Dès que Mathias sortit de la librairie, John passa la main dans le tiroir de la caisse, et remit le petit ressort exactement comme il était avant.


Le train entra en gare, Mathias courut sur le quai, doubla toute la file des passagers et monta dans le premier taxi. Il avait un rendez-vous dont sa vie dépendait, cria-t-il par la vitre aux gens qui l’injuriaient ; mais la voiture descendait déjà le boulevard Magenta, exceptionnellement fluide ce jour-là.

Il accéléra le pas à l’entrée de l’allée piétonnière et se mit à courir.

Derrière la grande baie vitrée, on pouvait voir le plateau de télévision où se préparait déjà l’édition du journal de vingt heures. Un agent de sécurité lui demanda de décliner son identité et le nom de la personne qu’il venait visiter.

Le gardien appela la régie.

Elle était absente pour quelques jours et le règlement interdisait de communi-quer l’endroit où elle se trouvait.

Était-ce au moins en France ? avait demandé Mathias, la voix chancelante. –

On ne peut rien dire… le règlement, avait répété le gardien ; de toute façon ce n’était même pas consigné, avait-il ajouté en consultant son grand cahier ; elle reviendrait la semaine prochaine, c’était tout ce qu’il savait. – Pouvait-on au moins lui dire que Mathias était venu la voir ?

Un technicien franchissait le portique et tendit l’oreille en entendant un nom qui lui était familier.

Oui, il s’appelait bien Mathias, pourquoi ? Comment connaissait-il son pré-

nom ?… – Il l’avait reconnu, elle l’avait tant décrit, avait si souvent parlé de lui, ré-

pondit le jeune homme. Il avait bien fallu l’écouter pour la consoler quand elle était rentrée de Londres. Et puis tant pis pour le règlement, avait dit Nathan en l’entraînant au loin ; elle était son amie ; les règles c’était bien, à condition de pouvoir les enfreindre quand la situation l’imposait… Si Mathias se pressait, il la trouverait peut-être au Champ-de-Mars, en principe, c’était là qu’elle filmait.


Les pneus du taxi crissèrent quand ils tournèrent sur le quai Voltaire.

Depuis les voies sur berge, l’enfilade des ponts offrait une perspective unique ; à droite les verrières bleutées du Grand Palais venaient de s’illuminer, devant lui la tour Eiffel scintillait. Paris était vraiment la plus belle ville du monde, encore plus quand on s’en éloignait.

Il était vingt heures passées, un dernier demi-tour à la hauteur du pont de l’Aima et le taxi se rangea le long du trottoir.

Mathias ajusta sa veste, vérifia dans le rétroviseur que ses cheveux n’étaient pas trop en bataille. En rangeant le pourboire dans sa poche, le chauffeur le rassura, sa tenue était impeccable.


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XXIII

Elle terminait son reportage et s’entretenait avec quelques collègues. Quand elle le vit sur l’esplanade, son visage se figea. Elle traversa la place en courant pour venir à sa rencontre.

Il portait un costume élégant ; Audrey regarda les mains de Mathias, elles tremblaient légèrement ; elle remarqua qu’il avait oublié de mettre des boulons à ses manchettes.

– Je ne sais jamais où je les range, dit-il en regardant ses poignets.

– J’ai emporté ta tasse à thé avec moi mais pas tes boulons de manchettes.

– Tu sais, je n’ai plus le vertige.

– Qu’est-ce que tu veux, Mathias ?

Il la regarda droit dans les yeux.

– J’ai grandi, donne-nous une seconde chance.

– Ça ne marche pas souvent les secondes chances.

– Oui, je sais, mais nous on couchait ensemble.

– Je m’en souviens.

– Tu crois toujours que tu pourrais aimer ma fille, si elle vivait à Paris ?

Elle le fixa longuement, prit sa main et se mit à sourire.

– Viens, dit-elle, je voudrais vérifier quelque chose.

Et Audrey l’entraîna en courant vers le dernier étage de la tour Eiffel.

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Épilogue


Au printemps suivant, une rose remporta le grand prix à la fête de Chelsea.

Elle avait été baptisée Yvonne. Dans le cimetière d’Old Brompton, elle fleurissait déjà sur sa tombe.


*


Des années plus tard, un jeune homme et sa meilleure amie se retrouvaient, comme ils en avaient l’habitude dès que leurs emplois du temps le permettaient.

– Excuse-moi, mon train avait du retard. Tu es là depuis longtemps ? demanda Emily en s’asseyant sur le banc.

– Je viens d’arriver, je suis allé chercher maman à l’aéroport, elle est rentrée de mission. Je l’emmène en week-end, répondit Louis. Alors, Oxford ? Comment se sont passés tes examens ?

– Papa va être content, j’ai eu un petit podium…

Assis côte à côte sur un banc qui bordait le carrousel du parc, ils avisèrent un homme en complet bleu qui venait de prendre place en face d’eux. Il posa un gros sac au pied d’une chaise et accompagna sa petite fille jusqu’au manège.

– Six mois, dit Louis.

– Trois mois, pas plus ! répondit Emily.

Elle tendit la main, et Louis lui tapa dans la paume.

– Pari tenu !

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… et Mathias ne sait toujours pas qui est Popinot.

– 212 –


Merci

à Nicole Lattès, Leonello Brandolini, Brigitte Lannaud, Emmanuelle Hardouin, Antoine Caro, Rose Lantheaume, Kerry Glencorse, Claudine Guérin, Katrin Hodapp, Mark Kessler, Anne-Marie Lenfant, Elisabeth Villeneuve, Sylvie Bardeau, Tine Gerber, Marie Dubois, Brigitte Strauss, Serge Bovet, Lydie Leroy, Aude de Margerie, Joël Renaudat, Arié Sberro et toutes les équipes des Éditions Robert Laffont, à Pauline Normand, Marie-Eve Provost,

à Dominique Farrugia, Vincent Lindon et Patrick Timsit, à Pauline,

à Raymond et Danièle Levy, Lorraine Levy,

à Philippe Guez, sans qui cette histoire n’existerait pas, et

à Susanna Lea et Antoine Audouard


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