L’idée l’effleura de passer d’abord chez la Reine avec qui elle entretenait les meilleures relations. A y réfléchir, le triste Charles II était son demi-frère mais au fond ce lien de parenté importait peu étant donné leur différence d’âge et le fait que leurs mères appartenaient à deux clans ennemis. En outre, la pauvre Marie-Thérèse, aux prises depuis des années avec les favorites successives de son époux, ne pouvait guère se targuer d’en avoir l’oreille. Enfin n’offrait-elle pas, depuis son mariage, l’image de la soumission aux volontés de Dieu d’abord, de son mari ensuite, se contentant d’opposer à la vie dissolue de Louis l’illustration parfaite d'une reine retranchée derrière sa dignité ainsi que celle d’une épouse exemplaire... et muette ! Sans doute plaindrait-elle beaucoup sa jeune belle-sœur, mais ne comprendrait pas qu’une souveraine pût vouloir se débarrasser de son époux comme de sa couronne...
Arrivée à destination, Madame envoya Theobon qui l’accompagnait faire préparer l’appartement réservé aux Orléans dans les résidences royales, puis apercevant M. de Saint-Vallier, capitaine des gardes de la porte, elle le fit appeler pour demander si le Roi était au château ou s’il chassait.
- Non, Votre Altesse Royale. Sa Majesté a pris froid hier et ses médecins lui ont conseillé de ne pas sortir. Elle est dans son cabinet où Elle reçoit Mme la marquise de Maintenon...
Madame fit la grimace. Elle détestait d’instinct cette femme, veuve d’un poète pervers qui avait su tracer son chemin depuis la modeste maison de Vaugirard où elle élevait les bâtards du Roi et de Mme de Montespan jusqu’à l’amitié dudit Roi dont elle semblait être devenue la conseillère occulte.
- Veuillez lui dire, s'il vous plaît, que je veux lui parler !
Le ton était raide. Saint-Vallier, qui n'aimait pas beaucoup lui non plus la « veuve Scarron », ne s’y trompa pas et dissimula un sourire :
- Bien sûr, Madame ! Tout de suite !
Ainsi qu'il s'y attendait, elle le suivit dans le bel escalier de pierre blanche menant aux appartements royaux. De si près qu'il pouvait sentir le parfum de roses dont elle avait usé abondamment. Contrairement à son habitude, Madame avait fait toilette et si elle ne portait pas le grand habit, du moins avait-elle renoncé à sa chère tenue de chasse au profit d'un assemblage de velours violet
- sa couleur préférée -, de satin blanc, de renard noir pour réchauffer le manteau et de ses splendides perles dont elle savait quelles plaisaient énormément à son beau-frère. Coiffée à la perfection, chaussée élégamment, Madame avait fort grand air. Elle en avait conscience, car cela lui semblait important pour la réussite de ses projets. Elle comprit qu'elle avait eu raison quand, au moment où elle s’approchait, la double porte du Roi s'ouvrit - à un seul battant ! - pour livrer passage à Mme de Maintenon dont les yeux noirs s'arrondirent de surprise en face de tant de splendeur palatine. Elle se hâta de plonger dans une profonde révérence à laquelle Madame, déployant son éventail comme s'il s'agissait de chasser quelque miasme, répondit par un bref signe de tête avant de franchir avec majesté les battants de la porte que deux valets ouvraient devant elle.
Debout près d'une grande table soutenant des maquettes de bâtiments, Louis XIV la regarda entrer, saluer, puis vint à elle pour la relever et baisa la main qu'il tenait :
- Ma sœur ! Quelle joie inattendue !... Et comme vous voilà belle ! ajouta-t-il sur un ton caressant qui la fit rougir comme une adolescente à son premier compliment, et du coup elle s'en voulut de s'être chargée de cette commission qui ne plairait certainement pas. Il y avait à présent tant d'années qu’elle était secrètement amoureuse de lui qu'elle aurait dû être capable de se prémunir contre ce genre de surprise ! Mais quand le vin est tiré il faut le boire !
Elle toussota pour s'éclaircir la voix et, s’asseyant sur un siège :
- M. de Saint-Vallier m'a dit que vous étiez souffrant, Sire. J'ai peine à le croire en vous voyant si élégant.
Louis XIV portait en effet ce jour-là un justaucorps de velours brun de la nuance exacte de ses cheveux, dont les larges parements et l’habit lui-même étaient ourlés d’une broderie au fil d’or sur lequel tranchait la blancheur de sa chemise aux poignets et au jabot de précieuse dentelle de Malines.
- Peu de chose en vérité et j’ai tort d’écouter mes médecins ! Surtout cet animal de D’Aquin ! Il me voit à la mort dès que j’éternue ! Toujours est-il qu’il m’a obligé de rester ici... ce dont je le remercie à présent puisque cela me vaut votre présence. En revanche... Je vous trouve bien sérieuse. M’en voudriez-vous encore pour le mariage du Dauphin ?
Un mois plus tôt en effet on avait célébré à Saint-Germain le mariage du gros prince Louis, qui - Dieu sait pourquoi ? - avait conquis le cœur de la pauvre Mademoiselle, avec Marie-Anne-Christine de Bavière, une cousine éloignée de Madame qui espérait lui voir épouser la fille de sa tante d’Osnabrück, une charmante enfant alors que la Bavaroise était laide. Défaut qui, chose étrange, avait paru séduire le Grand Dauphin. Comme quoi il ne faut jurer de rien en matière de sentiments !
