- C’est un joli nom ! Dans le roman de la Table ronde, on parle des landes de Bretagne...
- Je ne les connais pas... et mon nom s’écrit d’un seul mot, précisa-t-il sèchement. Allez rejoindre votre femme de chambre pendant que je vous fais chercher un fiacre.
Elle se dirigea vers la porte et se retourna :
- Pourquoi restez-vous ici ?
- Pour connaître ceux ou celles qui comme vous, et ignorant son sort, pourraient venir chez la Voisin. La servante a reçu des ordres sévères ! Je vous salue, Mademoiselle !
- Encore un mot, s'il vous plaît ? Vous avez bien dit, tout à l'heure, que vous aviez arrêté cette femme au sortir de la messe ?
- En effet. Ne vous y trompez pas, ces gens-là cachent leurs crimes sous les apparences les plus chrétiennes, voire les plus austères !
- C’est horrible !... Quant à moi je ne saurai jamais ce que l’avenir me réserve !
- C’est peut-être préférable ! A défaut vous pouvez toujours demander des nouvelles à votre miroir. Il devrait vous faire voir la vie en rose...
Il lui sourit de nouveau et pour être rare ce sourire n’en était que plus séduisant. L’ironie qu’il exprimait se teintait d’une gentillesse qui toucha Charlotte. Dans la voiture qui la ramenait au Palais-Royal avec Marie, elle y pensa tout au long du chemin... et n’entendit même pas les questions que lui posait sa compagne.
La première personne qu’elle rencontra dans le vestibule fut l’homme aux rubans bleus sommé, cette fois, d’un chapeau noir couvert de plumes blanches. La reconnaissant, il prit un air mystérieux pour s’approcher d’elle :
- Alors ? Chuchota-t-il. Vous y êtes allée ?
- Oui mais en vain, soupira-t-elle.
- Elle n’a pas voulu vous recevoir ?
- Elle aurait eu du mal : on l’a arrêtée à la sortie de la messe à Notre-Dame de Bonne-Nouvelle !
Il resta bouche bée sans avoir l’air de comprendre puis :
- Vous dites qu’on l’aurait... arrêtée ? C’est bien cela ?
- Tout à fait. Et conduite en prison. La Bastille, si j’ai compris ?
Elle crut qu'il allait se mettre à pleurer :
- Mais c’est une catastrophe ! Dieu sait ce que cette femme pourra avouer quand on l’interrogera avec les moyens que l’on sait !... Plus question de sortir ! Il faut que je prévienne...
Charlotte n’entendit pas la fin de la phrase : Saint-Forgeat ayant oublié sa préciosité galopait déjà dans l’escalier en brandissant, faute de mieux, une canne dont il ne savait plus que faire.
La nouvelle de l’arrestation de la Voisin traversa Paris comme une traînée de poudre et n’eut aucune peine à franchir la distance séparant la capitale du château de Saint-Germain. Le soir même d’ailleurs M. de La Reynie venait en informer le Roi. Depuis les précédentes arrestations survenues quelques semaines plus tôt - celles de la Vigoureux et de la Bosse -, l’inquiétude se glissait dans certains milieux de la ville. Vite accrue lorsque la Police s'empara d’une jeune et jolie femme de la meilleure société, Mme de Poulaillon, accusée d’avoir voulu empoisonner son vieux mari. C’était, depuis la Brinvilliers, la première noble dame que l’on jetait en prison et ceux qui avaient eu quelque accointance avec l’une ou l'autre des « sorcières » retinrent leur respiration, mais quand on sut la Voisin sous les verrous ainsi qu'un dénommé Lesage, l'inquiétude devint angoisse.
La Voisin possédait la plus belle clientèle de Paris et alentour. On chuchotait même que de hautes dames et de très nobles seigneurs avaient eu recours à elle. Deux épouses de membres du Parlement - et non des moindres -, la présidente Le Féron et Mme Dreux, furent conduites à la Bastille et l'événement créa dans Paris une vive émotion dont les vagues vinrent battre les grilles du Palais-Royal. Non pour s'en prendre au frère du Roi mais bien pour demander sa protection.
Il faut expliquer que les relations entre la capitale et Monsieur étaient radicalement opposées à celles entretenues par Paris avec le Roi. Cela tenait en trois mots : on respectait Louis XIV, on le craignait, mais on aimait Monsieur. Peut-être parce que lui aussi aimait Paris, s'y trouvait bien et entendait qu'on le sache alors que, depuis plusieurs années déjà, son frère avait abandonné ses palais parisiens sans esprit de retour. De caractère vindicatif, le Roi n'avait jamais pardonné les désordres de la Fronde où il avait pu mesurer, en dépit de son jeune âge, à quel point l'assise d'un trône pouvait être fragile. Il n'avait jamais oublié non plus les cris de haine adressés à sa mère à travers le cardinal Mazarin, d'autant plus exécré qu'on le croyait l'époux de la Reine. A ces mauvais souvenirs - et à quelques autres ! - se joignait depuis l'année précédente un amer sentiment de jalousie envers son frère, parfaitement indigne d'un si grand roi.
Afin de souligner cruellement le peu de valeur de Monsieur, Louis l'avait envoyé affronter en Flandre le redoutable ennemi qu’était Guillaume d'Orange, stathouder de Hollande. A la tête d'une armée de vingt mille hommes, le prince devait aller attaquer Saint-Omer avec, pour soutien, le médiocre stratège qu’était le maréchal d’Humières. La ville, mal défendue, était près de tomber quand une grave nouvelle parvint au camp français : Guillaume d’Orange en personne accourait à la rescousse à la tête d’une armée de trente mille soldats à laquelle devait se joindre un important corps espagnol. Alors, tous ceux qui étaient là, sur le terrain, purent voir ce spectacle d’autant plus inattendu qu’on ne l’eût jamais imaginé : Monsieur, le délicat, l’efféminé, la porcelaine précieuse, devinant la manœuvre du stathouder et faisant preuve d’une sorte de génie de la stratégie dont on était loin de le croire capable, enfourcha son cheval et mena lui-même, à la tête de l’armée électrisée, une charge furieuse qui le mit au contact du prince d’Orange.
