- La plus chargée d’honneurs - huit chevaux à mon carrosse quand la Reine n’en a que six, un appartement de vingt pièces, le tabouret de duchesse. Il m’a mise si haut que tous m’enviaient...
- Trop peut-être ? Hasarda Charlotte, mais la désolée ne l’écoutait pas, reprise par le fil de ses regrets.
- Lorsqu’en ces lieux mêmes, l’an passé, il a marié Mademoiselle sa nièce au roi d’Espagne, on me regardait plus qu’elle tant j’étais resplendissante ! Oh ! C’était si merveilleux! Quelles belles fêtes !
- Sauf pour celle qui en était l’héroïne. Elle était loin d’être heureuse, elle !
- Comment est-ce possible ? Elle allait porter couronne dans un pays où l’or des Amériques coule à flots m’a-t-on dit?
- Je crois qu’il y coule beaucoup moins ces derniers temps. En outre la couronne et l’argent n’ont jamais été garants du moindre bonheur et notre princesse n’en a même pas rencontré un aperçu. C’est affreux d’épouser un homme que l’on ne peut aimer !
- On le dit jeune... et il est roi ! N’est-ce pas le plus important ?
« Allons, se dit Charlotte en étouffant un soupir. Elle ne changera jamais ! Inutile d’expliquer ! » Elle se contenta de demander :
- Auriez-vous aimé le Roi s’il n'était notre souverain ?
- Oh oui ! Il est beau, il a si grand air et il sait si bien aimer...
- Eh bien, voyez-vous, Charles II d’Espagne n’a rien de tout cela, hormis le règne. Il est laid, presque repoussant et débile...
- Ah bon ? Lors du mariage, je ne voyais pas les choses sous cet angle...
- Vous étiez trop occupée de votre propre bonheur.
Le dernier mot était sans doute superfétatoire. Il servit de déclencheur à une nouvelle avalanche de larmes :
- Regardez ce qu’il en reste ! J’ai cru atteindre à la suprême félicité lorsque j’ai su que je portais un enfant... son enfant ! Et j’ai attendu avec impatience le jour qui me sacrerait mère d’un prince... mais il n’y a pas eu de triomphe... Seulement une éternité... de souffrances atroces... Pour rien puisque mon fils n’a pas vécu. Ensuite j’ai éprouvé un grand mal, parce que j’ai été blessée juste avant la délivrance... Le sang ! Je perdais mon sang...
- Je sais, dit gentiment Charlotte, mais on a parlé d’une cure miraculeuse dont vous auriez bénéficié dans je ne me souviens plus quelle abbaye...
- Maubuisson !... Certes, j’en ai reçu un immense soulagement et le prieur de Cabrières qui me soignait est un grand homme, mais que peuvent sa science et sa bonté contre le mal que me veulent faire mes ennemis ?...
- Vos ennemis ? En avez-vous donc ?
Une poussée de colère sécha les larmes de la jeune duchesse et elle tourna vers sa compagne un regard courroucé:
- Je devrais dire mon ennemie ! Car, en fait, je n'en ai qu’une mais si redoutable !...
- La nommeriez-vous ?
- Oh, ce n’est un secret pour personne ! La marquise de Montespan me hait de toutes ses forces...
- Elle ? Mais... n’était-elle pas votre bienfaitrice, votre amie, votre espérance même à l’époque où vous étiez encore au Palais-Royal ? Je me remémore votre retour nocturne lorsque nous avons fait connaissance. Vous ne tarissiez pas d’éloges ni d’admiration pour elle. Je me trompe ou n'a-t-elle pas ouvert devant vous, en vous invitant chez elle, le chemin du Roi ?
- En effet... et je le reconnais bien volontiers... mais elle obéissait à un calcul d’intérêt. Notre Sire la voyait moins... l’aimait moins certainement car il prenait plaisir à converser avec Mme de Maintenon, une femme si paisible... et qui le reposait des hauteurs et des reproches dont la marquise ne cessait de l’abreuver. J’ai appris par la suite qu’elle souhaitait que le Roi se prît de goût pour moi, pour ma jeunesse dans le but de le détourner de cette dame qui n’est pas jeune et qui, si elle possède encore quelque beauté, ne saurait se comparer à moi... Et dès le début elle a pu s'estimer satisfaite mais elle n’a pas prévu ce qui est arrivé : le Roi s’est pris pour moi d’une vraie passion que je lui ai rendue de tout mon cœur et de tout mon corps ! Quelles heures divines nous avons connues ensemble ! Je lui rendais sa jeunesse et en échange il me donnait le monde !
Un peu perplexe, Charlotte regardait cette éblouissante créature, véritable apparition de conte de fées, qui pleurait comme une fontaine sous une fortune en diamants...
- Mais... Vous en avez connu d'autres depuis votre retour de Maubuisson. On a parlé de votre réapparition triomphante. Toutes vos rivales seraient rejetées dans les ténèbres extérieures, vous laissant seule dans la lumière du soleil...
- Quand je suis revenue c'était vrai, mais cela ne l’est plus. Elle a recommencé... et je sens le mal qui me reprend...
- Qui a recommencé ? Et quoi ?
- La Montespan, voyons, et les pratiques infâmes qu'elle cherchait auprès de cette horrible sorcière, la Voisin, que l’on a brûlée cet hiver. Des billets sans signature m'ont prévenue : elle possède des poudres, des onguents dont elle se sert contre moi. Ses suivantes, Mlle des Œillets et la Catheau, en ont fait des provisions et...
- Prenez garde, je vous en prie ! Songez à ce que vous dites ! Vous accusez la marquise de... vous faire empoisonner?
