- La duchesse vit encore jusqu'à présent et, en juin dernier, elle a reparu à la Cour avec un éclat qui lui a ramené le Roi.
- Eclat qui s'est singulièrement terni au fil des jours. Les pertes de sang ont repris accompagnées d'autres malaises. Il a fallu qu'elle reparte se faire soigner par le prieur de Cabrières... Ce qui apporte de l'eau au moulin de la fille Voisin...
- Il y a quelque chose que je ne comprends pas. Le Roi semble avoir repris du goût pour Mme de Montespan. En la chargeant, la fille Voisin joue gros...
- Elle le sait mais elle se dit qu'elle n'a plus rien à perdre et elle veut venger sa mère. Selon elle, la belle Athénaïs aurait promis à la Voisin de la sauver du bûcher si elle se taisait. La sorcière y a cru jusqu’au dernier moment. Elle s’est débattue comme une forcenée en voyant qu’on la liait. Elle hurlait mais quand les flammes ont commencé à la cerner, elle s’est tue... Je pense qu’André Guillaume, le bourreau, l’a assommée à l’aide d’un rondin. Il faut dire qu’il avait été son amant...
- Un bourreau sentimental ? C’est nouveau ça ?
- Sentimental ou acheté. Ou les deux... Quoi qu’il en soit, vraies ou fausses, les accusations de la fille Voisin, que toute la Chambre ardente a entendues aussi clairement que moi, me mettent dans une situation difficile...
- Parce que la Montespan est encore la maîtresse du Roi? La comtesse de Soissons, la belle Olympe Mancini nièce de Mazarin, l'a été elle aussi. Pourtant vous n’avez pas hésité à lancer un ordre d’arrestation...
- ... Mais, discrètement prévenue, elle a pu s'enfuir !
- On peut recommencer la même stratégie ?
- Non. Celle-là n'avait pas d’enfants du Roi... et des enfants légitimés qui plus est ! Le scandale serait énorme... La seule conduite à tenir pour moi est d'aller en référer au Roi et au plus tôt. Les travaux de la Chambre sont momentanément suspendus... Je vais trier les pièces les plus importantes et, dès demain, je vais à Saint-Germain pour une audience privée...
- Si vous allez à Saint-Germain vous n'y verrez pas Sa Majesté. C'est à Versailles qu'il faut vous rendre !
- A Versailles ? Tu en es sûr ?
- Certain. On y donne une série de fêtes en l'honneur de Madame la Dauphine, je crois. Vous savez que le Roi y séjourne de temps en temps. Ne fût-ce que pour surveiller les nouveaux travaux qu'il ne cesse de commander.
- Comment le sais-tu ?
Delalande offrit à son chef son curieux sourire en coin :
- Parce qu'il m'arrive d’endosser parfois la livrée des garçons bleus ou n'importe quel uniforme. Cela permet d’en apprendre énormément...
- Ce qui veut dire que tu y seras ?
- D'autant plus que les gens de Saint-Cloud sont priés de prendre part aux festivités. Lorsque Sa Majesté reçoit, Elle entend que sa cour soit au complet et fasse en sorte d’y briller de mille feux. Même si elle est obligée de se loger comme elle le peut sous les combles ou dans des pièces à peine achevées... Et, malgré ces menus inconvénients, la bonne humeur et la mine ravie sont d'obligation !
Ni l'une ni l'autre ne furent au rendez-vous chez Madame en entendant son époux lui annoncer que l'on allait festoyer à Versailles. Elle détestait le grand palais dont elle pensait qu'il ne s'achèverait jamais parce que Louis XIV semblait prendre un malin plaisir à changer les plans selon son caprice, n'hésitant pas à faire démolir ce que l'on avait construit la veille pour échafauder autre chose de plus grand, de plus beau et de plus cher. Ainsi de la belle terrasse enjolivée d'orangers qui reliait l'appartement du Roi à celui de la Reine. Depuis deux ans elle avait cessé de plaire et l’on montait, devant la façade flambant neuve que l’on occultait, une immense galerie où un véritable mur de glaces ferait face à de hautes fenêtres[12]. Le plafond, confié au peintre Le Brun, devait glorifier l’histoire du règne. Le tout au désespoir du ministre Colbert, surintendant des Bâtiments royaux, qui ne cessait de payer les factures astronomiques du maître.
- Je déteste cette campagne plate et envahie de marais où on n'échappe aux moustiques que pour tomber dans des fondrières ! Se plaignit-elle.
- Vous n’avez pas entièrement tort, plaida Monsieur. Admettez cependant que nos appartements y sont beaux et bien agencés...
- Il ne manquerait plus que l’on nous y loge dans des galetas. Nous sommes ses frère et sœur, que Diable ! En tout cas ne comptez pas me demander, ainsi que vous le fîtes la dernière fois, de vous céder une partie de mes chambres pour y mettre votre précieux chevalier de Lorraine !
- Que vous êtes donc dure et injuste ! Gémit Monsieur. Un homme exquis, le meilleur de mes amis et vous devriez prendre en considération le fait que...
- Rien du tout ! Brisons là et qu’il n’en soit plus question sinon je reviens coucher ici tous les soirs ! Ce n’est pas si loin !
