- Pauvre fille ! Soupira Madame en se réinstallant un peu brusquement dans son fauteuil qui protesta. J’ai bien peur que son beau rêve ne soit désormais en miettes ! Le mal dont elle souffre est de ceux qui s’opposent aux relations normales entre amants. Le Roi a éprouvé pour elle la plus folle des passions. Plus forte, je pense, que celle qu’Athénaïs avait suscitée. Il a été fou de sa jeunesse, de sa beauté tellement parfaite que toutes les autres disparaissaient auprès d’elle. A part lui élever une statue il a commis toutes les folies pour elle, au point que la Reine en a tremblé. Seulement, comme les hommes dotés de gros appétits, Sa Majesté a besoin de partenaires à la mesure de cet appétit... et la maladie le fait fuir... Quand Fontanges est revenue de Maubuisson guérie - du moins en apparence ! - le feu a repris de plus belle mais si le mal est revenu...
- Madame a le sentiment qu’il va se détourner d'elle ? murmura Theobon. D’après Charlotte il reviendrait à Mme de Montespan.
- C'est ce que m’a dit Mme de Fontanges, appuya celle-ci.
- Rien d’étonnant à cela. La belle Athénaïs a peut-être vingt ans de plus que sa rivale mais elle n’a rien perdu de son éclat, ni de son esprit - un point faible chez Fontanges ! -, ni de sa vitalité... et elle jouit d’une santé de fer ! En perdant sa fraîcheur notre jolie fleur des monts d’Auvergne perd de sa beauté. Je crains fort qu’elle n’appartienne désormais au passé. Mais allez donc la voir comme elle vous le demande, petite, puisqu’il semble que vous ayez le pouvoir de lui faire du bien...
Et la messagère fut priée de venir chercher Mlle de Fontenac à quatre heures...
Le moment était bien choisi. L'orage de la nuit, s’il avait abattu quelques arbres et donné un surcroît de travail aux jardiniers, avait desserré l’étau de la chaleur, nettoyé le ciel et incité le Roi, les dames et la Cour à une promenade en forêt pour aller goûter au bord de la Seine. En suivant la jeune fille qu’on lui avait envoyée, Charlotte ne rencontra pratiquement personne et, étant inconnue à la Cour, n'éveilla aucune curiosité.
Proche de celui du Roi, l’appartement de la duchesse était l’un des plus beaux de l’étage et donnait à la fois sur la Cour ovale et le jardin de Diane mais il était presque désert quand Charlotte y pénétra. Pourtant, après avoir traversé l’antichambre et atteint un élégant cabinet tendu de brocatelle et abondamment fleuri, son guide lui fit signe de s'arrêter. La porte qui devait donner sur la chambre était entrouverte. Suffisamment pour laisser venir jusqu'à la visiteuse le ronronnement d'une voix au timbre assourdi couvrant mal l'écho de sanglots... Le cicérone de Charlotte eut un mouvement d'effroi qui déboucha sur un début d'affolement. Charlotte crut un instant qu'on allait lui faire rebrousser chemin, mais il n'en fut rien. On lui conseilla de rester là, dans l'embrasure d'une fenêtre, et d'attendre sans faire de bruit.
- L'heure est peut-être mal choisie, souffla-t-elle. Si la duchesse s’entretient avec son confesseur...
La voix qu'elle percevait était en effet basse, feutrée, comme celle d’un prêtre en train d’exhorter...
- Non, ce n’est pas un prêtre et je ne pense pas que cela dure longtemps. Ne bougez pas et attendez sans vous faire remarquer ! Je reviendrai vous chercher...
Sur ces mots la suivante s’éclipsa par une porte latérale laissant Charlotte dans son coin de fenêtre. Le ronronnement lénifiant continuait, les pleurs aussi d’ailleurs qui à mesure devenaient plus bruyants. Et soudain - ce fut un cri de révolte ! -, elle entendit :
- Mais, Madame, vous me parlez de quitter un amour comme on quitte un habit ! Jamais !... Jamais !
- Vous y serez contrainte. Autant vous donner la gloire de partir de vous-même ! Dieu a des grâces pour les âmes qui savent se soumettre à sa volonté...
- Où prenez-vous que Dieu exige le sacrifice de mon amour ? Le Seigneur n’a-t-il pas dit « Aimez-vous les uns les autres » ? J’aime, moi, et de toute mon âme !...
- Vous interprétez à votre profit mais regardez donc la vérité en face !
- Quelle vérité ?
- Vous vous êtes crue guérie et vous ne l’êtes pas. Vous n’avez pas vingt ans et vous perdez déjà votre beauté ! Ne vous y trompez pas ! C’est là un signe ! Votre amant ne supportera pas de vous voir vous flétrir à ses côtés ! Partez quand on peut encore vous regarder avec plaisir !... Il vous pleurera... un peu, ce qui est beaucoup chez lui !
- Est-ce lui qui vous a demandé de venir me dire tout cela ?
- Non. C’est l'intérêt que je vous porte ! Croyez-moi ! Partez quand il est encore temps !
