’une excellente réputation.
- Voui ! consentit Justine après avoir médité un instant sur le sujet. Mais il n’empêche que rien ne vaut la vie régulière et la chaleur d’un foyer familial...
- Bah, il est encore un peu jeune, mais il ne manquera pas de se marier et alors sa vie deviendra régulière.
- Se marier ? Lui ? Si vous voulez mon avis, c’est pas demain la veille !
- Pourquoi ? C’est un beau garçon !
- Oh pour ça, oui ! Et il y en a plus d’une qui demanderait pas mieux mais on ne lui connaît pas de bonne amie...
- Il ne doit pas être homme à étaler ses conquêtes, conclut distraitement Mlle Léonie qui cherchait à se rappeler un détail de sa conversation avec le jeune policier et son chef. Un détail qui ne revenait pas.
En fait, Alban Delalande avait une amie, la comédienne Françoise d’Hennebault, fille du célèbre Montfleury. C’était à la fois une relation physique et intellectuelle. Belle, aimable et cultivée, la jeune femme représentait la maîtresse idéale et leur relation était dénuée de toute jalousie, une sensuelle amitié remplaçant avantageusement les orages de la passion et donnant pleine satisfaction à l'un comme à l’autre. Ils appréciaient de pouvoir rire, bavarder, échanger des confidences après les jeux de l’amour en buvant un verre de vin frais...
Mais cela, Mlle Léonie ne devait le découvrir que par la suite, bien après s’être souvenue du détail qui la tracassait tant: dans le feu de la conversation, son nouveau cousin avait failli dire « Charlotte » en parlant de la jeune Fontenac. Depuis elle se demandait s'il y avait là une signification.
En attendant elle fit apprécier à son logeur le charme paisible d'une vie quasi familiale qu'il n'avait, en fait, jamais connue. Sa mère était morte en lui donnant le jour et son père s'était remarié avec une mégère jolie et rouée, qui lui avait fait connaître l'enfer jusqu'à son entrée au collège, où il avait « fait ses Humanités » et surtout jusqu'à ce que La Reynie s’occupe de lui. Peu à peu, au lieu d’aller, le soir venu, manger un morceau dans une auberge quelconque, Alban prit doucement l’habitude de rentrer chez lui où l’attendaient le couvert mis sur du linge blanc, les fumets d’une cuisine le plus souvent simple mais toujours savoureuse, et la satisfaction de porter des vêtements impeccablement entretenus. En outre, converser avec la cousine Léonie était un réel plaisir. Elle ne voyait en effet aucun inconvénient à s’attarder au coin de la cheminée, en buvant un verre de vin et en commentant les nouvelles du jour. Bien sûr, on parla aussi de Charlotte et de ses parents... d’Hubert de Fontenac à qui Léonie vouait une affection qui eût peut-être mérité un autre nom.
De la prime jeunesse du baron elle savait peu de chose. Fils unique du gouverneur de Saint-Germain, il s'était senti attiré, dès qu’il sut lire, par l’étude de la géographie et des pays lointains. L’Asie, en particulier, l’attirait et, un jour, Hubert se lia d’amitié avec un certain Tavernier qui ne cessait de sillonner les terres lointaines à la recherche d’objets rares et surtout de pierres précieuses. C’était un homme du Nord, lourd et silencieux, mais dont la parole brève devenait singulièrement prolixe et chargée d’une étrange poésie quand il évoquait ces mers et ces cités étranges et colorées d’où il rapportait des merveilles. Aussi et au lieu de s’engager dans la Compagnie des Indes, selon son intention première, Hubert de Fontenac choisit-il de l’accompagner dans deux de ses voyages vers des pays dont la simple évocation faisait rêver : Mascate, Trincomali, Golconde...
- Le nom de Jean-Baptiste Tavernier ne m’est pas inconnu, remarqua le policier. Il est devenu, me semble-t-il, le lapidaire du Roi à qui il revend la quasi-totalité de ses trouvailles ?...
- Ce n’était pas le cas d’Hubert. Voyageant pour son plaisir, on n’a jamais su très bien ce qu’il rapportait. Si tant est qu’il rapportât quoi que ce soit. Et puis la mort de son père dont il avait la survivance en tant que gouverneur de Saint-Germain a mis fin aux grandes aventures. Le malheur a voulu qu’il rencontre la demoiselle Chamoiseau, s’en éprenne et l’épouse. Ce qui a surpris tout le monde. Moi la première - à cette époque je venais souvent à Saint-Germain -, car je savais qu’il avait vécu en Orient une tragique histoire d’amour mais il avait dû parer Marie-Jeanne de certaines vertus consolatrices dont elle était totalement dépourvue. Lorsqu'il m’a accueillie chez lui après le décès de ma mère, j’ai pu constater que le ménage allait à vau-l’eau... et était en passe de devenir invivable.
Otant sa pipe éteinte de sa bouche pour en secouer les cendres dans l’âtre, Alban objecta :
- Ce que je ne comprends pas c’est que...
- Et quoi donc ?
- Que vous étiez au même titre cousine de Mme de Brécourt puisqu'elle était la sœur de M. de Fontenac et je sais que sa bonté égalait sa générosité. Comment se fait-il que vous n'ayez pas demandé asile à elle plutôt qu’à lui ? Vous auriez eu la vie plus agréable.
- En réalité je n’ai strictement rien demandé. C’est Hubert qui, apprenant la disparition de ma mère, m’a écrit pour m’offrir l’hospitalité. Il avait pu juger du genre de génitrice qu’était sa femme et il voulait quelqu'un pour s'occuper de Charlotte dont elle se souciait comme d’une guigne.
- Votre présence n’a pas dû l’enchanter ?
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