- Du tout, Sire mon frère, j’en suis même fort éloignée car nous nous entendons fort bien, la nouvelle Dauphine et moi. Non, c’est de quelqu’un d’autre dont je viens vous entretenir.
- De qui ?
- De notre Mademoiselle ! Je veux dire de la reine d’Espagne. J’en ai reçu de fort mauvaises nouvelles car je ne crois pas qu’il y ait au monde une princesse plus malheureuse!
Le visage aimable de Louis XIV se ferma comme une fenêtre dont on a mis les volets :
- Elle vous a écrit ?
- Oui. Ce n’est pas la première fois mais ses précédentes réponses à mon courrier étaient fort différentes. En fait elle ne parlait que du temps qu’il faisait et de banalités. Aujourd’hui c'est un autre langage parce qu’elle a réussi à me faire tenir quelques lignes de sa main qui ont échappé à l’intolérable surveillance que fait peser sur elle la duchesse de Terranova, sa Camarera mayor. Elles n’étaient qu’un prélude à cette deuxième lettre destinée à Votre Majesté, conclut Madame en tirant de sa poche le pli scellé de rouge qu’elle offrit, consciente de l’inquiétant froncement de sourcils dont s’accompagna la réception.
Louis fit sauter le cachet, déplia l’épais papier, se renversa dans son fauteuil et se mit à lire. Madame observa non sans inquiétude que les rides de son front s’accentuaient peu à peu. Finalement, il se redressa en jetant la lettre sur le bureau.
- Vous savez ce qu’il y a là-dedans ?
- Pas tout sans doute mais principalement que cette enfant est malheureuse et qu’elle a peur !
- Elle est folle ! Que s’imagine-t-elle ? Que je vais écrire au Roi, son époux, pour lui apprendre que sa femme l’a pris en détestation et qu’elle veut se séparer de lui ? Cela ferait un beau scandale !
- Non. A ce que j’ai cru comprendre, elle désirerait que vous l’autorisiez à revenir en France sous un prétexte ou sous un autre et qu’ensuite sa présence puisse se prolonger. Le roi Charles ne semble pas destiné à vivre très longtemps...
- Excellente raison pour rester à sa place jusqu'à ce qu’il meure !
- Ce dont on ne saurait préjuger car c’est le secret de Dieu. Mais il faudrait prendre en compte la peur de Marie-Louise. Elle vit actuellement en milieu hostile. Tout le monde en ce pays-là déteste les Français, à commencer par la reine mère... et le Roi lui-même. La Reine peut craindre chaque jour un mauvais procédé car elle est seule à l'exception d’une poignée de femmes françaises dont le rôle est purement décoratif. En outre elle ne pourrait se raccrocher à l'espérance d’une naissance qui ne se produira jamais. Il s’avère, en effet, que si son époux se montre amoureux presque à l’excès, il n’en demeure pas moins qu’il est impuissant.
- Vous ne m’apprenez rien, je le savais !
La surprise mit Madame debout :
- Ai-je bien entendu ? Le roi de France a livré sa nièce à un homme incapable de la rendre mère ? Savez-vous seulement, Sire, ce qu’il adviendra d’elle quand on attendra en vain que son ventre annonce un fruit ? Elle sera en grand péril, car, ne vous y trompez pas, jamais l’Espagne n’acceptera que le mal vienne de Charles, si débile soit-il. C’est elle que l’on accusera d’être stérile et l’on pourrait aller jusqu’à vouloir l’éliminer...
- Vous venez de le dire vous-même, ma sœur, Charles ne vivra pas vieux...
- Suffisamment peut-être pour que notre petite reine soit accusée de stérilité. Deux ou trois ans devraient suffire. Alors on n’hésitera pas à s’en débarrasser pour mettre à sa place une princesse tout aussi stérile mais qui aura l’immense avantage de n'être pas française. Une cousine Habsbourg... par exemple ?
- Ma sœur, veuillez d’abord vous calmer, vous rasseoir et m'écouter. Quelque touchante que soit cette lettre, quelque convaincants que soient vos arguments, ils ne sauraient infléchir ma politique. Je veux que lorsque Charles rejoindra son tombeau de l’Escorial, ce soit ma nièce qui marche derrière lui sous les voiles de deuil. Ce sera elle, alors, la reine régente et, comme la lignée de Charles Quint, celle des Habsbourg d'Espagne, sera éteinte, je pense être en mesure de peser sur le choix d'un nouveau roi. Qui pourrait épouser la veuve. Ce n'est pas à vous que j'apprendrai, ma sœur, combien Marie-Louise est jolie...
- Le sera-t-elle encore lorsqu’elle sera délivrée ?... On vieillit vite quand on est malheureuse !
- Allons, ma sœur, apaisez donc votre cœur tendre ! Je vais faire en sorte d'adoucir le sort d’une nièce qui m'est chère en envoyant dès aujourd’hui un courrier au marquis de Villars, notre ambassadeur à Madrid, pour qu’il prenne langue avec le duc de Medina Caeli, Premier ministre qui pallie assez heureusement aux... déficiences de son jeune roi. Celui-ci l’écoute volontiers et il saura lui faire entendre que l’on ne saurait livrer une fille de France aux tracasseries d’une duègne mesquine. Qu’il conviendrait aussi de lui offrir des distractions plus réjouissantes que la vue de cent cinquante Juifs se tordant, transformés en torches vivantes, dans les flammes d’un bûcher. De cela vous avez ma promesse... Vous n'allez pas vous mettre à pleurer ?
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