- En effet, mais mon royal frère n’apprécierait pas. Dieu sait pourquoi il préfère votre compagnie à la mienne ! ajouta Monsieur avec aigreur.
- Peut-être parce que je l’entretiens d'autres sujets que de ses ajustements ?
- Les chevaux, les chiens, la chasse, je sais, récita Monsieur. Et... à propos d'ajustements, comptez-vous emporter ce beau collier de diamants qu’il vous a offert à l’occasion de notre mariage ? Il me semble... -
- Qu’il irait à merveille avec la dernière création de votre tailleur ? Prenez-le si cela peut vous faire plaisir... mais à la condition que le chevalier couche ailleurs que chez moi !
Ce marché ainsi conclu on se sépara pour vaquer aux préparatifs du départ. Charlotte, depuis sa visite à l’hôtel de Brécourt, arborant ce qu’elle possédait de plus sombre et un ruban de crêpe noir à l’épaule, demanda l’autorisation de rester à Saint-Cloud, alléguant que son deuil, pour discret qu’il soit, serait déplacé au milieu des falbalas et qu’elle ne souhaitait pas se faire remarquer... Lydie de Theobon lui rit au nez.
- Par qui, mon Dieu ? Quand le Roi donne une fête à Versailles, il invite non seulement sa cour et celle de Monsieur, mais aussi le ban et l’arrière-ban de la noblesse des environs... Vous passerez dans le lot !
- Si le château se construit au milieu d’un désert, cela ne devrait pas faire grand monde !
- Détrompez-vous ! Sachez d’abord qu’auprès du palais on édifie une ville où les noms les plus illustres se font bâtir de magnifiques hôtels. Les plus proches sont ceux de Noailles, de Quitry et de Luynes, mais il y a aussi les princes de Condé, Conti, Bouillon, Longueville... et j’en oublie. Croyez-moi nous aurons de la chance si nous parvenons à obtenir une place convenable pour assister aux spectacles qui auront lieu surtout dans l’Orangerie, les jardins, les grottes du parc ou le Grand Canal. S’il y a bal... eh bien vous resterez dans notre chambre, voilà tout !
Quant au sortir du bois de Fosse-Repose on aperçut Versailles, Charlotte trouva que Madame était difficile. Certes, Saint-Cloud était la plus charmante résidence qui soit, mais ce qui était en train de devenir le palais du Roi-Soleil promettait d’être une merveille. L’étirement de ses longs bâtiments roses côté ville, blancs côté jardins, même inachevés comme en ce moment où des chantiers s’activaient encore à plusieurs endroits, promettait une majesté sans pareille. Derrière, à la limite des jardins, un canal bleu filait vers l’horizon où il se perdait. Devant le château, la ville s’élevait en bordure de trois larges avenues tracées en éventail, une ville sans masures et sans misère, uniquement composée de nobles hôtels en pierre blanche tous pourvus de jardins. Il y avait aussi des bâtiments administratifs, des casernes, de grandes écuries et l’ensemble était du goût le plus sûr. Le beau soleil du mois d’août faisait briller les grilles dorées et les ardoises neuves des toits.
Cécile de Neuville, qui n’y venait pas pour la première fois, faisait à Charlotte les honneurs de ce rêve de pierre en gestation. L’une des filles du service des petites Mesdemoiselles étant souffrante, elle avait obtenu de Madame que Charlotte la remplaçât. Ce qui enchantait celle-ci : au moins elle serait à l’écart du flot tumultueux de la Cour et pourrait assister aux divers spectacles annoncés sans participer aux bals incompatibles avec le deuil qu’elle ne voulait pas quitter de sitôt... De même elle fut enchantée de l'habitation « provisoire » de Madame et de ses femmes au rez-de-chaussée du palais, sous l'appartement encore inachevé de la Reine. Monsieur et les siens logeaient sous l’appartement de Louis XIV. Cela donnait entière latitude à Charlotte de sortir dans des jardins qu’elle jugea d’emblée fascinants. L’art de celui que l’on appelait déjà le grand Le Nôtre s’y épanouissait en parterres fleuris, boulingrins, arbres taillés en plateaux, murs végétaux abritant des allées ressemblant à des passages secrets, miroirs d’eau d’où jaillissaient des fontaines, statues de marbre et ifs taillés en « topiaires », c'est-à-dire suivant des formes tout à fait inhabituelles, bosquets quasi impénétrables offrant des asiles mystérieux. Elle se promit de s'y promener le plus possible quand la Cour se presserait aux spectacles et divertissements ordonnés par le Roi.
Il y avait, en effet, beaucoup plus de monde que lors du mariage de la reine d’Espagne ou pendant le récent séjour à Fontainebleau et, de tous ces gens, c’était à qui brillerait le plus dans des atours de fête. Sur ce chapitre on pouvait difficilement battre Monsieur et ses gentilshommes. Le premier tout cousu de rubis, de diamants et de rubans moirés rouge et or ressemblait à une éruption volcanique. En outre, il était tellement content de lui qu’il rayonnait positivement. Même le Roi, qui, ce soir, donnait la main à Madame la Dauphine, ne le surpassait pas. Sachant les goûts de sa belle-fille pour les couleurs automnales, Louis XIV portait un habit de velours brun et de drap d’or sur lequel scintillait le seul ordre du Saint-Esprit.
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