- Mais comment êtes-vous arrivé ici avant nous ?
- Je connais la ville mieux que vous et aussi ses traverses. Selon la ligne de votre course vous deviez passer devant cette maison qui appartenait à une vieille cousine dont j'ai hérité. Alors j'ai couru, ouvert la trappe... et vous savez le reste... A présent il va falloir être patients ! On ne pourra guère sortir qu'à la nuit tombante, mais avant la fermeture des portes !
- Je ne sais que vous dire, Maître Mathieu, sinon merci ! fit Olivier ému. C'est un grand risque encouru pour nous venir en aide... Et vous avez une famille !
- Vous en eussiez fait autant à ma place. L'amitié nouée jadis entre votre père et le mien n'est-elle pas toujours vivante ?
- Oh si, c'est la raison pour laquelle je me refuse à en abuser pour ne pas vous mettre en péril. Si vous pouvez ce soir nous faire quitter Paris, nous prendrons le large et ce sera au mieux.
- Et vous irez où ? Il est long, le chemin jusqu'aux domaines provençaux de messire Renaud !
- Certes, intervint Hervé, aussi n'irons-nous pas aussi loin. Simplement jusqu'à Moussy où mon frère nous accueillera je pense. Il est bien en cour. Son fils aîné Gautier est déjà page de Monseigneur de Poitiers et il était question que le cadet, Philippe, entre chez Monseigneur de Valois...
- Pour l'heure vous viendrez d'abord à Montreuil. Vous devez avoir grand besoin - car vous semblez las ! - d'un peu de repos et d'une bonne nourriture...
- J'avoue volontiers que nous avons faim et que nous sommes fatigués, murmura Olivier avec un peu de honte. C'est chose lamentable pour des Templiers que d'être réduits à mendier...
- Aussi ne saurait-il être question de vous laisser continuer. Songez cependant, sire Olivier, que ce n'est que blessure d'amour-propre assurément préférable à ce qu'endurent vos frères... Depuis qu'ils sont prisonniers, messire de Nogaret et le Grand Inquisiteur les interrogent avec tout ce que ce mot comporte.
- Vous voulez dire qu'on les torture ? émit Hervé qui sentait ses cheveux se dresser sur sa tête...
- De quel droit ? s'insurgea Olivier. Seul le Pape peut nous juger et c'est à lui que nos frères devraient être remis...
- Les faits reprochés sont trop graves pour que le Roi et ses légistes se contentent d'une expulsion. Vous ne vous en doutiez pas ?
- Je sais que l'on parle du bûcher pour nous, mais seule Sa Sainteté a le droit de nous y jeter. Or, nous n'avons jamais commis ce que l'on nous reproche ! Alors pourquoi la torture ?
- Parce que le Roi est convaincu de la culpabilité et qu'il exige des aveux rapides justement pour les présenter au Pape !
Olivier ne répondit pas. Il savait que Mathieu avait raison, que ses protestations étaient vaines et que lui-même n'y croyait pas. Ce qu'il n'osait pas encore se demander c'est quel avenir pourrait s'ouvrir devant lui, s'il échappait à la persécution, car ce n'était pas autre chose ! Et jusqu'à ce que Mathieu ouvre à nouveau la trappe pour les faire sortir, il resta enfermé dans ses réflexions sans plus prononcer le moindre mot. La pensée de frère Clément l'obsédait et l'idée qu'il soit livré aux tourmenteurs lui arrachait le cœur. Il ne voyait pas comment il pourrait le secourir et se sentait affreusement misérable et impuissant...
La nuit close trouva les trois hommes cheminant vers le havre paisible de Montreuil et la chaleur du foyer du maître bâtisseur. Une halte réconfortante sur une route hérissée de périls.
Olivier n'imaginait pas un seul instant qu'il allait y rester bien au-delà de la nuit...
Deuxième partie
LA CATHÉDRALE REBELLE
CHAPITRE VI
LES ANGOISSES DE DAME BERTRADE
Bien à plat sur la main qui s’élevait comme une offrande vers la flamme des longues chandelles, le joyau s'habilla de lumière écarlate et rayonna comme si un minuscule volcan s'était allumé au creux de la paume de la Reine de Navarre. Pour faire naître d'autres scintillements dont certains se reflétaient sur son visage, elle fit tourner sa main autour de son mince poignet et, finalement soupira :
- C'est merveille, Maître Pierre, mais j'ai beaucoup dépensé ce mois pour mes atours. Un nouvel achat ne serait pas raisonnable…
Pierre de Mantes était l'orfèvre du roi Philippe. Il se contenta de sourire en s'inclinant :
- Beauté et raison s'accordent mal, Madame, et rien n'est trop magnifique pour parer la future Reine de France. Surtout pour une circonstance importante.
Le petit discours faisait partie du jeu. Il faudrait peut-être en ajouter encore un peu, mais l'orateur était certain de parvenir à ses fins. Marguerite adorait les rubis, comme tout ce qui était rouge, sa couleur favorite, et il savait qu'elle ne résisterait pas longtemps à ceux-là. Toujours sans quitter des yeux le joyau, elle demanda :
- Vous pensez à la venue annoncée de ma belle-sœur d'Angleterre ?