- Et quoi d'autre ? Le prieur de Cabrières m'avait guérie, je suis revenue délivrée, heureuse, le bonheur me revenait, à nouveau j'étais la mieux aimée, la favorite plus que reine ! Quelques jours où tout revenait à moi... et puis le mal a fait sa réapparition. A nouveau des migraines... des nausées...
- Etes-vous certaine de n'être pas en attente d’enfant ?
Fontanges eut un rire amer :
- J’en suis sûre, hélas, car il y a le sang... le sang qui recommence à s’échapper de moi... Je l’ai senti tout à l’heure et ma robe doit être tachée... alors j’ai jeté mes cartes et, sans m’excuser, je me suis enfuie. Personne n’a fait attention à moi sauf mon partenaire qui a demandé ce que j’avais, mais le Roi ne s’en est même pas aperçu. Il riait avec la Montespan...
- Mais pourquoi être venue ici ? Il fait si sombre... et l’orage menace...
Un coup de tonnerre, plus proche, souligna ses paroles. Il ne pleuvait toujours pas, pourtant Charlotte pensa qu’il fallait mettre cette pauvre fille à l’abri.
- Venez ! dit-elle en prenant sa main pour l’aider à se relever. Je vais vous ramener chez vous sinon vous ne tarderez pas à être trempée !
- Mais... ma robe ? Je vous l’ai dit : elle est souillée et...
- Un, il fait nuit. Deux, je vais vous mettre cela !
Et ôtant son léger vêtement de taffetas vert, elle le jeta sur les épaules d’Angélique, noua les rubans sous son menton et offrit son bras :
- Là ! Appuyez-vous sur moi et nous allons rentrer tranquillement mais vous nous guiderez ! Je ne connais pas assez le château pour savoir où se trouve votre appartement.
- Près de celui du Roi, voyons !
- Malheureusement, je ne sais pas non plus où loge Sa Majesté. En dehors de la cour des Princes et des jardins alentour, j’ai tendance à me perdre dans cet immense palais...
- Que sera-ce alors quand vous irez à Versailles ? Le plus grand palais qui existe sous le soleil, un monde de merveilles à l’image de celui qui l’a suscité. Nous y sommes allés seuls, tous les deux, et c’est lui qui me l’a fait visiter... Si vous voyiez l’appartement qui m’est destiné !... Oh, c’est un rêve !
- Et vous pleurez ? Vous désespérez ? Que la Cour n’habitât pas encore ce palais et que votre place y soit déjà marquée devrait vous rassurer sur les sentiments du Roi.
- Vous croyez ?
- C’est l’évidence il me semble...
- C’est vrai... mais me laissera-t-on vivre jusque-là ?
- Avez-vous confiance en vos serviteurs et votre entourage ?
- Oui ! Je les crois fidèles et dévoués, mais comment se protéger des objets de tous les jours ? D’un mouchoir au milieu d’une pile, d’une paire de gants, d’une chemise... ou d’un gâteau que l’on partage avec vous. On m’a dit qu’en passant du poison sur un côté de la lame d’un couteau, l’on pouvait tuer son ennemie sans hésiter à manger ce même gâteau avec elle... ?
- Demandez à rencontrer M. de La Reynie et confiez-lui vos doutes... et puis pourquoi ne pas reprendre cette cure si bienfaisante dont vous m’avez parlé ?
- J’y ai pensé mais retourner à Maubuisson... si loin de mon roi !
Elle était à la fois pitoyable et décourageante dans son désir pathétique de retrouver l’éblouissement de naguère tout en redoutant la main silencieuse qui portait la mort...
- Je suis trop jeune peut-être pour en juger mais quand j’ai rencontré Mme de Montespan, reprit Charlotte, l’hypocrisie ne m’a guère paru lui convenir. Elle est trop fière pour cela ! Il me semble avoir entendu dire qu’il lui arrivait de disputer le Roi en personne ?
- C’est vrai ! De son orgueil elle tire toutes les audaces... Elle est une très grande dame et elle ne le sait que trop ! Pourtant... - et la jeune femme baissa la voix jusqu’au murmure - elle aurait été une cliente de la Voisin et en aurait obtenu... des choses affreuses... comme des messes noires...
Au souvenir que Fontanges évoquait, sans le savoir, Charlotte sentit un frisson la parcourir. Avec cette netteté qu’inspirent les images d’horreur, elle revit la chapelle perdue dans le bois, les braseros crachant presque autant de fumée que de chaleur, le vieux prêtre borgne et boiteux élevant un calice noir au-dessus du ventre dénudé d’une femme dont la chair blonde, opulente et lumineuse l’avait frappée. Elle revit la tache de sang glissant étroite et sombre telle une couleuvre. Elle entendit également la voix, étouffée mais impérieuse, d’Alban lui intimant l’ordre d’oublier cette scène, de n’y jamais faire allusion devant qui que ce soit sous peine de mort !... La mort parce qu’une bourgeoise avait partie liée avec les pires criminels ? Allons donc !... Et puis il y avait cette prière adressée à Satan au moment le plus abominable. Qu’était-ce donc ? Ah oui ! « La perte de la Maintenon... celle aussi de la Reine afin de pouvoir épouser le Roi... » Sur l’instant elle n’y avait rien compris parce que ces gens étaient à cent coudées de son univers, mais en écoutant la plainte de la favorite, les faits, les visages se mettaient curieusement en place. Et si c’était la Montespan qui avait osé livrer son corps à ces mains sacrilèges pour obtenir la destruction de tout ce qui pouvait se dresser entre le Roi et elle?... Cela expliquerait la sévérité des défenses d'Alban Delalande. Maîtresse passée ou encore en faveur, la marquise n’en demeurait pas moins la mère de plusieurs enfants reconnus par leur royal père. Y toucher devait équivaloir à un arrêt de mort !... D’un autre côté, la Montespan était mariée...
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