- Certes, Sire, mais les années passant, l’inquiétude peut venir avec les premières rides. Les beautés ne manquent pas à la Cour et, récemment, il en fut une si éblouissante...
- Je sais mais ce mal qui l’a éteinte en si peu de temps a-t-il pu être provoqué... par elle ?
- Ce serait fort étonnant, Sire, venant de si haute dame ! En ce qui la concerne, je porte à croire qu’ayant entendu vanter les talents divinatoires de la Voisin, elle a voulu soulever le voile de l’avenir. De là à se laisser persuader de l’infaillibilité de certains moyens visant les retours d’affection, il n’y a qu’un pas. Pour le reste il m’est difficile d’y attacher créance...
- Que feriez-vous à ma place ?
- Je lui en parlerais calmement et en tête à tête bien sûr. Mais je n’en parlerais qu’à elle... seule !
L’allusion était transparente. C’était le maximum que l’on pouvait attendre du caractère sans nuances du ministre. Louis n’en rougit pas moins. Ses poings se crispèrent sur les bras de son fauteuil. Il ordonna :
- Allez la chercher mais sans que l’on sache que vous me l’amenez ! Prenez-la à part puis ayez l’air de faire quelques pas en vous entretenant. Vous êtes amis. Personne ne sera surpris...
Louvois s’inclina et sortit. Resté seul, Louis se laissa aller contre le dos du fauteuil, ferma les yeux. L’écho d’un menuet de Lully berça un moment une songerie qui se teintait d’amertume. Il avait tant aimé cette femme ! Et il n’était pas sûr que sa passion fût éteinte même après l’intermède Fontanges... Un instant le souvenir de l’exquise beauté de cette fleur des montagnes l’envahit, lui restituant l’ardeur de leurs premières étreintes. Son jeune corps était un délice dont il n’arrivait pas à se rassasier. Et maintenant la fleur s’était fanée, trop fragile peut-être pour la violence de ses assauts... Rien à craindre de semblable avec Athénaïs ! Elle avait la plus belle santé du monde, une vitalité sans pareille et un goût de l’amour égal au sien ! Avec quelle malice elle savait se refuser jusqu’à l’exaspération du désir pour s'abandonner enfin, tigresse ronronnante et soumise. Et quelle opulente beauté, soyeuse et chaude !...
Soudain il entendit :
- Me voici aux ordres de Votre Majesté !
Il tressaillit, ouvrit les yeux. Elle était là, plongée dans une révérence parfaite qui étalait autour d'elle le satin blanc brodé d’or dont le large décolleté révélait des épaules et une gorge épaissies sans doute mais dont la peau n’avait rien perdu de son éclat. Elle était si belle encore ! Comment croire qu’elle ait pu faire appel à de si vils moyens ? Il retint un soupir, se redressa et sa main vint à nouveau se poser sur les documents.
- C’est vrai, Madame ! Nous avons à parler, vous et moi...
Quand, une heure plus tard, Mme de Montespan sortit de chez le Roi, elle avait la tête haute, et ses beaux yeux bleus étaient pleins d’éclairs qui étaient peut-être le reflet de larmes récentes. Agitant nonchalamment son éventail de plumes blanches, elle retourna au bal ainsi qu’elle en avait le devoir. N’était-elle pas surintendante de la Maison de la Reine ? Un poste envié par Mme de Maintenon à laquelle - une manière de consolation ? - le Roi avait octroyé celui de seconde dame d’atour chez la Dauphine. Un cadeau dont la jeune princesse se serait bien passée, car, dès le début, elle avait su qu’elle n’aimerait pas cette femme au sourire immuable que Madame, sa cousine, détestait si fort parce qu’elle la devinait dangereuse.
Il semblerait d’ailleurs que celle-ci fût seule à savoir le fin mot de ce qui s’était passé dans le cabinet du Roi. Un peu plus tard, elle écrivait à une amie : « Mme de Montespan a d’abord pleuré, ensuite fait des reproches, enfin a parlé avec hauteur. Elle s’est déchaînée contre moi selon sa coutume. Le Roi est resté ferme... mais Mme de Montespan est bien aimable dans les larmes... » Ajoutait-elle non sans amertume...
Avait-elle réussi à écouter aux portes ou Louis XIV avait-il eu la faiblesse de se confier à elle en dépit du conseil de Louvois ? Toujours est-il que même si en apparence rien ne fut changé dans le mode de vie de Mme de Montespan, l’influence de l’ancienne gouvernante grandit de jour en jour. Quelqu’un traduisit parfaitement ce changement dans les habitudes royales en lançant :
« Ce n’est plus Mme de Maintenon, c’est Mme de Maintenant qu’il faut dire... »
Et le reflux des courtisans vers ce nouvel astre entama sa progression...