Cette fois, il n’y eut d’autre réponse que de nouveaux sanglots. Dans l’embrasure de sa fenêtre Charlotte sentait monter en elle une vague d’indignation. Cette pauvre fille déjà ravagée par le chagrin n’avait nul besoin qu’une quelconque pécore vînt lui interdire les portes de l’espérance. N’écoutant que son indignation elle s'apprêtait à s’élancer au secours de la malheureuse duchesse quand la porte s’ouvrit sous la main d’une femme dont l’aspect la figea. Grande, un peu forte, elle n’était plus jeune mais belle encore, présentant un visage aux traits réguliers où les premières rides ne marquaient que légèrement une peau ivoirine. Les yeux noirs étaient magnifiques mais difficilement déchiffrables sous les paupières qui les voilaient par instants. La bouche était petite, charnue, pulpeuse même, mais avec quelque chose d’obstiné. Quand cette femme avait une idée en tête il devait être ardu de l’en faire démordre en dépit de l’expression douce, voire bénigne de ses traits. Elle était entièrement vêtue d’épaisse soie noire sans la moindre broderie d’or mais relevée par la blancheur des dentelles en point de France moussant à ses manches, à son modeste décolleté et composant la haute fontange couronnant ses cheveux noirs où paraissaient de discrètes mèches grises. Entre ses mains gantées, elle tenait un missel.
Ne s’attendant pas à trouver quelqu'un dans cette antichambre naguère encore la plus fréquentée des palais royaux, la dame s’immobilisa à la vue de Charlotte qu’elle dévisagea en relevant un sourcil surpris. L’âge de la dame exigeait que la jeune fille saluât, ce dont elle s'acquitta :
- Qui êtes-vous ? demanda l’inconnue.
- Mademoiselle de Fontenac, des filles d’honneur de Son Altesse Royale Madame la duchesse d'Orléans...
- Et vous venez voir Mme de Fontanges ? Avez-vous un message ?
Fidèle à elle-même, Charlotte lui aurait volontiers répondu de s’occuper de ce qui la regardait mais, après le dialogue qu'elle venait de surprendre, elle devinait une puissance plus ou moins occulte peut-être mais réelle dans cette femme :
- Madame la duchesse attend ma visite, se contenta-t-elle de répondre.
- Seriez-vous de ses amies... quoiqu’elle n'en ait guère ?
- Tout dépend de ce que l’on entend par « amie ». Je la plains sincèrement...
- Et vous faites bien ! En ce cas, essayez de lui montrer la voie de la raison. Elle est malade... et ce n'est pas à la Cour qu'il convient de se soigner...
Ayant dit, la dame offrit en guise de salut une brève inclinaison de sa coiffure de dentelle et passa son chemin. La courte traîne de sa robe ondula un instant sur le seuil de la porte, glissant silencieusement comme une grosse couleuvre noire...
Ainsi qu'elle s’y attendait, Charlotte trouva Fontanges pleurant toutes" les larmes de son corps, effondrée sur son immense lit tendu d’azur et d’or au milieu de ses femmes impuissantes. A celle qui l’avait introduite, Charlotte demanda qui était la dame dont la visite avait déchaîné ce paroxysme de désespoir. L’autre la regarda, effarée :
- Vous ne la connaissez pas ?
- Le devrais-je ?
- C’est que tout le monde la connaît à la Cour. On dit même qu’elle va remplacer notre pauvre duchesse dans les bonnes grâces du Roi. En un mot c’est Mme la marquise de Maintenon...
- Ah !
- On ne l’aime guère par ici, reprit son interlocutrice avec aigreur.
Charlotte n’ajouta rien. Madame Palatine, elle le savait, détestait sans prendre la peine de s’en cacher celle dont l’influence sur le Roi semblait grandir de jour en jour. Ayant vu l’ex-Mme Scarron, elle comprenait mieux l’aversion d’une « Liselotte » toute d’une pièce, franche jusqu’à la brutalité mais profondément bonne, pour cette femme un brin trop discrète, dont le visage se voulait empreint d’une douceur angélique que démentait par instants la dureté d’un regard de jais.
De quoi s’était-elle mêlée en venant prêcher à la pauvre Fontanges si péniblement atteinte dans ses entrailles le renoncement, la mise à l’écart sans nuances ? Le Roi l'avait-il mandatée ? Pour ce qu’elle savait de lui d’après les propos de Madame, sa fervente admiratrice, cela ne lui ressemblait pas. Mais si elle n’avait pas agi sur ordre, il fallait que cette Maintenon soit bien sûre de ne pas être démentie.
Auquel cas peut-être conviendrait-il de tenir compte du regard appuyé que la dame avait fait peser sur elle et qui, lui, n’avait rien de bénin. Charlotte remit à plus tard l’examen de la question. Un vent de panique se levait parmi les femmes de Fontanges. L'une d’elles s'écria :
- On ne peut pas la ranimer ! Un médecin, vite !
Deux caméristes sortirent en courant. Charlotte dont personne ne s’occupait plus jugea qu’il était temps pour elle de se retirer, quitte à envoyer plus tard prendre des nouvelles. Elle se contenta de dire à celle qui l’avait amenée :
- Si la duchesse me demande, n’hésitez pas à venir me chercher... quelle que soit l’heure.
En quittant cet appartement luxueux où les témoins de ce drame semblaient plongés dans une sincère affliction, elle fut choquée par l’écho de la fête qui se déroulait dans ce château qu’elle ne connaissait pas assez pour en situer l’endroit mais qui lui parut proche. Là, à deux pas, les violons faisaient rage et l’on devait danser.
"On a tué la Reine!" отзывы
Отзывы читателей о книге "On a tué la Reine!". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "On a tué la Reine!" друзьям в соцсетях.