Ce fut une mêlée digne des heures épiques de la chevalerie. A la fois général et soldat, Philippe d’Orléans reformait ses escadrons chaque fois qu’ils pliaient et luttait avec fureur l’épée au poing, toujours à la tête du combat, magnifique et transfiguré. Il reçut deux balles dans sa cuirasse, eut son cheval blessé sous lui mais remporta une éclatante victoire après laquelle il interdit le pillage et envoya médecins et infirmiers au secours des blessés à quelque parti qu’ils appartinssent. Or, son royal frère n’avait jamais emporté personnellement de victoire. Au lieu de l'en féliciter, il ne la pardonna pas à Monsieur[4]. D’autant moins qu’à son retour Paris fit au prince un véritable triomphe, comparant sa valeur à celle de son grand-père Henri IV dont les échos allèrent résonner douloureusement dans les oreilles du Roi.
Pour en revenir au soir des arrestations, Monsieur reçut une délégation de notables - certains allant même jusqu’à évoquer l’emprisonnement du conseiller Broussel qui avait déclenché la Fronde - et s’efforça d’en rassurer les membres : le Roi n’avait nulle intention de s’en prendre au Parlement ni aux édiles de la cité. Il s'agissait seulement d’exercer la justice et de poursuivre des criminels quel que soit leur rang. En outre, certains des délégués ayant avancé l’idée que le Parlement, désigné tout naturellement pour juger les coupables, pourrait montrer quelque indulgence à ceux le touchant d’assez près, il était question de créer une nouvelle juridiction, mais Monsieur n’en savait pas plus pour le moment.
Quelques jours plus tard, on apprenait qu’à la demande de son lieutenant général de Police, Louis XIV décrétait la mise en place d’un tribunal exceptionnel, installé à l’Arsenal et qui porterait le nom de Chambre ardente. Cette appellation dramatique, bien faite pour exciter les imaginations et remontant au Moyen Age, s’attachait à un tribunal siégeant entre des tentures noires éclairées par des torches sur lesquelles se détachaient les robes rouges ou noires des juges et les justaucorps couleur de sang des bourreaux toujours prêts à intervenir pour faire parler les récalcitrants. La sentence la plus courante de ce tribunal effrayant serait le bûcher... puisqu'il s'agissait de sorcellerie.
Les juges choisis par le Roi étaient MM. de Boucherat, de Breteuil, de Bezons, de Voisin, Fieubet, Pelletier, de Pommereuil et d’Argouges, tous conseillers d’Etat, auxquels s'ajoutaient trois maîtres des requêtes choisis par La Reynie : MM. de Fortia, Turgot et d’Ormesson. Enfin le Roi choisit La Reynie lui-même et M. de Bezons comme rapporteurs ainsi que le procureur général M. Robert. La procédure devait en être tenue secrète et les jugements sans appel.
Le 7 avril 1679, la Chambre ardente siégea pour la première fois. La Reynie s’avisa qu’il manquait un greffier : ce fut M. Sagot, déjà greffier au Châtelet. Et l’on entra en séance pour entendre les premiers prisonniers incarcérés à Vincennes : la Bosse, la Vigoureux, Lesage, ainsi que Mmes Dreux et Le Féron. La Voisin, elle, était au secret à la Bastille et La Reynie entendait la tenir en réserve. Ce en quoi il fit bien. Le tribunal assista ce jour-là et les suivants à une sorte d’empoignade générale assez peu convenable mais pleine d’enseignements, et les arrestations commencèrent à se multiplier...
De l’Arsenal au Palais-Royal, la distance n’était pas suffisamment grande pour que les échos de l’un n'arrivent pas à l’autre. Aussi lorsque l’on apprit que le nom d’une fort grande dame, la duchesse de Bouillon, cousine du Roi, avait été prononcé, le petit groupe des amis intimes de Monsieur manifesta quelque nervosité. Qui pouvait dire à quel délire pouvaient se laisser aller l’un ou l’une des accusés confiés aux soins attentifs des bourreaux du Châtelet ? Qui pouvait dire jusqu’à quel point leur mémoire serait capable de remonter dans le temps ? A l’époque, par exemple, de l’étrange trépas de la première Madame, Henriette d’Angleterre, morte - un peu trop rapidement ! - d’avoir bu un verre d’eau de chicorée un jour de chaleur ? On avait chuchoté les noms du grand amour de Monsieur, le beau et dangereux chevalier de Lorraine - heureusement pour lui momentanément banni de la Cour mais qui avait fort bien pu s’en remettre de ce soin à un « ami », le beau, lui aussi - chez Monsieur tout le monde était beau ! -, et presque aussi dangereux marquis d’Effiat. Aussi, profitant de ce que le temps semblait décidé à devenir vraiment printanier, le groupe parfumé des « mignons » entreprit-il de convaincre Son Altesse Royale de l’opportunité qu’il y aurait à abandonner Paris à ses turpitudes pour aller respirer l’air pur des coteaux de Saint-Cloud.
"On a tué la Reine!" отзывы
Отзывы читателей о книге "On a tué la Reine!". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "On a tué la Reine!" друзьям в соцсетях.