Vers le petit matin, tandis que le bal terminé Versailles s’endormait, livré aux domestiques chargés du nettoyage, et que se préparaient les divertissements du jour, Louvois et La Reynie, enfermés dans le cabinet du ministre, prenaient toutes dispositions pour exécuter les ordres du Roi... Rien de ce que contenait le dossier explosif du lieutenant de Police ne devait transpirer. On devait interrompre les interrogatoires des suspects que l’on savait acharnés à la perte de certaine dame. Seule la Filastre, déjà condamnée, serait exécutée dans l’immédiat dans certaines conditions. Préalablement brisée par la torture, il n’était guère à craindre qu'elle eût suffisamment de forces pour clamer ses accusations à la foule. Pourtant, le feu lui serait épargné comme il l’avait été pour la Voisin si elle se rétractait[16]. Les autres accusés, la fille Voisin, Guibourg, Lesage, etc., devaient être tenus au secret en attendant que l’on statue sur leur sort. Ce qui ne serait pas dans l’immédiat, la Chambre ardente recevant l’ordre d’arrêter l’instruction du procès jusqu’à nouvel ordre. En outre la Police devait cesser sa chasse aux sorcières. Pour une raison pratique d’ailleurs : on en comptait déjà près de cent cinquante et l’on ne savait plus trop où les mettre.
En fait Louis XIV avait refusé de croire le plus grave des accusations : les tentatives d’empoisonnement contre sa personne - et cela en plein accord avec les deux hommes parce que cette assertion n'avait aucun sens ! -, ainsi que les messes noires. Il était hors de question que de telles insanités, accolées au nom de la mère de ses enfants, aillent devant les juges. Le scandale serait retentissant et le trône lui-même éclaboussé.
De retour au Châtelet après être passé chez lui se rafraîchir, se changer et prendre quelque nourriture, La Reynie trouva Alban qui l’attendait tiré à quatre épingles à son habitude.
- Ne me dis pas que tu n’as pas bougé depuis hier ?
- Non, je suis rentré mais le sommeil n’a pas voulu de moi. Quant à vous, vous n'avez pas dû dormir du tout si j'en juge à votre mine.
- Non. Je n'y arrive jamais en voiture. Alors, cette nuit...
- Vous avez vu le Roi ?
- Et M. de Louvois. Tous deux sont tombés d'accord sur le fait que certain nom ne devait être prononcé à aucun prix, en particulier associé à ce que tu sais.
- Ça je l'aurais parié. Que fait-on alors ?
- Plus grand-chose. On brûle la Filastre, préalablement étranglée par Guillaume, et point final !
- C’est-à-dire ?
- Que l’on n’appréhende plus personne, que l’on tient en geôle sévère les Mauvoisin, Guibourg et consorts et que les magistrats de la Chambre ardente vont pouvoir se reposer.
- Le tribunal est dissous ?
- Seulement suspendu. Jusqu'à quand ? C’est une autre histoire...
- J’ai bien entendu : nous avons l'ordre de ne plus arrêter qui que ce soit ?
- Tes oreilles sont excellentes. L’ordre est formel !
- Par tous les diables de l’enfer !
Alban semblait furieux tout à coup. Après avoir frappé sa paume gauche de son poing droit, il s’était mis à arpenter les dalles usées qui résonnaient sous ses talons. La Reynie le regarda s'agiter un moment puis, se laissant aller contre le dossier de son fauteuil, il frotta ses yeux fatigués en soupirant:
- Si tu me disais pourquoi cela te contrarie à ce point ? Tu avais quelqu'un en vue ?
- Plutôt oui ! Je comptais coffrer aujourd’hui même la baronne de Fontenac !
- La mère de...
- Exactement ! Hier au soir, tandis que vous galopiez en direction de Versailles, une vieille dame m’est venue voir chez moi...
- Rue Beautreillis ?
- Je n’ai pas d’autre chez moi. Mais il n’y a là rien d’étonnant : mon adresse n’est pas un secret et elle est venue ici auparavant où on la lui a donnée.
- Et qu’avait-elle de si urgent à te dire ?
- Oh presque rien ! Sinon que feu Mme de Brécourt avait tout à fait raison de soupçonner sa belle-sœur d’avoir empoisonné son époux.
- Par tous les saints du Paradis !...
Bien réveillé, La Reynie s'accouda sur son bureau, ce qui mit son visage à peu de distance de celui du jeune homme :
- Elle t’en a donné la preuve ?
- Bien sûr que non. Elle veut d’abord que l’on assure sa sécurité et même son existence quotidienne. La Fontenac l’a jetée à la rue sans autre bagage que ses hardes et sans un liard en poche.
- Alors qu’en as-tu fait ?
- Elle est restée chez moi. Je n’avais pas le choix dans l’état d’épuisement où elle était. Venir de Saint-Germain à pied en mangeant seulement deux pommes grappillées sur le chemin c’est une rude épreuve. Surtout quand on n’a plus vingt ans.
- Tu veux dire... qu'elle a couché chez toi ? Tu n’es pas un peu fou ?
- Je ne vois pas où est le mal. Elle doit compter la soixantaine, elle est à peine plus grosse qu’une souris et elle ne tenait debout que par l’opération du Saint-Esprit. Je n’allais pas la rejeter dans les ténèbres extérieures alors que la place ne me manque pas puisque que j’habite la maison que m’a léguée, comme vous le savez, mon oncle le Procureur et que j’y vis seul depuis la mort d’Eusèbe, son valet, qui était presque aussi vieux que lui.
"On a tué la Reine!" отзывы
Отзывы читателей о книге "On a tué la Reine!". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "On a tué la Reine!" друзьям в соцсетях.