- En effet, et lorsque nous avons reçu de Venise ces admirables pierres venues de plus loin encore, ce fermail s'est composé comme de lui-même avec son entrelacs d'or et d'émaux. Les perles qui les font ressortir sont d'une grande pureté et d'un grain rarissime. Tout juste ce qu'il fallait pour mieux exalter la splendeur de ce que les Orientaux appellent « les gouttes de sang au cœur de la Terre Mère » !
Marguerite quitta son fauteuil incrusté d'argent, de cristal et de topazes, et alla vers la vaste cheminée où crépitait un bon feu - on était en mars et la saison sentait encore l'hiver -, traînant après elle sa longue robe de velours pourpre réchauffée par un surcot bordé d'hermine. Les yeux de l'orfèvre s'arrondirent : au lent balancement des pas, la robe s'ouvrait jusqu'à la hanche, dévoilant, le temps d'un éclair, des jambes ravissantes. Le spectacle était troublant mais Pierre de Mantes assez âgé pour ne pas se laisser détourner de ses propos. Il se demanda seulement ce que le roi Philippe pouvait penser d'un vêtement de ce genre, lui qui n'avait jamais quitté le regret de son épouse défunte et n'aimait pas que l'on eût, à sa cour, une tenue légère.
Marguerite cependant tenait toujours le fermail. C'était aux flammes de la cheminée qu'elle mirait à présent les trois gros rubis. Son joli visage reflétait sa fascination, le désir qu'elle avait de ce bijou. Pierre de Mantes toussota :
- Il vous va si bien, Madame... et pour le paiement nous pourrions... trouver un arrangement ?
Du bout du doigt, Marguerite caressa les pierres comme elle l'eût fait d'un chaton.
- Qu'en ferez-vous si je ne l'achète pas ? demanda-t-elle sans le regarder.
- Je l’irai offrir à notre sire Philippe. Il aura peut-être le désir de faire présent à la reine Isabelle quand elle sera en nos murs...
Un éclair de colère traversa les profonds yeux noirs de la reine de Navarre :
- Isabelle ? Pourquoi Isabelle ?
- C'est un bijou de reine, Madame, qui ne saurait aller à moindre dame, mais j'avoue que cela m'affligerait. Madame Isabelle est blonde. Le rubis est parure de brune et nulle ne l'est plus magnifiquement que vous, Madame, ajouta-t-il en osant un regard appréciateur qui après un rapide passage sur un corps que l'on n'avait aucune peine à deviner superbe s'attachait aux lèvres pulpeuses, aux vastes prunelles d'un noir de velours ourlées de longs cils posées comme un masque sur la peau d'ivoire nacré. Plutôt petite, mais proportionnée à miracle, Marguerite avait l'éclat, la perfection d'une rose à l'instant où elle va s'épanouir. Mère depuis trois ans d'une petite fille, elle n'en gardait pas moins la finesse d'une jeune fille. D'humeur volontiers hautaine, elle ne s'offensa cependant pas du regard du marchand. Il était un homme, un homme de goût, et elle aimait séduire, elle aimait voir naître le trouble dans les yeux masculins.
Se tournant soudain vers la dame qui, près de la fenêtre, lisait un livre d'heures, elle dit :
- Madame de Courcelles, soyez assez bonne pour aller chercher Aude. Dites-lui qu'elle apporte le manteau de camocas qu'elle me prépare...
La dame, une jeune femme au visage fin et intelligent enserré d'une guimpe de soie blanche assortie à son chaperon brodé de violet, se leva et sortit pour revenir presque aussitôt avec une jeune fille dont les longs cheveux d'un blond argenté tombaient librement sur son dos de sous sa petite toque plate de soie azurée retenue par une mentonnière de mousseline. Elle tenait, rejeté sur ses bras étendus, un flot de brocart blanc tissé d'or et doublé de taffetas cramoisi qu'elle vint draper sur les épaules que lui présentait Marguerite. Ainsi revêtue des plis neigeux qu'animait l'éclatante doublure, la jeune reine alla vers un assez grand miroir serti de bronze pendu à un mur et plaça le fermail à la base du col où aucun agrafage n'était encore posé. Près de son visage au teint animé, l'effet était magique et Aude joignit les mains avec un sourire ébloui !
- Oh, Madame ! C'est tout juste le fermail qui convient !
- Aussi je crois que je vais le garder...
Puis, se tournant vers Pierre de Mantes en maintenant d'une main les plis somptueux, elle s'écria :
- Eh bien, maître Pierre, vous m'avez séduite une fois de plus. Je pense d'ailleurs que vous vous y attendiez !
- Je l'espérais, Madame, fit-il en s'inclinant très bas. Je l'espérais...
- Voilà qui est dit ! A présent, voyez Madame de Comminges qui veille à ma cassette et prenez avec elle les arrangements dont vous parliez…
Il sortit en saluant tandis que Marguerite, soudain d'excellente humeur, retournait s'admirer, aidée par Aude heureuse de voir son œuvre aussi merveilleusement complétée.
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